LA GAZETTE DE L'A.R.B
Anyvonne Restaurant Bar
 
Cuba - Journal de bord
N°14 - Novembre 2000


Cuba, étape imposée après Salvador et le Cap Vert.
 
« Tous les connards vont à Cuba. Pourquoi pas Getaway… »*
C'est donc après quelques émotions et avec une mèche de safran assez tordue que nous quittons Crooked Island et les Bahamas pour Cuba. Le point d'atterrissage visé est Bahia de Naranjo que notre guide nautique cite comme un « point d'entrée officiel« . Il se situe à environ 130 milles, très à l'est  sur la côte nord de l'île. La traversée prendra un peu plus de 24 heures, dont une partie au moteur dans la pétole.
Nous avions plein d'a priori positifs sur Cuba. « Monsieur Paul » et Georges Wolinski en avaient encore ajouté une couche. 
C'était avec Salvador et Le Cap Vert la dernière des trois étapes imposées de notre projet de voyage. 
Soyons clairs, les premiers jours nous ont rendus sceptiques et un peu déçus. A tel point qu'au bout de deux semaines, nous faisions le projet de quitter Cuba aussitôt après une petite visite à La Havane. (Mais nous en étions encore à près de 500 milles...)
Nous essaierons de vous exposer nos sentiments "variables" en force et en directions, mais généralement positifs puisque finalement nous y sommes restés deux mois.  

* clin d’œil au bouquin de Wolinski « monsieur Paul à Cuba », offert à Gérard et Anyvonne avec une dédicace de l’auteur.

Premier contact avec les autorités aux frontières : des procédures administratives plutôt conviviales

Notre arrivée, ce 27 Mars 2000, est assez exemplaire de la suite de notre navigation sur la côte nord.
Nous entrons à Bahia de Naranjo vers 11 heures du matin. C'est étroit et le site d'atterrissage manque d'amer, mais St GPS nous fait trouver les balises du chenal exactement là où elles doivent être. C'est toujours un émerveillement.
On s'avance donc dans le chenal qui pénètre dans la baie. Soudain une lancha nous rattrape, dont le pilote veut manifestement nous parler. Un premier échange difficile, en espagnol, nous laisse comprendre que cette baie n'est plus un site d'entrée et que sans y pénétrer plus avant nous devons aller faire nos formalités à Bahia de Bita. Nous ne savons pas où c'est et n'avons pas de carte de détails; seulement un grand routier couvrant l'ensemble de Cuba et un guide nautique. Nous essayons d'avoir des précisions: où ca se trouve, à quelle distance... Mais le courant nous entraîne dans le chenal étroit et bordé de pâtés de corail. Nous coupons court aux échanges et faisons demi tour pour la sécurité du large. 
Un coup d'oeil au guide et le mystère s'éclaircit: Bahia de Bita s'écrit en espagnol Bahia de Vita. Ce n'est pas loin mais le croquis du chenal d'accès semble bien tortueux. Enfin, encore une fois St GPS nous place à l'endroit qu'il faut et le balisage est impeccable. Puis les choses se mettent à ne plus ressembler à la carte, des balises apparaissent qui signalent des chenaux non répertoriés, dans une baie très peu profonde (de l'ordre du mètre). Mais là, la VHF de la marina vient en aide à notre confiance défaillante et nous guide comme une tour de contrôle le fait d'un avion en approche d'atterrissage. Nous découvrons ainsi que depuis Bahia de Naranjo nous étions suivis et attendus.
On découvre ici une marina toute neuve. C'est là que s'organise pour le futur, le point d'entrée principal des voiliers et des embarcations de tourisme à l'est de la cote nord.
Nous sommes ici immédiatement plongés dans la cérémonie officielle d'accueil administratif d'un bateau étranger. Douane, immigration, santé, services vétérinaires, autorités maritimes et gardes côtes. C'est vraiment plus lourd que ce que nous avons connu jusqu'ici. En tous cas en termes de personnel déplacé. J'ai bien dit déplacé et là ça rattrape tout: Au lieu de courir aux quatre coins de la ville en essayant de deviner le sens  convenable pour le parcours, comme au Brésil ou au Venezuela, ici nous recevons les autorités à bord et il nous est interdit de débarquer avant la fin de la cérémonie.
Les représentants de l'administration se présentent successivement, dans l'ordre prévu par le protocole. Invariablement, ils sont souriants et polis. Très peu arborent ostensiblement leurs armes ou les attributs de leur autorité. Certains, et c'est une première, demandent même s'il leur faut se déchausser avant de monter à bord. Aucun ne nous demandera jamais un quelconque pot de vin. Seul, à la Havane, un douanier viendra deux fois à bord que pour nous demander une bière ou un Coca.
Leur visite peut être brève ou plus longue. Certains douaniers demandent à inspecter le bateau. Cela se fait toujours en requérant votre présence attentive, pour ouvrir toujours les mêmes portes de placard et trappes d'accès aux soutes. Certains endroits ne seront jamais visités, comme les coffres sous les couchettes des cabines arrière. D'autres le seront toujours, comme les coffres sous la couchette de la cabine avant. Va savoir... A la Havane, nous aurons même la visite d'un labrador renifleur de drogue. 
La cérémonie se termine sur une inspection du frigo et des vivres frais par les services vétérinaires. Leur souci est de connaître la provenance des denrées. Pour nous, tout vient des Bahamas et cela semble un label de qualité suffisant car on ne nous fait rien jeter. 
J'imagine que si vous arrivez de Haïti, ils vous demandent de vous séparer de la viande, des fromages etc.
Ce cérémonial se reproduira dans chaque grand port que nous atteindrons. Le bruit court qu'à Santiago, à l'est sur la cote sud, les choses seraient moins sympathiques et coûteraient plus cher. Nous n'y sommes pas allés et  nous n'avons rien vécu de tel après la visite à notre bord d'une bonne quarantaine de personnes en deux mois.

L’Oriente et le canal de Viejo des Bahamas

L'Oriente: une province agricole ni très riche ni très avancée.

Autour de Bahia de Vita
Autour de Bahia de Vita c'est la province de l'Oriente et c'est là que nous aurons notre premier contact avec l'intérieur de Cuba. Pour cela, nous louerons un mini scooter qui nous permettra des ballades à 50 kms autour de notre port d'attache. Dans cette région qui n'est pas montagneuse, les paysages sont faits de collines douces avec beaucoup de champs de canne à sucre. Des fermes au toit de palmes sont clairsemées dans la campagne. De loin en loin, quelques villages - assemblages disparates de quelques petites maisons (de cases ?) - jalonnent les routes. Chaque village ou même hameau  possède son école avec, devant la façade, le buste blanc de José Marti. Toujours le même. C'est pour nous le premier témoignage de la volonté éducatrice du régime cubain. 
Les routes secondaires et non goudronnées que nous parcourons sont sillonnées de véhicules bizarres: camions très déglingués et recyclés en bus de ramassage d'entreprises, bicyclettes à 2 voire 3 places; attelages de vaches tirant des fardeaux sans roues. et bien sûr plein de paysans à cheval. Beaucoup de champs qui ne sont pas très grands sont cultivés à la charrue tirée par des vaches ou des boeufs. Ce doivent être des champs individuels, car les grandes étendues de canne à sucre des exploitations coopératives sont traitées à l'aide d'outils plus puissants: tracteurs, camions (toujours d'origine russe..). Outils industriels ou artisanaux, tous sentent de la même manière le bricolage et la difficulté de maintenance. Les pièces détachées sont rares ici et quand il y en a, elles alimentent un marché parallèle sur lequel nous reviendrons. 
Partout les gens, qui semblent avoir le temps, nous saluent en souriant.
Tout cela a l'air paisible de nos campagnes des années 50. Il y a peu de circulation (restrictions obligent) et la moindre voiture qui circule (particulière, d'entreprise ou de location comme l'indiquent les plaques d'immatriculation) est sollicitée à chaque carrefour par des nuées d'auto stoppeurs. L'auto stop est un sport national ici, mais il marche assez mal les jours fériés, car alors les véhicules d'entreprise ne circulent pas.
Quelques témoins d'une splendeur passée : GIBARA
Au fil de nos promenades, nous visiterons Gibara. C'est aujourd'hui un petit port de pêche, mais c'est aussi ce qui reste d'une cité coloniale qui fût un port commercial prospère et qui revendique être le point d'atterrissage de Colomb à Cuba.
Nous découvrirons là ce qui nous apparaîtra plus tard comme une spécialité cubaine: La nostalgie un peu triste d'une prospérité révolue. Des immeubles, des maisons d'armateurs, des entrepôts. Tout cela  a été construit un jour avec beaucoup d'ambition et d'aisance. L'architecture est riche. Mais tout est en ruine. Ce qui reste encore debout est soutenu par des étais en bois qui encombrent les rues étroites. Quelques exceptions, autour de places ombragées, pour un ou deux immeubles et pour... des églises. 
Les gens habitent de manière plus ou moins précaire les immeubles les plus solides et déambulent sans but apparent dans la poussière des rues sans magasins ni lieux d'animation.
Ils ont l'air de s'ennuyer. Nous aussi..
Holguin, un chef lieu de canton
Holguin est le chef lieu de l'Oriente. C'est la première ville "importante" que nous rencontrons et visitons. Habitée par plus de 200000 habitants, elle nous fait l'impression d'un gros bourg provincial de 5000 âmes. On n'y trouve pas facilement les points d'intérêt habituels aux européens et aux touristes: boutiques, cafés avec terrasses, petits restos... Les seuls points de vente rencontrés dans la rue sont des magasins collectifs, pleins d'étagères vides de marchandises, qui sont à usage exclusif des cubains munis de leur "libreta" et quelques cafétérias tristes à mourir ou l'on peut effectivement boire un café après avoir fait la queue pour acheter un ticket. Rien ne parait prévu pour nous. 
Mais où se retrouvent donc les cubains pour boire un coup?  Où y a t'il de l'animation ?
Nous trouverons une partie de la réponse sur une place du centre qui, en plus de quelques boutiques - genre bazar de province - attirant une foule d'acheteurs, abrite au moins 3 musées, une école de musique, un théâtre et un cinéma qui donne en ce moment un festival de films français.
On y trouve aussi un bar à touristes, avec terrasse ombragée. A la périphérie de la ville, on découvrira une structure universitaire importante, dont l'état de maintenance rappelle quelques cités universitaires françaises oubliées des autorités, mais dont la fréquentation apparente témoigne d'une activité intense. 
Malgré tout, l'ambiance générale de tout cela nous parait triste et poussiéreuse. On s'en retourne au bateau avec un peu de vague à l'âme.

Une croisière dans le "Canal Viejo del Bahamas" ou la parano du garde frontière.

C'est le nom du chenal qui sépare la cote assez accore de Cuba du plateau bahaméen. C'est une route de cargo fréquentée et pas très large. (Quelques 4 à 5 milles aux pires passages). C'est aussi la route de la Havane, quelques 500 milles plus à l'ouest 
Une partie du rivage est débordée de cayes, elles mêmes protégées de récifs coralliens. Les mouillages semblent pléthoriques et déserts dans cette région. Ce sont donc une à deux semaines de navigation "caboteuse" et solitaires qui se présentent.
Hélas, hélas. Très vite, nous percevons la pression des préoccupations (de la paranoïa ?) cubaines de contrôle des frontières. 

« Mouillez là-bas, près de chez nous, c’est plus sûr… » 
Les gardes frontières qui ont la charge du contrôle des frontières nous font vite savoir qu'ils entendent nous suivre à la trace. 
Plus précisément, ils veulent contrôler étroitement nos contacts avec la terre. Nous avons sans doute eu le tort de laisser la VHF en veille sur le canal 16 comme il se doit, mais nous ne pouvons pas passer au large d'un de leurs postes (et il y en a beaucoup sur la cote nord) sans décliner l'identité du bateau, de son  équipage, les ports de départ et de destination, etc. 
Plus gênant, chaque fois que nous tentons d'accéder à un mouillage sauvage, ils nous appellent avec gentillesse et sans doute avec le sourire, pour nous inviter à rallier la marina ou le poste le plus proche, afin de mouiller en vue de leurs jumelles. A chaque fois, ils nous expliquent que c'est plus sûr... 
- Est ce interdit de mouiller ici ?
- Non, mais vous devez  mouiller là bas, près de chez nous... C'est plus sûr...
- Mais nous préférons la solitude de ce mouillage...
- Nous comprenons, mais vous devez mouiller là bas, près de chez nous... C'est plus sûr...
- Quels sont les risques ici ?
- Il y a les pêcheurs... Et puis vous ne devez pas faire monter de cubain à bord. Vous devez mouiller là bas, près de chez nous... C'est plus sûr...
- Nous savons que nous ne devons pas inviter de cubain à bord. Et les pêcheurs ne nous paraissent pas très dangereux.
- Non c'est vrai, mais vous devez  mouiller là bas, près de chez nous... C'est plus sûr...
C'est chaque fois le même dialogue de sourds.
Bref, nous ne mouillons pas toujours où nous souhaitons mais la côte reste tout de même assez belle. Nous visitons ainsi:
- Paradon Grande
Avec son immense phare jaune et noir qui rappelle la fusée de Tintin dans "On a marché sur la lune".
- Cayo Coco
Où on cherchera en vain une marina annoncée à Bahia de Vita pour nous abriter d'un coup de "norther" prévu par la météo (tempête de Noroît générée par le passage de perturbations sur le sud des Etats Unis.)  Nous trouverons finalement, dans très peu d'eau, un petit abri fréquenté par quelques bateaux de gardes frontières plus ou moins en réparation où nous aurons l'autorisation de mouiller sans avoir celle de descendre à terre.. Nous y apprendrons que la marina serait plutôt sur Cayo Guillermo, quelques 15 milles plus à l'ouest...
- Cayo Guillermo
Justement, où l'accès à la marina ne nous parait pas suffisamment profond (Le capitaine est complètement traumatisé par sa nuit de talonnage aux Bahamas...). Nous mouillons d'autorité un peu plus loin, à l'abri de la pointe déserte, à l'ouest du Cayo. Quelques pêcheurs s'affairent autour de notre mouillage. Un catamaran de promenade de touristes (une spécialité locale) passe au loin dans le lagon. Tout est calme et bucolique à souhait. Soudain à la VHF qui est restée en veille, nous entendons une conversation en espagnol où il semble être question d'un voilier à l'ancre. C'est clair, quelque part, quelqu'un parle de nous. Mais ca ne parait pas aller plus loin et personne ne nous appelle spécifiquement.
Un peu plus tard, c'est l'heure de l'apéro dans le cockpit. C'est alors que nous voyons arriver sur notre arrière le catamaran de tout à l'heure qui vient, à nous lécher les filières, faire visiter notre cockpit à ses passagers. 
Quel spectacle. Mais cela dure peu de temps et ils s'éloignent enfin.
C'est alors que le dialogue reprend à la VHF: "Se llama GETAWAY. Se llama GETAWAY..." (Il s'appelle GETAWAY). 
C'était donc ça  se renfrogne la créature de rêve du bord, qui croyait avoir été la raison de cette approche indiscrète.
- Cayo Borracho
C'est un petit rocher désert et isolé où nous snorkelons enfin tranquilles, dans des eaux assez claires. Enfin pas longtemps tranquilles. Moins de deux heures après notre arrivée, les gardes frontières se pointent pour vérifier nos papiers et finalement nous demander de poursuivre jusqu'à Cayo Frances, à 4 milles de là. Nous y serons tellement mieux... Re dialogue de sourds de tout à l'heure. Mais cette fois il est trop tard pour emprunter le chenal de Cayo Frances avant la nuit et le capitaine reste inflexible: OK pour Cayo Frances demain mais cette nuit on reste ici!  Discussions des gardes entre eux, radiotéléphone avec leurs supérieurs à terre. Finalement: "C'est d'accord, vous pouvez rester ici pour cette nuit. D'ailleurs nous aussi, nous mouillerons un peu plus loin...".  Dur dur...
- Cayo Frances
Nous y passerons deux jours dans un super abri, sous les regards croisés d'un poste de garde frontières et d'un bateau militaire mouillé à quelques encablures. Pas de doute, on préférait Cayo Borracho hier... Je crois que c'est là qu'on a commencé à saturer vraiment. La dernière couche a été passée en arrivant à la Havane, quand nous longions la côte à environ un mille, pour profiter d'un premier aperçu de la ville vue de la mer. Une vedette de Garde frontières est arrivée sur nous, pour nous signifier de nous éloigner à au moins 4 milles au large. 
Ca nous privait du point de vue convoité, ça nous doublait la route restant à faire, mais il nous a fallu nous exécuter.

La Havane.
 

La Havane ou le mythe à l'état pur.
Malgré ou grâce à ce qui précède, nous arrivons finalement assez vite à la Havane. Nous y serons accueillis obligatoirement à la marina Ernest Hemingway. Souvenir des grands yacht des années 50, c'est une grande et belle marina, bien qu'elle soit assez éloignée du centre. 
Nous y rencontrerons quelques bateaux de passage et d'autres, plus solidement amarrés au quai, qui servent de base de vie à des étrangers expatriés pour travailler ici. 
C'est ainsi que nous rencontrons Olivier, Corinne et leurs deux enfants. Lui est originaire de Port Navalo (en Bretagne sud. Ndlr) et travaille ici à l'implantation et à l'élevage du bar. (le poisson NDLR). Son histoire et son expérience sont exemplaires et précieux pour nous qui cherchons des renseignements.
Ils vivent ici, comme quelques autres expatriés, parce que se loger à La Havane est Hors de Prix: 20 à 30 000 francs par mois pour un F4 minable... Il a donc préféré acheter un Gib Sea 42 aux Antilles et l'amener ici pour l'habiter. 
Le projet sur lequel il travaille a été initialisé par une entreprise européenne et il est poursuivi et "managé" par un "joint venture" à égalité de droits entre ladite entreprise et une émanation du gouvernement cubain. Cuba garde le contrôle. Olivier nous a décrit, avec un humour féroce, les détails, les impasses et les trucs pour simplement travailler ici au jour le jour avec l'administration.
Installés depuis six mois , ils connaissent beaucoup de ficelles et de réalités sur la vie ici.  Ils nous en ont fait profiter  pour notre visite et pour cet article: Calle, coutumes, trocs, lieux de vie, jazz.
Le guide du routard exprime bien ce que furent nos impressions: "La havane est un régal d'architecture coloniale: Gracieuses arcades, balcons ouvragés, patios andalous, débauche néo baroque... Mais aussi palais lézardés, demeures ouvertes à tous les vents,...". 
Comme l'écrit Zoé Valdès: "Elle aura beau tomber en ruines, elle aura beau mourir de désillusions, la Havane sera toujours la Havane, ville sucrée, ville de miel de la tête aux pieds. Ville aux nuits chaudes, suaves..."
Le "Centro Historico" est en pleine réhabilitation. Les rues piétonnes y sont bordées de bâtiments rénovés et d'hôtels à couper le souffle. Glissez un oeil et osez entrer dans les halls immenses et les patios des palaces aux décors hollywoodiens des années 50. A coup sûr, vous mettez vos pieds dans les pas de Frank Sinatra, d'Ava Gardner, d'Errol Flynn, de Joséphine Baker ou même de Winston Churchill. 
Vous ne risquez pas de rater les traces d'"Ernie" Hemingway. Il a débarqué ici en 1932, attiré par la pêche au gros. Il achète une villa en 1940 et y écrit ses plus fameux romans entre deux sorties de pêche en mer. Pendant la guerre, il conduit des offensives anti sous marines contre les nazis à partir de Cayo Paraiso, sur la côte Nord. On l'a dit agent secret américain, puis agent double après le soutien qu'il exprima à la révolution castriste. En 1960, il est contraint de rentrer aux USA où il se suicidera un an plus tard.
Ici c'est vraiment une figure locale. Vous n'échapperez pas au bar du "Floridita" où il prenait son Daïquiri, à la "Bodeguita del medio" où il buvait ses Mojito's ni à la marina qui porte son nom et où se perpétue la tradition des concours de pêche au gros qu'il affectionnait tant. Cette même marina qui abrite un hôtel au nom de "El Viejo y el Mar". Si si, c'est vrai. Partout dans la Havane on trouve des photos et des plaques commémoratives de tel événement de la vie cubaine du héros.

L'architecture et l'art dans la rue.

A la Havane il faut se promener sans guide, le nez en l'air (attention quand même aux trous dans les trottoirs et dans la chaussée qui sont profonds et nombreux). Jeter un coup d'oeil dans les patios, admirer les façades, découvrir les perspectives. C'est immense et toutes les rues regorgent de merveilles architecturales "baroques". Il faut savoir s'abstraire de l'état général de délabrement pour imaginer les choses dans leur état originel. Le témoignage des quelques endroits réhabilités dans le centre historique  y aide puissamment. La profusion d'objets architecturaux  intéressants est proprement hallucinante.
Parfois on tombe sur des lieux très surprenants:

Le "Callejon de Hamel"

Callejon signifie ruelle. C'est effectivement une petite ruelle que nous découvrons, guidés par le routard. Elle est entièrement peinte depuis dix ans par Salvador Gonzales (52 ans). Son oeuvre est consacrée aux Orichas, à la culture afro-cubaine et aux légendes noires. Le style hésite entre Dali, Miro et le facteur Cheval. Tout ce qui est vertical est couvert de peintures murales, de fresques et de citations du maître. Partout s'accumulent réalisations d'art plastique, sculptures et autels de santeria. Celle ci, aussi vivace ici qu'à Salvador de Bahia leur permet de conserver leur identité culturelle en reconnaissant leurs racines africaines. Il faut y passer le dimanche, car l'animation musicale très locale de rumba ajoute à l'ambiance. Et le maître y est régulièrement présent.

Déambulations 

Autant Fidel n'apparaît pas souvent sur les murs, autant l'effigie du Che est partout. Son visage mais aussi des citations, pour édifier les foules, émuler la ferveur patriotique et révolutionnaire. Nous en reparlerons dans un encart spécial. Vue l'auréole il mérite bien ça.
A propos, si on se faisait un musée de la révolution, en passant. Il est superbement installé dans l'ancien palais gouvernemental. Ironie de l'histoire. Là vous voyez défiler la colonisation, l'esclavage, la canne à sucre, l'organisation des forces patriotiques et révolutionnaires contre l'Espagne  par José Marti dans les années 1870, la dictature. Viennent le débarquement du Granma, la saga de la guérilla. vêtements de guérilleros tachés de sang. Castro, le Che, Camillo Cienfuegos. puis le socialisme. Alors là. Ca ne vous suffit pas: On ira au  musée du Che. Demain.

La vie nocturne

Il faut s'arrêter dans les bars, au hasard. Tous hébergent les prestations "in vivo" de nombreux orchestres en tous genres. De la musique classique, du son, de la rumba, du Jazz.
La Havane vit beaucoup la nuit. Après les bars, il faut manger. Restos avec musique, à tous les prix. Mais Cuba ne nous laisse pas un souvenir impérissable de sa gastronomie. Partout vous trouvez porc ou poulet avec riz et bananes frites, concombres et tomates. Poisson, quelquefois, toujours trop cuit. C'est souvent bon, mais rarement excellent et généralement sans originalité ni épices.
Une expérience remarquable toutefois: le palador "Amor". Découvert dans le guide du routard, il est tenu par les propriétaires d'une grande demeure début de siècle. "Un ascenseur digne d'entrer au musée vous conduit au troisième étage où vous entrez dans un véritable palais. Enfilade de salons avec canapés d'époque, piano à queue, livres, sculptures. On vous y fait patienter en buvant un Daïquiri et en vous faisant découvrir le menu.  Puis on vous convie dans la salle à manger: quelques tables avec nappes blanches, couverts en argent, ambiance feutrée". La cuisine est "traditionnelle" et plutôt bonne et l'addition n'est pas non plus très épicée: de l'ordre de 10 $US tout compris.
Vous voilà repus et pour continuer votre soirée ailleurs, vous hélez une antique cadillac jaune citron ou rose bonbon des années 50  qui passe par là en vivant paisiblement sa vie de taxi.  Vous vous écroulez dans le siège en simili cuir et vous vous régalez de la bonne humeur du conducteur. Il est amoureux fou de sa voiture et ne cessera de vous en faire l'éloge.
Nous approchons de  23 heures. Maintenant ce sont les endroits où l'on danse et ils sont nombreux. Parmi eux, le célèbre "Palais de la Salsa".Mais là, c'est plutôt pour les jeunes. A notre grande honte, nous n'y sommes pas allés. Nous avons préféré "La Zorra y el Cuervo" (La renarde et le corbeau.). C'est un club célèbre de jazz latino dont le groupe à l'affiche est en permanence augmenté de musiciens de passage qui viennent faire un boeuf. L'ambiance est chaleureuse et cool. Pour tout dire...cubaine. D'ailleurs il ne se passe jamais une heure sans qu'un couple ou deux se mette à danser. Ce n'est pas fréquent dans nos clubs européens. Un autre endroit célèbre: "La casa de la Musica". C'est parait il le lieu où se donne toute la musique qui compte. Nous avons été voir, mais le groupe qui passait ce soir là était très jeune et très bruyant. Trop pour nos pauvres oreilles plus habituées au murmure de la mer.

Il faut penser aux safrans faussés.

Les jours passent agréablement à la marina Hemingway. Pourtant, il faut penser un peu au bateau et à ses safrans faussés: Durant les bords de près ou même de largue tribord amure que nous avons tirés pour venir ici, nous faisions environ 10 litres d'eau à l'heure par le tube de jaumière bâbord.... Ca ne peut pas durer comme ça.
Je prends donc contact avec un petit chantier attaché à la marina: Ils pourraient s'occuper de mon problème si je sors le bateau au sec. Pour ce faire, je pourrais profiter d'une grue qu'ils doivent faire venir pour entrer et sortir quelques bateaux qui sont déjà là, en train d'attendre. Après 3 rendez vous manqués en une semaine avec le responsable technique du chantier, je ne sais toujours pas quand nous pourrons être hissés à terre. Qu'en sera-t-il du délai de remise à l'eau si je suis mis au sec un jour ?... Je renonce!... Nous essayerons de traiter le problème plus loin, en Colombie... Ou au Panama...
Quelques jours plus tard, en parlant de mon problème avec un cubain, employé sur un autre bateau un peu plus loin, ce dernier me demande pourquoi je veux sortir le bateau. Ca va coûter plein d'argent et ca ne lui parait pas nécessaire... Selon lui, on doit pouvoir démonter puis remonter le safran dans l'eau, en plongée. Le chantier à coté pourra alors redresser la mèche et ça coûtera beaucoup moins cher. 
Une nuit de réflexion là dessus me convainc. Dès le lendemain, je prépare soigneusement l'opération avec quelques bouts et palans. Ensuite, après avoir bien répété l'opération avec mon ami cubain, en moins d'un quart d'heure le safran est démonté et tiré à terre.
Il faudra bien trois jours pour que le chantier redresse convenablement la mèche tordue. Mais ça devrait aller.
Le remontage sera un peu plus difficile. En effet, le safran qui pèse une cinquantaine de kilos à terre est beaucoup plus léger dans l'eau, mais il s'y équilibre à l'envers, la mèche en bas. Maintenir l'ensemble la mèche en haut, pour la faire entrer dans le tube de jaumière, est assez difficile et demande beaucoup d'efforts sous l'eau. Malgré tout, en plongeant à deux et avec Anyvonne pour tirer sur les bouts qui arrivent au winch, nous arrivons après quelques tentatives infructueuses, à présenter puis engager la mèche dans le tube, sans perdre le safran au fond du port. Le plus difficile est fait. Une heure plus tard, la timonerie est remontée et la barre fonctionne de nouveau. La réparation est réussie, à la cubaine et pour un prix inespéré. 

Le temps passe, il faut quitter la Havane

Le temps passe et nous devons continuer à avancer, si nous voulons échapper aux cyclones
Dans l'ouest de la mer des Caraïbes les premiers cyclones de la saison peuvent se produire en Juin. Ce sont alors des cyclones qui naissent sur place et ne laissent pas de préavis aux gens qui naviguent dans la zone... Conclusion: nous souhaitons avoir traversé et être arrivés en Colombie avant le 1er juin. Dans un mois.
D'ici là, notre intention est de doubler le Cabo San Antonio, à extrême ouest de Cuba puis de revenir le long de la cote sud, jusqu'à Cienfuegos quelques 300 milles à l'est. Cela fait donc environ 500 milles de cotes à parcourir, avant de mettre le cap au sud; il ne faut pas trop traîner. C'est surprenant ce que nous pouvons être pressés dans ce voyage. Ne trouvez vous pas ?
Nous quittons donc la Havane le 29 Avril, pour un saut direct jusqu'à l'île de la Juventud; une route d'environ 300 milles. Navigation sans histoire, au moins jusqu'au cap San Antonio que nous doublons le 1er mai 2000 à 00 heure exactement. Ensuite, ca se corse un peu. Il faut faire de l'est contre le vent, mais aussi contre la mer et le courant dans le canal du Yucatán. Nous étions prévenus par notre guide nautique, mais tout de même. Nous louvoyons vaillamment pour constater en fin de matinée qu'en deux bords de 3 heures chacun, nous avons progressé de moins de 7 milles. A ce rythme là, il nous faudra au moins 80 heures pour arriver à l'abri de la Juventud. Le moral n'est pas au plus haut... Nous décidons de mettre le moteur à contribution, pour tenter de trouver des contre-courants au ras de la côte. Ce n'est pas terrible mais c'est tout de même mieux. Le soir, nous avons progressé d'une bonne vingtaine de milles... 
La nuit, de fortes senteurs de forêts de pins nous viennent aux narines. C'est l'île des pins (ancien nom de l'île de la Juventud). L'espoir nous gagne.
Ainsi, en profitant des calmes nocturnes, du moteur et du peu de nord qu'il y a dans les vents du matin nous arrivons à la nuit tombante à mouiller dans la Bahia de Siguanea, sous les grosses jumelles des Guarda Frontera.

Les petits bonheurs de la côte sud.

De Juventud à Cienfuegos

Plongée bouteille à Juventud
L'île de la Juventud abrite les plus beaux sites de plongée de Cuba et donc aussi l'organisation la plus importante pour pratiquer cette activité. L'hôtel Colony situé tout près de la marina  n'est consacré qu'à ça. Trois ou quatre bateaux emmènent tous les matins les palanquées pour la journée sur les sites de plongée qui sont situés à une quinzaine de milles. Le capitaine en profite pour sortir sa panoplie de la naphtaline et consacrer une journée à visiter l'envers de la surface. Coraux, poissons, langoustes (enfin..). Très très beau. Deux plongées dans la journée, entrecoupées d'un déjeuner à la terrasse d'un restaurant planté sur pilotis dans de la baie, au milieu de rien. Le rêve.
Au retour de cette journée de plongée, nous avons la visite à bord de la championne du monde de plongée en apnée. Elle est cubaine et s'entraîne ici toute l'année avec son équipe. Elle se promène avec son bébé sur un bras et son mari à l'autre. Il est français et elle même devrait obtenir sous peu un passeport français. A mon avis, la France ne va pas tarder à faire parler d'elle dans le domaine de la plongée en apnée.
Aujourd'hui, elle cherche un mousqueton à ouverture en charge. Un des siens est cassé et on n'en trouve pas ici. Je comprends qu'il lui sert à se libérer de la gueuse qui l'entraîne au fond quand elle descend. Ca a l'air important. Je trouve dans les stocks de Getaway un mousqueton à réparer qui pourrait convenir. Tout le monde saute de joie, c'est bien plus que ce dont a besoin un bricoleur cubain pour régler un problème. En échange, son mari nous rapporte un gros poisson. 
Le troc je vous dis, c'est Cuba.
El Presido
En faisant le tour de l'île par le nord, nous apercevrons sur le rivage l'énorme masse d'El Presidio". C'est la prison modèle où Castro fut hébergé en 1954-55 après son attaque manquée contre la caserne de la Moncada à Santiago. 
Mais à partir d'ici et jusqu'à Cienfuegos, nous ne verrons ni n'entendrons plus de Guarda Frontera. Nos mouillages deviennent effectivement sauvages et solitaires.
- Le canal de la Cruz – 
Notre premier mouillage aura lieu à l'entrée de ce canal. Petit chenal mal balisé et peu profond, il devrait nous faire gagner une dizaine de milles demain matin pour sortir des cayes qui débordent Juventud sur toute sa partie est.
Coucher de soleil, oiseaux, calme et silence. Mangrove et donc moustiques aussi. Rien n'est parfait.
Tôt le matin, nous entreprenons le canal de la Cruz. 
Très vite nous remuons la vase alors qu'on devrait avoir 1.80 mètre de profondeur et le balisage ne ressemble à rien de connu. Marche arrière. Nous rebroussons chemin pour remonter au NW vers la passe de Quitasol qui nous rallonge le chemin mais sera plus sure.
- Cayo Campo - 
Le soir, après une journée de louvoyage sur mer plate  et peu de fonds, ( nous sommes abrités par les cayes du Sud Est) nous mouillons à l'abri du reef de Cayo Campo. L'endroit est superbe et très bien protégé.
C'est enfin les retrouvailles avec les eaux claires et nous pouvons faire quelques expéditions snorckeling. On en ramènera deux grosses langoustes. Enfin!  Les premières du voyage...
A notre retour, un pêcheur vient nous proposer encore des langoustes . Ca lui ferait tellement plaisir et c'est tellement bon marché... On se retrouve donc avec 6 énormes (enfin n'exagérons rien...) langoustes sur la table de la cuisine... Au barbecue, à la mayonnaise, en moqueca... Nous en serons rassasiés pour un bon moment... 
- Canalizo de Aguardiente
Après deux jours au calme de Cayo Campo, nous sortons de la barrière de cayes par le "Canalizo d'aguardiente". Déjà, le nom est séduisant. Mais c'est encore un petit chenal peu profond et peu balisé, à usage local. Renseignements pris, près des pêcheurs, ça devrait passer. La profondeur serait d'au moins 1.80 mètre .
Nous nous attaquons au chenal en fin de matinée, au meilleur de la visibilité. L'entrée est claire et bien délimitée par des balises et par la mangrove. Arrivés à la sortie le ressac nous accueille sur des fonds encombrés de coraux et le balisage, constitué de vagues perches, ne ressemble pas à celui qui est dessiné dans le guide! Nous mouillons au milieu du chenal. Pas très rassurant, c'est étroit et il y a pas mal de courant. Le capitaine part en annexe sonder les lieux pour vérifier la passe. Il est habité par le syndrome du talonnage bahaméen. Il semblerait bien y avoir entre 1.50 et 2 mètres, avec effectivement beaucoup de corail. Des pêcheurs nous observent et confirment: On doit pouvoir passer en rasant les perches sur bâbord.
Alors c'est reparti en rasant les perches. Et ca passe sans accroc, mais que d'adrénaline gaspillée...
Cayo Rosario
Le soir, nous mouillons là, sous la protection du reef. On y est seuls, tranquilles. Cuba commence à nous plaire.
De Cayo Largo à Cienfuegos
La progression vers l'est se poursuit contre le vent , sur une quarantaine de milles, jusqu'à Cayo Guano del Este. De petites étapes nous font passer par Cayo Largo et Cayo de Dios . Nous y mouillons toujours seuls, à l'abri de la barrière ou d'une caye. Toujours les oiseaux, le snorckeling et la chasse. On y dédaigne même une langouste, tant les excès de Cayo Campo sont encore vivaces.
Un phare immense est érigé sur Cayo Guano del Este. Ca devrait valoir la visite, mais le gardien n'a pas l'air très accueillant. Nous n'insistons pas.
En échange, nous plongeons pour ramener deux superbes lambis (gros coquillages de forme conique Ndlr) que nous avons appris à décortiquer aux Bahamas. Frappés et à la poêle, comme des Ormeaux, c'est excellent. (Ne pas oublier ail, beurre et persil)
Il nous reste une nuit de navigation, pour arriver à Cienfuegos en traversant les quarante milles du golfe de Cazone. Départ au coucher du soleil et au moteur, dans le calme crépusculaire. Le vent se lève vers minuit et c'est sous deux ris et un peu de génois que nous arrivons, guidés par un grand phare, devant l'entrée de la baie de Cienfuegos vers 5 heures du matin. La nuit est noire mais le balisage et l'éclairage sont excellents. Guidés par une succession de 4 ou 5 alignements, c'est en toute confiance, que nous pénétrons par l'entrée étroite de cette baie, au fond de laquelle nous découvrons la ville et la marina, au lever du soleil.

De Cienfuegos à Trinidad

Le lac de Constance à Cuba…

La baie de Cienfuegos : 
La baie de Cienfuegos est très profonde et abritée. La mer, ce matin, y est tout à fait plate et les quelques palais qui émergent de la nuit sur Punta Gorda, rappellent les paysages des grands lacs allemands. On croirait arriver à Lindau, sur le lac de Constance. C'est assez magique.
Aux quelques mats qui en émergent, nous repérons la marina. Elle est située à la racine de Punta Gorda, à deux kilomètres du centre ville. Tout autour s'élèvent des palais baroques multicolores et de grandes maisons en bois peint, façon Nouvelle Orléans.. 
Au XIXème siècle la ville était essentiellement peuplée de descendants d'esclaves noirs. Le gouvernement souhaitant "blanchir" cette population fit appel à un français - Jean Louis Laurent de Clouet. Celui ci fit venir des immigrants de Bordeaux et de Louisiane. Cela explique l'architecture des maisons construites sur la pointe.
Un demi siècle plus tard, la baie devient  un lieu de villégiature très couru  par les riches américains. Les mêmes qui allaient faire la fête à la Havane venaient ici se reposer un peu. La mafia a donc équipé l'endroit d'une infrastructure luxueuse et couvert Punta Gorda de casinos et de palaces. C'est là l'origine des palais qui nous entourent et dont nous nous apercevrons, en y regardant de plus près, que la plupart ne sont plus qu'une carcasse ouverte à tous les vents.
Nostalgie, nostalgie.
Punta Gordo : Un parfum de Dolce Vita
La pointe se visite à pied, tranquillement. Les rues sont calmes et bien entretenues. Elles sont bordées de vieilles maisons en bois et de petits pavillons plus récents, à l'architecture très typée années 60.
Nous nous laissons tenter par un Mojito au "Palacio del Valle". Immense palais entièrement construit en marbre par un milliardaire catalan au début du siècle, c'est une curiosité. Actuellement c'est un restaurant dont le bar est situé en terrasse, sur le toit. De là on a une vision panoramique sur toute la baie et nous y sommes seuls à goûter ce plaisir paisible. Nous redescendons en empruntant des escaliers monumentaux, bordés de grandes jarres contenant d'énormes plantes. Que du marbre; du sol au plafond. Partout. Une décoration délirante, de motifs arabes, occupe chaque centimètre carré vertical. Partout des statues d'inspiration grecque ou romaine remplissent l'espace. Délirant, c'est le mot..  Plus petit mais à peine plus sage que le Hurst Castle qu'on visite en Californie.
Au rez de chaussée, la salle à manger immense, rutilante et nappée de blanc. Mais vide aussi. 
Où sont donc les riches clients?.
Sans doute à hôtel "Jagua", juste à côté. Construit dans une partie du parc attenant au "Palacio del Valle", ce dernier allonge sur une centaine de mètres sa sinistre barre de béton du plus pur style soviétique, époque Staline. Admirablement situé, il dispose lui aussi de la vue sur la baie. Cet hôtel appartenait au fils de Batista.
Pour aller en ville, on peut choisir entre taxi et calèche (quasiment au même prix) ou encore aller à pied le long du Malécon. Au centre ville, une zone piétonne s'organise, dont la principale artère  est connue comme "El Boulevard". Très agréable pour lever le nez vers les façades à colonnades. La ville est animée et les gens sont souriants et aimables (Comme toujours ici). Au bout du "Boulevard", on débouche sur le "Parque José Marti".
C'est la place principale de Cienfuegos. Organisée autour d'un grand terre plein planté d'arbres, elle est bordée de la cathédrale, d'un grand palais assez "éclectique", de la mairie et du théâtre Tomas Terry. Ce dernier est une copie de théâtre à l'italienne qui a vu jouer Sarah Bernhart dans  la Dame aux Camélias et a vibré à la voix de Caruso. Quand même! Là, on peut s'arrêter au bar qui jouxte le théâtre. Nous y dégustons un Mojito à une minuscule terrasse où un orchestre de "Son" nous joue "Guantanamera"... Rien que pour nous...
Muy sympatico. Nous leur promettons de revenir les écouter demain, après leur avoir acheté une cassette.
"C'est magnifique"
Pour dîner, autour de la marina, quelques restos "à dollars" proposent des fruits de mer et un ou deux paladores  annoncent des plats de langoustes à 10$. 
Deux restos "à pesos" sont plus accessibles aux cubains et réellement bon marché pour nous.  Parmi eux: "El Cochinito". Comme son nom l'indique il propose du cochon. Si vous connaissez les décors façon Deschiens et si vous avez vu leur pièce "C'est Magnifique", vous y êtes tout a fait. Plus vrai que nature. La grande pièce verdâtre et haute de plafond est meublée de quelques tables rondes équipées chacune de 4 chaises . Si vous arrivez un peu tard, certaines tables sont vides mais toutes les chaises sont occupées. Un ballet de serveurs passe s'enquérir de vos désirs, repart vers la porte de la cuisine, façon western, revient extrêmement affairé. On ne comprend pas pourquoi, vu le petit nombre de couverts. Ils ont tous l'air d'avoir un rôle précis et ne font jamais qu'une chose à la fois. On s'attend à chaque instant à les voir exécuter leur ballet en rythme comme les acteurs de Jérôme Deschamps.
Le premier soir pas de chaises, donc pas de cochon.. On va manger en face... Moins Deschiens et plus classique.
On revient le lendemain. Le Cochinito est vide! On nous explique: hier c'était la fête des mères..  N'empêche, notre couple a l'air de leur poser problème. Ils scrutent la salle vide, sans savoir où nous mettre. Désarroi visible. Ouf! ça y est, on est assis. Sur le menu, les prix en pesos sont dérisoires. On nous sert une cuisine cubaine correcte. Tout à coup, branle bas de combat: Un groupe d'une vingtaine de jeunes étudiants débarque d'un bus et envahit bruyamment la salle. Ils déménagent les tables, réinstallent les chaises. C'est le binz dans le service. Panique totale. On se croirait vraiment au théâtre. Au bout de quelques minutes tout rentre finalement dans l'ordre.
Enfin jusqu'à ce qu'on nous présente l'addition...
Elle est rédigée en pesos et nous voulons payer en dollars... La conversion prendra un bon quart d'heure, mobilisera au moins 5 personnes et verra 5 ou 6 versions successives osciller  entre 4 et 27 $. La serveuse qui nous les présente exulte littéralement. Elle se réjouit visiblement de voir les responsables sortis de leur bureau, patauger sur leurs machine à calculer. Du coup elle nous donne du "Mi Amor" à tour de bras, en nous présentant les versions successives de l'addition que nous refusons. On finit par tomber d'accord, autour de 6 $, sur quelque chose de raisonnable. Ouf... 
Notre serveuse est aux anges... 
C'est Magnifi.iii.que.

Trinidad

Un superbe témoignage du luxe colonial. :
Il ne manque plus à notre bonheur et pour clore ce chapitre cubain que d'aller visiter Trinidad, à une centaine de kilomètres de là. C'est parait il la plus belle ville coloniale de Cuba. A voir absolument...Nous décidons d'y aller avec Roland, Jerry et sa soeur, (équipage d'un bateau ami), pour partager le coût de la voiture de location.
Dès 8 heures 30 nous nous entassons à cinq dans une petite auto et nous voila partis. La route, proche de la mer, traverse des paysages semblables à ceux d'Holguin: collines douces plantées de canne à sucre. De ci de là quelques palmiers et cocotiers, tropiques obligent... 
Nous arrivons à Trinidad pour être aiguillés par un itinéraire touristique  vers un parking obligatoire. 
Première impression très "Mont St Michel": étals de T shirts, gris-gris pour touristes, artisanats divers... Mais une fois passée la zone des marchands,  on se perd à flâner dans les petites rues aux pavés inégaux. (Ainsi s'exprime le guide du routard.) On prend le temps d'admirer les maisons coloniales et les palais. Tout est beau ici. Les fenêtres nous dévoilent un peu des richesses intérieures: fauteuils de style dans les entrées, marbres, objets raffinés, patios ombragés. De ci de là nous parviennent les échos des orchestres de "son" qui répètent avant leur prestation de midi dans les restaurants.
Cette ville fut très riche au temps des grandes plantations de canne à sucre et de l'esclavage. Aujourd'hui l'UNESCO tente d'en préserver le témoignage par un effort important de réhabilitation après l'avoir classée "Patrimoine de l'Humanité".
Nous y avons croisé un jeune cubain qui après des études de philologie s'est pris de passion pour les vieilles pierres de son pays. Il étudie maintenant la restauration dans une école installée ici et participe avec enthousiasme aux chantiers qui se développent partout. La ville regorge de musées et de galeries. Un musée d'architecture de présentation très moderne, une école de peinture qui propose des copies saisissantes de Renoir, Toulouse Lautrec.
C'est ici que fut tourné le feuilleton "Terre Indigo" pour TF1 .En milieu d'après midi, nous quittons Trinidad à regret. Nous aurions dû nous organiser pour y passer la nuit. Surtout pour la musique. Une autre fois. Nous repartons vers Cienfuegos par la vallée des moulins à sucre (Ce fût autour  de 1850 un gros centre économique.) et le massif de l'Escambray. Haut lieu de l'histoire révolutionnaire, ce massif était le refuge du Che et de ses guérilleros. La pluie y entretient une végétation luxuriante et la route cahotante s'y fraye péniblement un passage sinueux sur des pentes abruptes couvertes de pins et d'eucalyptus. Nous aurons fait notre pèlerinage sur les traces du Che, à défaut d'être allés nous recueillir devant son mausolée de Santa Clara.

Ciao Cuba, Hasta luego

Cap sur Carthagène

Ce 19 Mai, nous préparons activement le départ. Agromercado, Supermercado, la calle pour les pommes de terre..Téléphone aux enfants ,qui veulent bien répondre ,pour leur faire part de notre départ et soirée d'adieu avec Roland sur Brava. On se reverra sûrement. Il compte tirer vers l'Est mais on tente de le convaincre de choisir l'Ouest et le Pacifique (qu'il a déjà fait). Il sourit et a l'air d'hésiter. Alors Hasta Luego, ce fût bien agréable ces quelques journées ensemble.
Le lendemain, les formalités de sortie sont expédiées assez vite et à notre grand étonnement, ne semblent pas intéresser vraiment les douaniers. A 11 heures nous mettons en route, un peu barbouillés par les excès de la veille. (Bien sûr, c'est la faute à Roland qui nous a poussés à boire).
On se retrouve en mer avec le vent et la mer pile dans le nez. En s'aidant du moteur, on essayera de gagner un peu au sud, où en s'éloignant de l'île, le vent devrait être un peu moins sud. Ca durera ainsi jusqu'au 21 matin. Ensuite, le vent nous permettra de faire route au près serré mais, dans la bonne direction.
Vers 20 heures, ce 21 mai, nous passons à la nuit tombante, dans le chenal qui sépare "Caïman Brac" de "little Caïman", les deux îles orientales des célèbres Caïmans. Le vent ne nous aura pas permis de passer à l'Est de Caïman Brac comme prévu. Les garde-côtes nous appellent à la VHF et nous conseillent d'être vigilants avec les cargos: "Un voilier a coulé récemment à l'Est de la Jamaïque après une telle rencontre...". Mais nous sommes vigilants...
A partir du 22 mai, le vent nous permettra un près bon plein qui nous fera filer 6 noeuds au 150 quasiment jusqu'à Cartagene. Les 25 et 26 mai, les alentours du nord de Cartagène tiennent à conserver leur réputation et nous nous faisons secouer copieusement. Toujours au bon plein, le bateau joue au sous marin à mi temps. Mais il est moins étanche qu'un sous marin et la serpillière est très active dans le carré. On n'est pas bien brillants et on a hâte d'arriver!
Le 27 au soir, nous arrivons devant l'entrée de la rade de Cartagene. Toutes les lumières sont bien allumées et le chenal de Boca Chica clairement identifiable. Un seul moment d'hésitation quand nous tombons sur une bouée mal colorée, située sur le coté bâbord du chenal. Numérotée pair, ce devrait être une bouée rouge et donc située sur tribord. Panique à bord. Mais que fait le capitaine ? Il n'a même pas de carte récente du coin! Une consultation des autorités portuaires à la VHF ne nous apprend rien mais risque de nous faire venir un pilote. Enfin, tous point faits et vérifiés, nous continuons quand même en suivant de près les bouées rouges identifiées. Nous finissons ainsi par trouver le mouillage de la marina. Il est trois heures, l'ancre est au fond et nous au lit.
Nous constaterons au matin  que la bouée en question est une bouée sud que nous n'avions pas identifiée à son feu... 
Mais aussi, quelle idée de la numéroter pair….. 

Une conclusion sur Cuba?

Cuba n'est manifestement pas un endroit comme les autres, et pour une fois nous sommes tentés, pour conclure, de préciser notre opinion sur ce que nous avons vu ici. On sent bien que c'est vain et que nous ne saurons pas mieux dire que ce que nous avons déjà écrit. Alors...
Alors, nous laisserons parler quelques références dont nous conseillons la lecture:

  • Le guide du Routard

  • Guide dont on a abusé et qui est incontournable.(Mais pourquoi donne-t-il tant d'adresses d'hôtels hors de prix. Sa clientèle n'est pas celle là...) Pour l'hébergement, vous pouvez voir aussi avec l'association CubaLinda
  • "Monsieur Paul à Cuba" 

  • De Georges Wolinski chez Albin Michel. Doit être lu et relu au moins 10 fois, pour tout digérer. Tout Cuba est là et tout ce qui est là est cubain. (Sauf peut être la mairie de Paris...)
  • L'extrait du recueil de Florence Coppin 

  • Paru dans le bulletin de "Cuba Si France" * de septembre 99 (20 rue Denis Papin, 94200 Ivry  sur Seine. 01.45.15.11.43) que nous reproduisons en encart, sans son autorisation. (C'est difficile, de Colombie...). Nous aimerions l'avoir écrit...
  • Une pensée de notre ami Edgar, ethnologue de Caracas, qui nous disait en décembre 99: 

  • "La misère, ce n'est pas le manque d'argent ni de ressources, c'est d'abord et surtout le manque d'éducation, de culture... ". 
Nous en conclurons que les cubains ne sont pas misérables. Peut-être même qu'ils sont riches de ce qui leur sera nécessaire pour garder leur identité et lutter contre l'étouffement du dieu dollar.
 

* Cuba Si France est une association de soutien et de solidarité avec Cuba.( www.lesamisdecuba.com)
 

Cette association soutient de nombreux projets de co-développement franco-cubains dans les domaines scolaires et culturels.

Elle publie 4 bulletins par an, détaillant ses actions. En outre, elle tient un stand chaque année à la fête de l’huma.