LA GAZETTE DE L'A.R.B
Anyvonne Restaurant Bar
 
Le Venezuela - Le journal de bord
N°12 - Juin 2000

Six mois de vagabondage le long du littoral, et même plus..


Une grande tirée au portant,avec les alizés, jusqu'à Caracas pour récupérer les enfants
Venant de Trinidad, et après avoir embarqué Richard, le fils aîné de Gérard, premier arrivé, à Puerto la Cruz, nous irons d'une traite ou presque jusqu'à Caraballeda qui est une marina située à une demi heure de voiture de l'aéroport de Caracas. Là, nous avons quatre enfants à récupérer, à deux jours d'intervalle. Nous préférons donc éviter la répétition des voyages en bus depuis Puerto la Cruz (2 fois 6 heures à chaque fois). Le prix à payer sera de revenir vers l'est contre le courant et le vent dominant sur environ 150 milles nautiques.
La proximité de l'aéroport est bien le seul agrément de Caraballeda. La côte autour, est peu accueillante aux voiliers. Dans un rayon de 50 milles, on ne trouve aucun mouillage et les quelques marinas que l'on peut trouver sont privées et n'acceptent pas (plus???) les bateaux étrangers...  On peut lire ça et là, quelques récits de comportements grossiers et aberrants de navigateurs européens qui peuvent justifier cette attitude.
90 milles plus à l'ouest, le parc national de Morrocoy  est sans doute un but de croisière estimable, mais comme cela ne fait qu'aggraver le problème du retour vers l'Est, nous ne connaîtrons pas.
Après avoir fait le plein des soutes et de l'équipage, nous irons au nord, vers les Roques qui nous apparaissent alors comme une promesse de paradis. La promesse sera tenue et nous avons décrit le paradis, dans le dernier numéro.

Le sort s'acharne sur notre pauvre moteur d'annexe.

(ou bricolages annexes....)
Le seul problème à déplorer durant cette période nous viendra du moteur de l'annexe. Le jour de l'arrivée du gros de l'équipage à Caraballeda, un axe du système de propulsion se rompra et le moteur n'acceptera plus de fonctionner qu'en marche arrière. L'embarquement de tout ce monde et de ses bagages devra donc se faire à la rame, en pleine nuit,  entre un ponton délabré et le bateau qui est mouillé à deux cents mètres à l'extérieur de la marina. Ah, ca tombe bien!
Deux tentatives de réparation par des mécaniciens locaux, (un à Caraballeda, l'autre à Gran Roque.) avec soudure de l'axe, ajout de rondelles et autres imprécations vaudou censées remplacer la pièce de rechange qui n'est pas disponible, ne résoudront pas le problème. Cela  permettra malgré tout à Gérard de mieux comprendre le fonctionnement du système et d'imaginer une réparation provisoire. Trois jours plus tard il procédera à un ultime démontage et remplacera  l'axe par un boulon judicieusement choisi.Et ca marche :
  • le système est bloqué en marche avant, 
  • il n'y a plus ni point mort, ni marche arrière, mais ca propulse en avant.... Et quand on a sept équipiers à transporter, ça parait génial !
C'est assez amusant de constater comment le sort s'acharne par période sur des organes particuliers. Avec sa réparation de fortune, ce moteur nous donnera satisfaction jusqu'en octobre. On pourra alors se procurer l'axe fautif et procéder à la réparation définitive.
Quinze jours plus tard, encore aux Roques, c'est cette fois la goupille de l'hélice qui nous laissera choir. Et sans rechange. Encore un bricolage provisoire à imaginer. Quand enfin, un mois plus tard on aura trouvé des goupilles neuves et que tout sera à nouveau rentré dans l'ordre, c'est carrément l'arbre de transmission qui cassera, faisant suite à une tentative de Gérard de jouer à saute mouton sur les rochers avec l'annexe. Et là, pas de réparation de fortune imaginable ni d'arbre de rechange disponible au Venezuela. Nous quitterons donc le Venezuela avec un moteur en panne, que nous espérons pouvoir réparer plus loin dans les caraïbes. En fait, juste avant de partir, nous avons acheté un petit moteur de 2cv. Il ne permet pas à Gérard de pratiquer  l'aquaplaning qui séduit les minettes, mais il remplace avantageusement les rames pour faire l'avitaillement au mouillage.

Retour de  l'archipel des Roques. 

Un retour des Roques au près contre l'alizé jusquà Puerto la Cruz... 
Nous y trouverons la trace de corsaires français...

Notre équipage s'est organisé pour rentrer à la maison dans le désordre et sur une période de 3 à 4 semaines. Nous avons donc l'intention de regagner la région de Puerto la Cruz, d'où nous pensons pouvoir les réexpédier sans trop d'effort. Nous maîtrisons mieux, maintenant l'organisation des bus et des avions vers Caracas.
En retournant des Roques vers Puerto la Cruz nous aurions aimé faire escale à l'île de "La Tortuga". Mais un long bord nocturne, au près bâbord amure, nous amènera  au petit matin sur la côte , à l'abri du cap Codera dans l'anse "Del Corsario". (Tortuga sera pour une prochaine fois. Pas de doute, à ce bord c'est le vent qui commande). 
L'anse où nous atterissons est ainsi nommée, parce qu'à l'époque de la flibuste, un corsaire français y avait établi son camp de base et s'y embusquait, dans l'attente du passage des bateaux ennemis. (Un peu comme les corsaires de St Malo le faisaient en Bretagne, sous le fort la Latte, à l'abri du cap Fréhel). Aujourd'hui, c'est toujours un assez bon mouillage et l'on y trouve, comme presque partout, quelques campements de pêcheurs.

Et nous assisterons à la grande parade des oiseaux de Carenero.

Carenero se trouve à quelques milles au sud de l'anse "del Corsario". C'est un mouillage (un port???) très abrité, genre trou à cyclone. Il est niché au creux d'immenses  marécages marins couverts de mangrove et sillonnés de passages qui forment un réseau de canaux. Un peu comme les marais vendéens. On y trouve quelques hôtels résidentiels dotés de marinas privées. Celles ci sont occupées par des dizaines de bolides puissamment motorisés comme on les aiment ici. Ces derniers sont stockés hors d'eau, sous des hangars où ils sont empilés sur 3 ou 4 niveaux d'étagères à l'aide de gros chariots gerbeurs. C'est une curiosité.
Mais, pour nous, l'intérêt du site se trouve ailleurs: 
La mangrove environnante est l'habitat nocturne de milliers d'oiseaux. Ces mêmes oiseaux vivent ailleurs leur vie diurne et les levers et couchers de soleil provoquent des mouvements migratoires massifs. 
C'est alors un spectacle fantastique. 
Les vedettes incontestables en sont les Ibis Rouges. On est toujours époustouflé quand on voit ces oiseaux pour la première fois. Leur couleur est si  éclatante qu'on n'y croit qu'après les avoir vus. Ils peuplent les arbres et le ciel de grosses taches vermillon quasi fluo.
Les second rôles sont tenus par les ibis blancs et noirs, qui sont aussi nombreux, mais visuellement plus discrets. Et puis le gros de la figuration est tenu par des milliers de perroquets  verts qui volent par couple et semblent tenir une conversation permanente.
La mise en scène de ce spectacle est très précise et nous y assisterons un soir, installés dans l'annexe et dotés du nécessaire à apéritif ainsi que de notre meilleur équipement anti moustiques.
Vers 18 heures, à un quart d'heure du coucher de soleil, on distingue quelques ibis rouges, installés au sommet de grands arbres ou voletant deci delà entre les cimes. Passé le premier émerveillement devant la couleur, nous épuisons l'approche à la jumelle. Le spectacle ne nous parait pas si foisonnant et nous attaquons vigoureusement l'apéro.
Le soleil commence à disparaître derrière les arbres. Et tout à coup, un invisible metteur en scène doit donner un signal: 
De tous les points de l'horizon, on voit soudain converger des centaines d'Ibis volant par groupes d'une dizaine d'individus. Les rouges, bien visibles, mais aussi des noirs et des blancs. Ils communiquent par des cris stridents qui forment la bande sonore du spectacle. 
Et puis tout a coup, le niveau sonore s'amplifie et tout l'horizon se couvre de points criards. C'est l'arrivée des perroquets verts. Des milliers de perroquets verts qui reviennent par couple de leur journée de "travail", qui se la racontent cette journée et qui s'interpellent entre couples. Le vacarme est assourdissant.
Toute ces oiseaux s'acheminent chacun, de manière très déterminée, vers un arbre particulier. Il semble y avoir peu de vols de promenade entre les arbres. Ainsi tout le monde est bientôt arrivé et, les oiseaux installés pour la nuit, les vols se tarissent. Le silence se réinstalle progressivement. C'est fini.
La séance aura duré un bon quart d'heure et la nuit est maintenant complètement tombée. Nous sommes émerveilles et abasourdis. Nous nous remettons en  reprenant le cours de l'apéritif et encore sous le charme, nous entamons le retour vers le bateau.

Borracha ou un air de ballade écossaise...

La météo locale le long du littoral vénézuélien présente une caractéristique intéressante. Le vent d'Est, souvent assez fort l'après midi, disparaît généralement sitôt le soleil couché. On peut ainsi  profiter de la nuit pour remonter vers l'Est assez confortablement. (Enfin la plupart du temps, car quelquefois le vent reste, toute la nuit, installé et fort. Notre deuxième retour de Carenero à Puerto la Cruz se fera au louvoyage, avec deux ris et l'aide de François à la manoeuvre. Cela nous prendra alors 24 heures.) 
Cette première fois, avec notre équipage nombreux et après une nuit de navigation confortable, au moteur, le long de la côte depuis Carenero, nous arrivons à l'aube sur Borracha. 
La fin de la nuit s'accompagne de grains très pluvieux et l'approche finale se fera sans visibilité, au radar et en ciré (c'est d'ailleurs la seule fois, en un an, où nous les sortirons de leur placard). 
Située à quelques milles au large de Puerto la Cruz, Borracha est une île montagneuse, de la taille de Houat (Ndlr : petite île au large de la Bretagne sud). Au dernier moment, comme on dit dans les romans, les nuées se déchirent un peu et nous apercevons à une centaine de mètres, éclairées par le soleil levant, les falaises de l'île et la passe étroite vers laquelle nous nous dirigeons. Ces falaises sont surmontées d'une végétation rase mais très verte et tout y est fumant d'humidité. L'instant est grandiose et on imagine l'entrée dans un fjord écossais. Derrière la passe, le mouillage est calme et solitaire. Juste un campement de pêcheurs sur la plage, au fond. 
Plus tard, nous y reviendrons un week-end. Ce sera un changement de décor complet, avec une quinzaine de lanchas mouillées les unes contre les autres, devant la plage. Ambiance kermesse.
C'est généralement le cas, le week end, dans la plupart des mouillages autour de Puerto la Cruz.

Le parc national de Mochima
 

Encore quelques bords de près, contre l'alizé, pour une récompense: " le Parc National de Mochima
La solitude du golfe de Santa Fe et des îles Caracas.

L'Est de Puerto la Cruz est constituée par une zone industrielle, où les raffineries de  pétrole le disputent aux cimenteries, pour détruire le paysage. Mais cette  zone, assez limitée, laisse vite la place à une autre, immense et très sauvage qui constitue le parc national de Mochima.
On y trouve d'abord le golfe de Santa Fe. 
Nous hésiterons longtemps avant d'y pénétrer car c'est un endroit auquel la rumeur prête mauvaise réputation, du point de vue de la sécurité. Totalement désert, il est entouré de côtes abruptes, à la végétation impénétrable. On y trouve quantités de petites baies très abritées, dont le seul inconvénient est d'être assez profondes et de nécessiter un mouillage bahaméen. (A l'avant, l'ancre dans les profondeurs et à l'arrière, un bout à terre). Et comme c'est le cas de tous les golfes et lagunes de la région, l'eau, très végétale n'est pas claire.
Nous y passerons deux nuits et chaque matin nous y serons réveillés par une dizaine de barques de pêcheurs qui viennent capturer là, d'un grand coup de senne, une espèce de sardine. Ce sera l'appât qu'ils se partageront, avant de partir pour leur journée de pêche au large. 
Au bruit qu'ils font, nous nous apercevrons à cette occasion que les pêcheurs vénézuéliens sont extrêmement bavards.
A l'extérieur et à la sortie du golfe se trouvent les îles Caracas. Ce sont d'immenses collines rocheuses, désertes et quasiment sans végétation. On y trouve quelques mouillages bien protégés dont celui d'El Coral. Situé entre deux îles de l'archipel, c'est une jolie plage au bord de laquelle se trouve un petit cimetière marin. Quelques croix dans les cailloux et les cactus. Une épidémie ?. Un ancien campement ?.
Sous l'eau, de chaque coté de la plage, des pentes tapissées de corail multicolore plongent vers les profondeurs. Et toujours des colonies de poissons coralliens de toutes les couleurs. Richard y découvrira de petites langoustes (que nous ne mangerons pas).
Comme partout par ici, la fréquentation des mouillages est faible et nous n'y verrons passer que deux ou trois voiliers, mais régulièrement des barques de pêcheurs.

Puerto Mochima la vallée engloutie ...

A quelque milles des îles Caracas, nous découvrons Puerto Mochima. C'est comme une immense vallée qui aurait été submergée lors d'un énorme affaissement du terrain (L'activité sismique est très forte par ici...). Elle s'enfonce, tel un fjord, de 3 à 4 milles dans la terre, entourée de collines de terre rouge couvertes d'une végétation très dense et verte.
C'est un abri parfait et partout autour on trouve de petites criques au fond desquelles s'isoler. On est alors très loin de la mer du large.
Au fond du fjord se situe le petit bourg de Mochima devant lequel mouillent quelques bateaux.
Nous y rencontrerons Pierre, un dessinateur de bande-dessinée Belge. Il navigue en solitaire dans cette zone depuis un an, sur un First 30 acheté ici et qu'il a baptisé "le p'tit blanc"  Il nous raconte sa faiblesse pour le vin blanc et sa participation à l'équipe de Gotlieb dans la rubrique à brac. Il s'est fait une spécialité de dessiner les cormorans et il gagne sa vie ici en peignant les murs de restaurants et de boites de nuit.

Et la boucherie cachée...

Pierre nous donne aussi quelques clés indispensables à Mochima. Par exemple, il nous indiquera où acheter de la viande.
Il faut dire qu'en arrivant à Mochima, on ne sait pas très bien qui fait commerce de quoi, ni où. Devant la façade de maisons particulières, quelques alignements de légumes, diversement entourés d'objets comme des boites d'allumettes et des rouleaux de papier hygiénique, indiquent une proposition de vente. Quelques épiceries s'affichent aussi comme telles. Mais pour la viande, rien. 
Pierre nous indique dans le centre du village, la maison à laquelle nous adresser. Enfin, pour la trouver, il nous faudra redemander plusieurs fois en chemin, mais cette fois ça y est. Un homme nous en montre l'entrée et nous y pénétrons. Un long couloir  longe un grand salon décoré de photos familiales et confortablement meublé de canapés. Désert. On passe et on débouche dans une autre pièce du genre salle à manger. Déserte aussi. On continue le couloir et on arrive dans une espèce de grand séjour-cuisine où, enfin, on trouve la famille rassemblée, à discuter et à regarder la télévision :
- C'est bien ici qu'on peut acheter de la viande????
- Bien sur, que désirez vous??? 
- Vous avez du poulet???
Notre interlocutrice se dirige vers un grand congélateur situé dans un coin de la pièce, en extirpe un superbe poulet congelé , le pèse et en annonce le prix avec un grand sourire.
- Avez vous aussi du "bisteque" ?
Elle replonge dans le meuble et en ressort un seau plein de tranches de boeuf congelées dont elle détache le nombre demandé...
Elle finira en demandant « si nous souhaitons aussi du lait et des yaourts ». Puis, payée, elle retournera à la télévision pendant que nous repartons à travers la maison dans l'indifférence générale.
Il faut quelques clés vous dis je.

Avant le golfe de Cariaco, les fonds coralliens de l'anse de Manaré.

Pierre nous a indiqué cette anse qui est située juste à la sortie de Puerto Mochima. L'eau y est claire et les fonds magnifiques. Nous nous y arrêtons donc.
L'endroit est en effet superbe et impressionnant. 
Superbe par sa plage de sable blanc, ornée de 3 cocotiers, qui s'étend au fond de l'anse au pied de la colline. Ne l'occupe que l'inévitable campement de pêcheurs devant lequel flottent deux ou trois pineiros.
Impressionnant par les falaises lisses et verticales qui encadrent la plage. D'une centaine de mètres, elles plongent directement dans la mer.
Quelques barques  de pêcheurs viennent de temps en temps s'abriter là, en attendant l'heure d'aller au large. Quelques touristes s'y font transporter en barque depuis Mochima pour y passer l'après midi. Peu de voiliers mouillent là. Nous y avons été le plus souvent tout seul et jamais plus de trois bateaux.
Mais le secret de Manaré, ce sont les fonds. 
L'eau y est limpide, sur un platier de coraux peuplés de petites anémones de mer multicolores. On dirait un tapis de fleurs séchées. Et partout, un grouillement de poissons de toutes couleurs. Sous le soleil, c'est magnifique.
Quelques murènes aussi s'abritent dans les trous du platier.
Les murènes et les barracudas, c'est bon pour l'adrénaline.

Le golfe de Cariaco.

On entre dans le repaire des dauphins. 
C'est le golfe de Carialco.

Profond d'environ 35 milles et large de 8, ce golfe ouvert à l'ouest forme un bassin de croisière extraordinaire. Normalement venté par l'Est,  la mer y est toujours assez plate. Clapoteuse quelquefois, mais jamais vraiment formée.
La rive sud du golfe est très verdoyante et parcourue par une route traversant des villages. La rive nord, formée par la péninsule d'Arayat est sèche, désertique et quasiment sans accès routier. 
La navigation à la voile y est agréable, bien que quasiment toujours au louvoyage pour pénétrer dans le golfe. Les mouillages y sont nombreux et jamais éloignés. A la tombée du jour, on peut toujours trouver un endroit protégé et atteignable avant la nuit. Le rêve.
Et puis la navigation n'y est jamais solitaire. A peine entrés dans le golfe, les dauphins nous rejoignent chaque fois, Et puis pas deux ou trois dauphins. Non, des dizaines, qui viennent batifoler en bande autour et devant le bateau. Ils s'éloignent pour aller chasser un peu et puis reviennent nous saluer de cabrioles et de trajectoires fusantes le long de la proue. C'est à chaque fois l'émotion. Gérard aurait bien aimé plonger et nager avec eux, mais dès que l'on arrête le bateau, les dauphins s'éloignent. Et comme depuis Fortalezza, Gérard ne quitte plus volontiers le bateau en route, il n'y aura pas de séquence natation avec les dauphins. Dommage.

Cumana, dernière station avant la nature sauvage.

Cumana, au sud de l'entrée du golfe est une ville de pêcheurs et d'industries de conserves de poissons. Elle est équipée d'une petite marina où l'on peut faire de l'eau, du carburant et passer une nuit, le temps de faire l'avitaillement et de consulter nos E-Mail. Les ressources de la ville sont sobres et plutôt rustiques mais nombreuses. Nous y trouverons même le seul café à terrasse et à usage "ethnique" de toute la côte. Plutôt sympa.
C'est à Cumana qu'un matin, mon bus fut pris dans un tel embouteillage que je préfèrai le quitter et continuer à pied. Bien m'en prit, car quelque cent mètres plus loin, la rue était occupée par des groupes de majorettes représentant les écoles privées Saint et Sainte quelque chose, des groupes de fanfares militaires et un service d'ordre. Le tout se situait en face d'un monument dédié au général SUCRE. C'est un héros national qui fut le vainqueur de la célèbre bataille de Carabobo. (Sans doute contre les Espagnols). Tout autour du monument, des chaises étaient disposées et une foule de notables attendait manifestement le début d'une cérémonie. Au milieu de cette foule, un général comme on ne les imagine qu'en Amérique latine (quand on a lu « l'oreille cassée » ) : plutôt jeune, très virilement moustachu, bardé d'or et de décorations de la casquette à la ceinture, les yeux cachés derrière une superbe paire de Ray Ban, s'entretenait en lui tenant le bras, avec un évêque comme on ne les imagine qu'à St Nicolas du Chardonnet: Un certain âge, l'air patelin, soutane noire, petite calotte et ceinture violette. Avec tous ces notables autour, j'ai eu l'impression d'une image en raccourci de la vie politique de l'Amérique latine. (Ce général finira t il lanceur de couteaux comme le général Alcazar?).

Par inclination, nos étapes dans le golfe se situeront plutôt sur la côte nord désertique et solitaire.
Le petit village de Puerto Réal.

Nous venons de  quitter Cumana et après quelques bords de près serré, la nuit va tomber sur le golfe. Le mouillage le plus proche est Puerto Real. Nous y entrons vers 17 heures 30 et nous mouillons dans un excellent abri, devant une plage ou un groupe d'enfants jouent au basket. (C'est remarquable, d'habitude c'est plutôt au "Baisebole" qui semble être ici  le sport national). L'ancre mouillée, l'équipage nombreux débarque en deux voyages pour saluer et visiter le village. Objet d'une vive curiosité, comme d'habitude, la première vague entame la visite et trouve un pêcheur pour lui vendre un seau de poissons. Le barbecue de ce soir est assuré.L'équipe réunie au complet se met alors à la recherche d'un endroit où boire une bière. Rien ne se présente. Renseignements pris, ça existe et c'est là bas, de l'autre côté du monticule. En passant entre les maisons (il n'y a évidemment pas de rues ni de plans d'urbanisme) nous arrivons sur la côte au vent du village, et là on nous indique une maison. Toutes fenêtres closes et lumières éteintes.
- Mais c'est fermé!
- Non non, on vient.
Et effectivement, arrive un femme avec une clé qui ouvre la porte de la maison et allume la lumière. On appercoit ainsi une grande pièce vide, seulement meublée de caisses de bières, et nous demande ce que nous désirons.
Ce seront 5 bières glacées, servies depuis le congélateur et qui nous coûterons chacune 1 Franc 50. Nous les boirons sur la terrasse, au clair de lune, sous le regard curieux des enfants qui jouent plus loin.
Allez, les poissons sont vidés et écaillés, mais il est temps d'aller allumer le barbecue.
Nous rentrons au bateau.

Laguna Grande: On nous avait prévenu, ça coupe le souffle.

Creusée dans la côte nord du golfe, c'est une sorte de mer intérieure, accessible par une passe de quelque trois cent mètres de large. Largement ramifiée en bras et en criques, elle est parsemée de quelques îles et est entourée de tous cotés par des montagnes s'élevant jusqu'à quelques 400 mètres. C'est quasiment un désert de végétation, totalement vierge de construction et d'habitation. La solitude et la majesté de l'endroit sont saisissantes.
Le souffle est coupé.
Les mouillages sont pléthore et il pourrait y avoir ici plusieurs dizaines de bateaux sans qu'aucun s'entr'aperçoivent. Enfin presque.
Nous reviendrons plusieurs fois mouiller ici, pour faire une cure de silence et de majesté.
Quelques pêcheurs passent de temps en temps relever des filets ou des casiers. 
Nous en voyons un, en particulier, qui semble récupérer dans ses casiers de petits crabes, comme des étrilles. A notre demande d'achat, il en remplit notre seau, en nous signifiant que c'est gratuit et qu'il n'en a pas l'usage. Nos propositions d'alcool ou de cigarette sont rejetées. L'homme ne fume ni ne boit. Il repartira tout de même avec un billet de 5 francs et notre gratitude.
Un autre vient au bateau pour nous demander: « vous avez du café??? ». 
Nous lui en trouvons un demi paquet,
- Et du sucre ???
Un fond de paquet aussi...
- Et des pâtes????
Alors là, non....
- Du riz alors????
- Ah, non plus...
Il s'en va, grognon, en pensant visiblement que, vraiment, cette épicerie n'est pas terriblement achalandée...
Nous verrons passer quelques bateaux aussi. 
Un surtout, par une fin d'après midi pluvieuse, où nous sommes occupés à jouer au rami.
Il doit y avoir trois bateaux dans tout Laguna Grande.
Celui là arrive près de nous, catamaran de location habité par un équipage de jeunes Italiens. 
"Il visite les mouillages possibles et va en choisir un plus loin.... Sûrement" pense-t-on,
Eh bien non !
Il mouille son ancre juste à notre arrière et tout le monde au bain !
Comme à Rimini.
Encore un peu et cette nuit, nos bateaux auront des problèmes de coexistence.
Nous sommes suffoqués et décidons de secouer notre torpeur. Partir. Alors qu'il pleut. Humeur.
Bien nous en prendra. C'est ainsi que nous découvrirons Punta Cangrejo (La pointe du crabe).

Punta Cangrejo et la rencontre de Kike et de T-Bone

Punta Cangrejo, notre « foyer » Venezuelien.
La découverte de l'endroit

C'est un peu par hasard que nous découvrirons l'endroit. Nous sommes sortis un peu tard de Laguna Grande et nous voulons aller mouiller avant la nuit, quelques trois milles plus à l'Est où notre guide nautique situe trois criques voisines, et désertes. Il montre aussi une photo assez séduisante de l'une d'elles.
Nous y arrivons à la nuit tombante. 
Il faut se presser.
Dans la première, la plus grande, un gros bateau de pêche mouillé en travers occulte quasiment l'entrée. Nous continuons vers la seconde et là, nous apercevons deux voiliers déjà présents. C'est la concorde à dix huit heures! La troisième enfin est déserte. C'est celle de la photo du guide. Mais on y distingue, dans le fond, l'épave brûlée d'une vedette en plastique dont l'effet est assez sinistre à la nuit tombante. Les enfants refusent carrément de passer la nuit là.
Retour donc dans la deuxième crique où on va tenter de trouver une place dans la "foule". On y découvre un joli petit appontement auquel sont déjà amarrés les deux bateaux présents. Deux hommes nous interpellent et nous proposent d'accoster là et de prendre nos amarres arrières.L'un des hommes nous annonce en même temps que le ponton et la musique sont gratuits. Effectivement nous entendons des échos de blues depuis une sorte de hutte qui doit en fait être un bar. A la question de Gérard, il est répondu que « le bar, lui n'est pas gratuit ». Rien n'est parfait.
Nous débarquons donc à la nuit tombée, avec Marine, Laurent et Richard. 
La soirée sera inoubliable.
Nous trouvons le bar au bout d'une petite allée illuminée. Deux guitaristes s'y déchaînent. T-Bone Fisher (photo de couverture) et Ed Teja. Il se trouve qu'Ed est le propriétaire-occupant du gros bateau de la première crique. Ils sont là tous les deux à préparer un week end de blues qui doit avoir lieu ici dans une quinzaine. Ils en seront les deux musiciens. Vers 19 heures, Ed regagne son bord. T-Bone, resté seul, nous fera un concert in vivo toute la soirée pendant que nous nous noierons quasiment dans la bière. (Il faut dire que ce soir là, lui est déjà noyé depuis longtemps).
T-Bone est un bluesman américain retiré ici depuis environ un an. L'un des deux bateaux de la crique est le sien. Dans la journée, il tient le bar (3 clients par semaine), plante des fleurs et des légumes, bricole sur des pineiros en chantier et prépare la construction de sa propre "churuata" (sorte de hutte indienne couverte de palmes tressées et ouverte sur tous les cotés). Pour l'instant ses affaires sont sur son bateau et il dort sur une table du bar. Après avoir bourlingué pendant dix neuf ans dans les Caraïbes il a été amené ici par Kike et il a décidé qu'il avait trouvé ce qu'il cherchait. Il ne repartira plus. Sa maison ici est son grand projet.
Kike c'est le patron. Venezuelien de pure origine espagnole (la race noble), il a la cinquantaine joviale derrière sa moustache. Pas vraiment bavard, son discours paraît toujours très pertinent et surtout chaleureux. Il est en retraite d'une activité où il a pas mal voyagé et il parle couramment anglais. Je le soupçonne de parler assez bien le français aussi et en tous cas de le comprendre parfaitement.
Il a tout fait ici. Avec un peu d'aide locale.  Seule la "churuata" qui abrite le bar a été faite par des indiens de la côte. Les indiens "Cumanagoto". Cela fait six ans qu'il a commencé à aménager la crique: 

  • Le ponton d'accostage avec ses corps morts. 
  • Un chemin d'une centaine de mètres, pavé et éclairé, qui mène le long de la berge du ponton au bar. 
  • Trois maisonnettes aux toits de palmes et les fondations de deux bâtiments qui devraient abriter plus tard une école et une église.
Eh oui, Kike veut faire ici un village. Dans tous les sens du terme. Avec Restaurant-Pousada.
Mais comme ils font tout eux même, quand ils ont le temps. Les divers chantiers commencent, s'arrêtent , reprennent et se termineront plus tard. 
"Mañana" On a le temps au Venezuela. De toutes façons il est préférable de s'armer de patience, car les matériaux nécessaires aux constructions ne se trouvent pas sous le sabot du premier cheval venu.
D'ailleurs, il n'y a pas de cheval ici. 
Pas de route non plus. 
Seul le pineiro de Kike nous met à 1 heure de mer de Cumana. Quand le moteur ne tombe pas en panne.
Alors, Tranquilo. 
Mais ils y arrivent.
Kike construit ici des bateaux, des maisons, les meubles nécessaires à sa crique. Il y paraît très heureux.
Gladys, sa femme fait son apparition de temps en temps. Elle aussi rayonne de joie de vivre.
Entre Août 99 et Janvier 2000, nous reviendrons moult fois ici. Des rites finiront par s'instaurer. Quand T-Bone est seul, nous l'invitons à dîner sur le bateau, ou bien nous apportons à manger pour tous au bar. Quand Kike est là, nous allons au "pub" tous les soirs. Quelquefois nous y dînons. (Pas trop souvent, car les tarifs y sont élevés. Mais la paella cuisinée par Kike est extraordinaire). 
Nous y inviterons , si l'on peut dire, tous nos enfants et connaissances.Jean Michel y viendra parfaire son éducation bluezy puis François. Plus tard, Francis et Anne Marie de "Bon Vent" ainsi que François et Françoise d' "Altaïr" nous y rejoindront pour les fêtes de fin d'année.

Punta Cangrejo, un Noël familial "muy sympatico".

Ce sera un Noël dans le calme et la bonne humeur. Kike sera là avec sa femme et deux de leurs enfants. Nous serons dix gringos : les équipages de Getaway, Bon Vent et Altaïr et deux couples d'Allemands venus comme nous sur leur bateau.
Après un apéro échauffement sur Getaway, nous rejoignons le bar où T-Bone et son copain Ed font un boeuf. 
Ils sont déjà bien chauds. Enrique, le fils de Kike nous sert un punch maison pour nous mettre au diapason. Nous ne tarderons pas à l'être. Au menu: Dinde farcie (excellente) cuite au four à bois, Pain au jambon, Fromage. Le tout arrosé de vin chilien rouge et blanc puis de champagne. Entre deux bouchées, on va danser sur la piste du bar. Rocks lents, merengue. Très sympa tout ça. On se couchera vers 2 heures.
Le lendemain, le réveil sera “ clair ” et un bain dans la crique finira de remettre les idées en place.
Il faut dire que nous devons préparer notre expédition montagne.

En conclusion de notre navigation vénézuélienne, nous passerons le début de l'an 2000 à 3000 mètres d'altitude.

Eh oui, la décision a été prise de passer "El fin de año" dans les Andes. Nous avions initialement prévu cela pour Noël, mais des événements majeurs nous ont arrêtés. Des pluies diluviennes sur la côte et surtout autour de Caracas ont entraîné des inondations, la rupture d'un barrage et surtout d'énormes glissements de terrain. Des milliers de morts, toutes les routes côtières coupées, aéroports fermés. Tous les bus et les vols vers Caracas sont annulés dans la semaine précédent Noël. 
A Punta Cangrejo, les informations que nous avons sur l'état actuel des transports sont souvent contradictoires. Les aéroports semblent fermés au trafic et réservés aux secours, les bus sont peut être rétablis, mais pas sur leur trajet habituel. Le mieux c'est de partir à Cumana, et d'aller voir sur place au "Terminal de Pasajeiros". C'est ce que nous ferons, en utilisant Getaway et en laissant Bon Vent et Altaïr à la garde de T-Bone.

Ce voyage en bus sera une sorte d'aventure mémorable.