LA GAZETTE DE L'A.R.B
Anyvonne Restaurant Bar
 
Les îles du Cap Vert -Le journal de bord
N°6 - Mars 1999

L'archipel

Le 13 Novembre, nous sommes  arrivés dans l'archipel du Cap Vert qui se trouve à environ 500 Kms au large  des côtes du Sénégal, à la hauteur de Dakar. 
L'archipel se présente sous la forme d'un fer à cheval ouvert à l'Ouest. Il est situé au coeur de la zone des alizés de Nord Est et  est formé au Nord des îles"au vent" (les Barlaventos) et à l'Est et au Sud des îles "sous le vent"  (les Sotaventos). Les îles sont toutes d'origine volcanique et sont ou bien très montagneuses et  abruptes  ou bien très plates et recouvertes de sable apporté par les vents d'Est depuis le  Sahara tout proche. 
La température de la mer reste toute l'année supérieure à 21°C
Situées à la latitude des  Antilles, ces îles sont beaucoup plus arides car très peu arrosées par les pluies. Les récits du XIXéme et même d'il y a quelques dizaines d'années parlent îles boisées, vertes et très productives de fruits et légumes. Largement arrosé à l'époque, l'archipel a vu la fréquence des pluies diminuer jusqu'à quasiment s'annuler. La seule eau apportée l'est par condensation de l'humidité sous les nuages, sur les versants "au vent" de ces îles montagneuses (Les versants nord donc...). Cette "désertification" est donc contemporaine  et est sans doute de même nature que celle du Sahel ??

L'archipel a été découvert inhabité au milieu du XVème siècle par les portugais et les îles se sont peuplées progressivement de colons (célibataires) venus du Portugal et d'esclaves noirs(e) ramenés(e) des côtes d'Afrique.
La "mise en esclavage" s'effectuait dans des conditions affreuses. Arrachés à leur milieu naturel (essentiellement l'ancienne Guinée Portugaise: Mandingues et Peuls) les esclaves étaient plongés dans un univers de langue, culture et religion totalement étrangers. Pour "faciliter" l'adaptation et réduire les capacités de résistance, on prenait soin  d'éparpiller les familles et de séparer les ethnies. Les tentatives de révolte et de fuite étaient respectivement punies  de la mort et du fouet.
En tout état de cause, au fil des siècles, blancs et noirs se sont mélangés à tel point qu'il n'y a aujourd'hui que très peu d'Africains de race pure au sein d'une population très métissée.
 
 
 

Sao Vicente

Notre arrivée
Pour changer un peu nos habitudes, nous avons abordé l'archipel par l'Ouest, à Mindelo. D'abord par amour de Césaria Evora...Un peu aussi  parce qu'aborder par l'Est, à Sal, nous avait été déconseillé aux Canaries.  (D'autres avis nous feront regretter plus tard de n'avoir pas visité Sal... Mais tant pis, ce sera pour le tour suivant....)

Nous atterrissons donc à Sao Vicente (Capitale : Mindelo) le Vendredi 13 Novembre dans l'après midi et nous découvrons un "morceau d'Afrique " qui nous apparaît bien différent des Canaries espagnoles. L'émotion est forte, après 8 Jours de mer... Enfin,  la rade par laquelle nous abordons ce "morceau d'Afrique" abrite, tout de même,  une bonne trentaine de voiliers de passage, dont 80% sont français...
Mindelo est une bonne base de départ pour la traversée de l'Atlantique. On peut y faire les formalités d'entrée et de sortie et  les denrées alimentaires y sont relativement abondantes. (Plus tard, à Brava, il nous sera impossible de trouver une tomate, un chou ou un concombre). 
La rade est donc très peuplée de bateaux à panneaux solaires et éoliennes. Avec le régulateur d'allure, ce sont les éléments caractéristiques des futurs "atlanticos". Il faut bien faire de l'électricité pour alimenter toute son électronique pendant 3 semaines....
Beaucoup de bateaux ne visitent pas le Cap Vert. Ils atterrissent à Sal ou à Mindelo, refont le plein de vivres et d'eau et repartent, le plus souvent vers les Antilles et plus rarement vers le Brésil.
La grande majorité des bateaux ici, est française. Les anglais, allemands et autres Nordiques partent directement  des Canaries ou de Madère vers les Antilles. Le Cap Vert ne les attire pas. Sans doute pour les raisons qui précisément attirent les français: l'exotisme, l'Afrique sans les troubles, l'absence de structure touristique...Il faut dire aussi que l'échange culturel France Cap Vert joue un grand rôle dans la promotion de ce pays. Ainsi que Césaria Evora....

Les menus inconvénients

Tout le monde nous prévient: "ça vole à Mindelo". Donc, fermer le bateau à chaque escapade, ne rien laisser traîner sur le pont, ne pas laisser le bateau seul à la nuit tombée et faire "garder" l'annexe quand on débarque à terre. En 2 semaines nous assisterons ainsi au vol de 3 annexes et d'un moteur hors bord de 15CV, ainsi qu'à la visite d'un voilier dont les propriétaires buvaient l'apéro sur un bateau ami, à moins de 100 mètres de là...A chaque fois et pour une durée très courte, l'annexe n'avait été ni cadenassée ni gardée ou le bateau était resté ouvert. J'ai ainsi acquis la conviction que les voleurs ne fracturaient pas ou pas souvent. Par contre ils devaient être en permanence aux aguets et profitaient IMMEDIATEMENT de CHAQUE occasion où une annexe ou un bateau était laissé seul, ouvert ou  non cadenassé.
L'ennui majeur de ces vols n'est pas la perte financière, c'est surtout que chaque objet volé est irremplaçable. Il n'y a rien de rien à acheter ici comme matériel. Et le Cap Vert sans annexe.... Il n'y a que des mouillages .... Alors, faire appel à un voisin pour débarquer à chaque course ou promenade.... Dur, dur....

Mindelo, la capitale culturelle du Cap Vert

Nous découvrirons Mindelo, au hasard de promenades à pied. Première surprise, (agréable après l'accueil un peu maussade du tourisme de masse des Canaries) : les gens vous sourient et disent bonjour. .Les touristes sont plutôt rares et nous sommes donc devenus "précieux"....Voyant que nous sommes français, (Ils ont deux chance sur trois de tomber juste) on nous aborde souvent pour le plaisir d'expérimenter le français appris à l'école et on nous raconte sa vie en un mélange de français et de Créole portugais dont nous ne comprenons pas tout...
Chaque île de l'archipel est “aidée " par un pays différent. Santo Antao par le Luxembourg, Sal par l'Allemagne, Boa Vista par l'Italie, Santiago par les US.... Cette île ci est aidée culturellement et économiquement par la France. Il y a une Alliance Française assez active à Mindelo avec cours de langue, bibliothèque et même projection de films américains en version française. Nous en profiterons un jeudi soir avec un film policier dont Johnny Depp était la vedette...
Les rues sont vivantes et joyeuses.  Bruyantes en tous cas... Bien qu'il n'y ait que  très peu de voitures il y a  malgré tout une infrastructure de signalisation digne d'une ville européenne. Des sens interdits et des stops à tous les coins de rues. Nous constaterons ce phénomène partout; même à Boa Vista où nous ne verrons jamais circuler 2 voitures à la fois.
Beaucoup d'efforts d'investissement ont été consentis pour la jeunesse et le sport. Au milieu de la misère et de rien, on trouve beaucoup de petits terrains de jeux et de sports; des écoles aussi, beaucoup de garderies d'enfants... Il faut dire qu'il y a énormément d'enfants dans les rues de Mindelo. 
Sur certains murs et pignons d'immeuble, beaucoup de peintures naïves très édifiantes engagent à lutter contre toutes sortes de fléaux: choléra, sida, drogue, décharges sauvages...Impressionnant de réalisme!!!

La bouffe

Le marché et"la vente à la sauvette" sont très actifs dans le centre de Mindelo. 
La halle du marché aux poissons, située au bord de l'eau, est fournie directement par les barques des pêcheurs locaux et dispose de toutes sortes d'espèces qui nous sont inconnues. Chaque arrivée de bateau est l'occasion d'un remue ménage extraordinairement actif et bruyant de toute la halle. Sans doute que des négociations ont lieu, dont le protocole nous échappe...Tout autour, des femmes proposent dans des bassines sur le trottoir des"maquereaux " séchés et des quartiers de thon couverts de mouches.  Leur offre se complète souvent de quelques légumes ou fruits: une vingtaine de petites tomates vertes, 5 pommes, 3 Kgs de pommes de terre, une dizaine de morceaux d'ignames...
Mais les légumes se trouvent principalement et en plus grandes quantités  sous la halle du marché aux légumes. Là, on trouve à peu près de tout, mais les produits aqueux ( tomates, concombres, citrons, oranges... ) se vendent assez (très?) cher et souvent à l'unité...Il y a même un peu de salade verte qui se vend à la feuille!!! Il est clair que la vie ici est assez chère. Même si nous "bénéficions" du tarif touristes, le prix des choses parait bien élevé par rapport à ce que semble être le revenu local moyen.
Pour le reste de l'alimentation, d'innombrables "mercearias" (toutes petites boutiques d'épicerie et fournitures diverses) et 2 ou 3 "supérettes " , sur lesquelles nous nous rabattrons,  proposent les produits de base: farine, sucre, pâtes, café, lait en poudre, quelques conserves et des haricots secs de toutes sortes: des blancs, des jaunes, des rouges, des beiges,.... des gros, des petits,.... des ronds, des ovales...du beurre en conserve hollandais, des laitages parfumés et gélatineux allemands et quelques yaourts "ethniques" fort aigres.
On trouvera là et à Santo Antao, mais nulle part ailleurs, un excellent fromage de chèvre de production locale.
Pour la viande, on ne trouve que du poulet surgelé et une espèce de chorizo en conserve, gras et rude à l'estomac...
On alternera donc poisson, poulet et oeufs; et le voyage, à défaut de former notre jeunesse va développer notre imagination culinaire. (Enfin surtout celle d'Anyvonne...)

La vie du port

Nous constatons dans ce port un fort mouvement de "bourses d'équipiers".
D'un coté, pas mal de skippers ou de couples d'atlanticos, inquiets de la faiblesse numérique et du manque d'expérience de leur équipage devant le grand saut.... 
De l'autre coté, beaucoup de jeunes routards (il y a pas mal de filles à pratiquer) qui ont découvert ce mode de stop plus ou moins par hasard. Ils n'ont souvent pas ou peu de connaissances ni même d'intérêt préalable pour le bateau. Juste un nouveau moyen pour eux, de traverser la mer ou plus généralement de voyager. On se demande où sont les jeunes voileux de l'école française, qui seraient susceptibles de constituer un bon équipage.... Paradoxalement,  ils n'ont pas l'air d'avoir le goût de l'aventure et semblent  préférer rester naviguer sur les côtes françaises.
Bref, une offre et une demande qui ne se correspondent pas exactement mais  qui permettent malgré tout à ces jeunes sans connaissance, de trouver des embarquements. Je ne sais pas quelle est l'ambiance dans les carrés 2 à 3 semaines plus tard, à l'arrivée de l'autre côté...
Le bateau stop semble donc être une expérience intéressante. Il faut juste  arriver au Cap Vert début Octobre pour pouvoir profiter des premiers départs importants vers les Antilles.

Les jeunes voileux français.... Ils ont aussi souvent leur propre bateau.... On a ainsi vu passer à Mindelo un muscadet rouge, un Sangria pimpant et un superbe armagnac tout jaune. Tous menés par de jeunes équipages français. Ainsi, Pierre sur l'Armagnac LA DENGUE  est un grand échalas dégingandé, sautillant, chantant et souriant; photographe reporter de son état et présentement en longues vacances. Il arrive de Cap Breton avec Bimbo, Suisse Roman qui n'avait jamais mis les pieds sur un voilier auparavant et qui avait répondu à une annonce de bourse d'équipiers dans Voiles et Voiliers. Pierre nous mime leur dialogue pendant les manoeuvres:

Pierre: Bimbo, tu peux border un peu le génois, s'il te plaît?
Bimbo: Ah oui, tu crois??? (Accent suisse traiiiiiinant...)
P.: Oui je crois! Tu veux bien le border???
B.: Tu en es bien sûr?
P.: Oui oui
B.: Vraiment?
P.: OUI!!!
B.: Ah bon . Alors je vais le border.

Pierre est tordu de rire, en racontant ça. 
Bimbo le regarde en souriant, attendri...: Ben oui, quoi! Il faut bien être sûr, si on ne veut pas faire une connerie....
Christina (suisse aussi) nous expliquera plus tard que tout suisse souhaite être assuré, voire réassuré plusieurs fois, avant d'entreprendre quoi que ce soit....
Imaginez les manoeuvres d'urgence! Mais Pierre est ravi de son équipier toujours souriant et aimable...et dont il va devoir se séparer à Mindelo, car son équipage de copains arrive par avion et l'Armagnac n'est pas un très grand bateau. 
Bimbo lui, trouvera un nouvel embarquement dans les deux jours...

Les rencontres

Un après midi nous voyons arriver  un couple de Français inconnus: "Alors les Paimpolais, comment bronze-t-on ici ????".  Ce sont Francis et Anne-Marie qui viennent de Lézardieux, connaissent notre bateau ainsi que Pascal et Agnès et ont déjà lu notre journal . Ils naviguent sur"BON VENT", un  joli Trismus  en alu et nous allons rester ensemble environ 2 semaines.

On rencontrera aussi Denis, bateau stoppeur des bords de la Garonne, en panne d'embarquement et qui voulait voir le Canada...;  Carole stoppeuse parisienne qui a navigué sur 4 bateaux différents depuis La Rochelle et est actuellement embarquée sur un bateau américain sur sa route de retour vers San Francisco. 
On va aussi rencontrer Aldo. C'est un Cap Verdien de 25/30 ans, qui a vécu 18 ans à Paris avec ses parents immigrés et qui a été prié de rentrer au pays pour 5 ans....(On ne saura pas pourquoi...) On va rapidement constituer un groupe d'une dizaine de personnes auquel Aldo servira de guide-interprète, pour le prix de ses repas et de ses boissons. Il est charmant, bien élevé et parle le Portugais mieux que nous....Tout ce petit monde se retrouve le soir pour manger , boire et  tenter (sans grand succès ) d'écouter de la musique cap verdienne. Visiblement ce n'est pas maintenant la haute saison musicale. Ce serait plutôt en été, lors des retours en vacances des immigrés, que tout bouge plus semble-t-il.

Aldo, originaire de Santo Antao nous convainc de traverser avec nos bateaux pour aller visiter son île, plutôt que d'utiliser le ferry comme nous prévoyions de le faire. Le conseil sera bon, car le port sera  agréable ainsi que la traversée sur GETAWAY et BON VENT qui embarqueront ainsi Aldo, Denis et Carole.
 

SANTO ANTAO

La traversée du canal de Santo Antao sera  très agréable. On y sera accompagné par un groupe de dauphins joueurs qu'Anyvonne s'efforcera de filmer.  On ne sait trop pourquoi, mais la vue des dauphins attendrit toujours tout le monde...
Arrivée à Porto Novo, au sud est de île. Le port n'est pas très grand, mais est bien abrité des vents dominants. Le village se situe juste au dessus , au bord d'une corniche. 
Problème essentiel: le débarquement. Le quai, à trois mètres au dessus de l'eau n'est plus équipé que de souvenirs d'échelles; et la petite plage attenante est séparée du quai par des rochers abrupts et glissants...Après essais, nous opterons pour le quai, en escaladant de gros pneus, pendus là en guise de pare battage pour le ferry. Les allers iront bien, mais les retours (surtout ceux d'après grogo) seront bruyants et sportifs. ..avec sauts intempestifs et atterrissages très peu précis dans le fou rire général.
Santo Antao est une île volcanique, au relief très abrupt et élevé (1980 mètres). Arrosée sur son versant nord, elle est riche de possibilités agricoles. Elle s'est malheureusement peu développée en raison de ses difficultés de communication extérieures (pas d'abris sûr) et intérieures (pas de route pour traverser cette île montagneuse). Ces deux problèmes ont trouvé une solution avec la construction dans les années 60 de la jetée de Porto Novo ainsi que d'une route spectaculaire qui escalade les sommets de île pour relier les cotes nord et sud.
Ainsi équipée, cette île réussit à approvisionner Sao Vicente en fruits, légumes et grogo.

Aldo va nous concocter une promenade en"aluguer" (taxi brousse local, ouvert ou fermé, qui ne démarre que quand il est complet.) Aujourd'hui, ce sera un aluguer spécialement affrété pour notre groupe et pour la journée. 
L'expédition commence vers 10 heures, sur le plateau ouvert de notre aluguer. On ne manquera ni d'air ni de mouvement. Les routes ici sont pavées et ont le profil très "scenic railway". Les amortisseurs seront très sollicités ainsi que nos fesses, comme vous pouvez l'imaginer....
Donc secoués, tressautants et rigolants (les trois premières heures c'est rigolo, si, si!!)  nous atteignons l'altitude de 1200 mètres. La température chute de 10°C et nous découvrons un ancien cratère volcanique assez spectaculaire. Nous poursuivons par une route tendue comme une corde à travers les montagnes, surplombant de profonde gorges, courant le long des crêtes à travers bancs de brume, forêts de pins et d'eucalyptus....Paysages intenses de falaises gigantesques et de vallées vertigineuses....
Cette route nous conduit au nord est de île, sur une côte fouettée par les alizés et par les rouleaux d'une mer très houleuse. Superbe terrain de jeux pour les véliplanchistes et autres surfers très aguerris....
Les vallées (ribeiras) que nous visiterons sont bien arrosées et donc propices aux cultures.
Dans la "ribeira de Paul", nous remonterons à pied le lit de la rivière qui est à sec présentement. C'est la saison sèche. Le spectacle est fastueux: manguiers, bananiers, caféiers, arbres à pain, papayes, cocotiers surplombent des bougainvillées à profusion. De petites fermes isolées, accrochées à flan de montagne cultivent la canne à sucre. Les paysans y broient la canne, pour en récolter le suc et en faire du "grogo" (C'est le rhum local).
On croise régulièrement des jeunes filles ou des fillettes qui font la navette et  portent sur la tête des bidons pleins de grogo (ou d'eau...) . Rapidement et très légèrement, elles montent et descendent  pieds nus le lit asséché. Il n'y a pas d'autre moyen d'accès à ces fermes.
Nous rentrerons cassés à Porto Novo vers 18 heures. Il fait nuit et très frais...Commence alors une manoeuvre importante et difficile: la recherche d'un endroit où dîner. Porto Novo est un petit bourg de 5000 habitants et nous sommes hors saison touristique. Les restaurants n'ouvrent donc que sur commande et on s'y prend un peu tard....Aldo nous laisse échoués dans un bistro, face au port, devant un litre de grogo et part en chasse. Il trouve quelque chose, revient, propose, repart, rediscute le prix d'un repas éventuel, revient encore, nous redemande.... veut faire bien, à l'extrême, a peur que nous soyons déçus, que nous trouvions l'attente trop longue, le plat trop cher.....Bref, Francis, Anne marie, Denis, Carole et nous, en sommes à la fin de notre litre de grogo additionné de mélasse, quand une demi heure de"démarches" (avec un restau situé à 200 mètres) aboutit à la promesse d'un"poulet frites", à  un prix abordable et qui pourra être servi d'ici une heure et demie... Là, on commence à comprendre qu'on n'est plus en Europe....COOL les mecs.... Ici on attend, on parlemente, on re-attend, on rediscute, on attend encore.....avec le sourire.....Au Cap Vert, il nous faudra en général compter deux heures entre l'apparition de l'envie de manger et le passage à l'acte. En 8 jours, on a fait des progrès.... On ne s'énerve plus....
Enfin, ce soir nous manquerons de perdre plusieurs équipiers et équipières entre l'annexe et le quai, en rentrant aux bateaux....Sacré Grogo!!!!
Retour à Mindelo.... Horreur!!! Le rallye des îles du soleil  (30 bateaux français d'un coup.) est arrivé et la rade est quasiment pleine de voiliers...Il nous faudra 3 essais de mouillage dans ce bazar avant d'arriver à se caser....
Nous apprenons qu'ils partent le surlendemain pour Santa Luzia. Nous décidons donc avec BON VENT de repartir dès demain, pour les y précéder et profiter dans le calme, de cette île déserte .

SANTA LUZIA

Après quelques heures de "près serré" (eh oui, il faut quelquefois remonter les alizés...) nous mouillons au sud ouest de l'île, devant une plage de quelques 6 Kms de long. Le sable blanc donne envie de débarquer pour se baigner....
Ce que l'on fait le lendemain, malgré la houle qui déferle de temps en temps en rouleaux sur la plage. Depuis notre bateau, nous voyons débarquer tranquillement Francis et Anne Marie. Mis en confiance, nous nous lançons aussi. L'arrivée est épique.... Une déferlante remplit l'annexe et la vide de ses occupants (en l'occurrence Gérard et moi) et de ses sacs, mais ne chavire pas. On émerge vite de l'eau pour hisser l'annexe au sec, et éviter de noyer le moteur.... Gérard avait judicieusement enfermé l'appareil photo dans un sac étanche... Par contre, on annule la promenade à pied, car le vent nous glace à travers nos vêtements trempés...On restera donc sécher, nus sur la plage...
Une heure plus tard, le rallye arrive et deux rallyemen débarquent sagement à la nage. Ils nous aiderons à réembarquer, pendant une petite période de calme entre 5 ou 6 rouleaux déferlants. Youppie, c'est reparti.  Mais quelle émotion!!!
Deux heures après, Francis et Anne Marie tenteront la même manoeuvre, dans les mêmes conditions, mais ils chavireront, moteur noyé, appareils photos noyés, lunettes perdues...Ils sont effondrés. Ils avaient laissé leur sac étanche bien au chaud sur le bateau...
Nous resterons ici 4 jours pour laisser au rallye, qui est reparti le lendemain pour Sao Nicolau, le temps de quitter cette île avant notre arrivée. Ce seront 4 jours sans débarquer, avec vent fort et gros rouleaux déferlants. Les hommes vont à la pêche sur BON VENT. Lecture et couture pour les dames sur GETAWAY. Rien que de très habituel en fait....(MACHOOOO!!)
Après ce repos forcé, on reprend la mer pour 4 heures de près serré jusqu'à Tarrafal, le port de Sao Nicolau.
 

SAO NICOLAU

Le petit port de Tarrafal (pêche et commerce) nous accueillera agréablement. Notre tactique a payé: le rallye commence à partir au moment où nous arrivons...Et c'est tant mieux, car avec 30 bateaux, le mouillage semble bien petit....
Les habitants nous apparaissent un peu plus réservés qu'à Mindelo. Moins bavards et moins souriants. Moins francisés aussi.
Le matin, au lever du jour, les barques de pêcheurs reviennent de leur sortie nocturne. Elles sont attendues sur le quai par un groupe compact et très bruyant surtout constitué de femmes; dont le débarquement du poisson, nous parait de loin provoquer le délire.  Gérard et Francis partent aux nouvelles. Le poisson rapporté semble être exclusivement du maquereau. En fait, c'est assez curieux, chaque femme, armée d'une bassine ou d'un seau ou d'un récipient quelconque s'efforce en hurlant d'obtenir qu'on remplisse son récipient. Quand elle a réussi, elle s'en va... pour quelquefois revenir avec un autre récipient. Aucune trace de papier ni d'argent apparaît au cours de ces "tractations".
Immergés dans cette foule, Francis et moi tentons de faire comprendre à un marin qu'on achèterait  bien 5 ou 6 maquereaux.... Il semble comprendre et nous demande un sac plastique. Ledit sac nous revient avec 5 bons Kgs de poisson et, à notre proposition de paiement, le marin nous répond qu'il ne veut rien.... 
Il y a sur le quai une conserverie de poisson qui est sans doute le principal consommateur des pêches. Peut être que cette "distribution" (gratuite?) est un peu un produit secondaire de la pêche "indusrtielle" pour alimenter les familles du village???
De ce poisson, Anyvonne fera des rillettes, dont tout le monde sait que ce sont sa spécialité.…
(Voir la recette dans le n° 1 de la gazette, Ndlr.)
Le lendemain matin, en débarquant pour une promenade sur île, Gérard va offrir au marin donateur, un pot de rillettes, en tentant de lui expliquer que c'est ce que nous avons fait du poisson qu'il nous a donné hier. En repartant, il regarde par dessus son épaule et voit l'homme se débarrasser de son pot sur un de ses collègues plus aventureux, qui l'ouvre et goûte prudemment le contenu du bout d'un doigt. Nous ne saurons jamais s'il l'ont mangé et même s'ils ont compris que c'était pour manger....

Nous sommes donc partis pour une ballade en Aluguer. Histoire de  traverser île et d'aller voir la côte Est et la mer au vent de île. Les paysages rappellent un peu Santo Antao, en moins raide. De belles ribeiras et des gens charmants. De belles promenades à faire à pied dans la montagne et dans de larges vallées, cultivées en terrasses. Les touristes semblent être rares...
La capitale, Ribeira Brava, est pimpante et propre, avec des maisons très colorées et des jardins ombragés. Nous y trouverons un petit restau  pour déjeuner, qui nous servira en une heure... Un exploit....
C'est ici que nous avons réalisé, qu'en gros une maison sur trois est une "mercearia",qu'une autre est un coiffeur et la dernière un logement..... Il faut dire qu'ici, beaucoup de femmes se promènent 3 jours sur 7 avec des bigoudis et du produit à défriser sur la  tête.
Le mardi soir, nous fêtons notre séparation d'avec BON VENT. Ils partent demain pour les Antilles via Brava. Ils voudraient y arriver pour Noël. (En fait nous aurons plus tard des liaisons radio avec eux et nous apprendrons qu'ils sont arrivés à St Martin le 24 au matin.)
Nous partons donc tous le mercredi à 13 heures avec un peu de nostalgie  et avec, plus spécialement pour nous, la perspective d'une nuit de navigation au près serré pour atteindre Boa Vista.  Nous y arriverons à  10 heures le lendemain.
Réflexion très fine du skipper après cette navigation: "Le bonheur n'est pas du tout dans le près. Il est plutôt dans le lagon..." Ah Ah! Ah!u
 

BOA VISTA

Boa Vista fait effectivement penser à un lagon. Des Kms de sable blanc; des eaux transparentes, des palmiers au loin. Île-plage, cette immense baie sablonneuse est un haut lieu de la planche à voile. Les plus grands champions viennent, paraît il, y faire des stages en décembre. Ceux que nous voyons évoluer (une demi-douzaine) sont effectivement assez impressionnants.
Cette île fait actuellement de gros efforts d'aménagement touristique, vu son aspect plutôt paradisiaque et ses possibilités de sport de glisse. Les gens du pays, habitués aux touristes sont avenants et bavards.
Cette île aurait la particularité de présenter des anomalies de champ magnétique qui faussent le jeu des compas marins. Entre 1842 et 1936, 63 bateaux s'y sont échoués...Merci seigneur GPS... Ceci étant, l'île est portée sur la carte presque 3 milles plus à l'Ouest que sa situation réelle...C'est la seule de l'archipel dans ce cas.
Nous resterons une bonne semaine au mouillage et croiserons  9 bateaux français, un américain et un finlandais.

Promenade

Cette île est très plate (altitude maxi: 390 mètres) et pour changer, nous allons pouvoir marcher... longtemps...
Partis à 11 heures, le long de la "Praia de Chave " (la plage de notre mouillage), nous voyons pour la première fois au Cap Vert, des dunes à perte de vue. 1 heure de marche dans le sable, le long des rouleaux qui déferlent et s'écrasent sur la plage, et nous croiserons 4 personnes.... Il paraît qu'en venant très tôt le matin, on peut voir des tortues marines venir se dorer au soleil. Mais aujourd'hui, il y a trop de vent et de rouleaux.
Nous atteignons  les restes d'une ancienne  briqueterie, dont seule la cheminée en briques rouges émerge vraiment de son ensablement. Ces ruines émergeant à peine du sable, dispersées sous les "tamareiras" font assez irréelles. Le fantôme de l'industrie Capverdienne y rôde sûrement les soirs de tempête...
Sur le retour un peu désertique,  on traverse le village de Rabil, avec son église de 1801 qui rappelle les apports coloniaux. Nous y absorbons quelques croquettes de poissons arrosées de CLEB'S (le nom de la bière pression locale) dans un restau tout neuf, tenu par un Suisso-Capverdien de retour au pays (Fortune faite???).
Un peu plus loin, on trouve une plantation de "Tamareiras " , sorte de palmiers-dattiers émergeant d'un même pied par bouquets de 3 à 6 troncs. C'est un havre d'ombre et de fraîcheur. Une idée de l'oasis...
Les ampoules pointent dans les chaussures quand,  vers 16 heures 30 nous sommes de retour à notre point de départ, à Sal Rei. Le nom de ce village rappelle le sel de qualité royale que produisaient jadis des salines aujourd'hui ensablées.
L'arrêt au bar, face au port nous fait découvrir qu'un concert de Césaria Evora est prévu sur l'île la semaine prochaine, le 9 décembre. Dieu est grand!  et nous, décidés à rester!!....
Il est l'heure du retour  vers le bateau; et là, les choses se présentent moyennement bien. Le vent est très fort aujourd'hui et si l'embarquement sur la plage du port où repose l'annexe, semble sans problèmes à condition de bien se synchroniser avec les vagues, on dirait que de temps en temps, au milieu du port, la houle parvient à déferler.... Comme prévu on embarque donc sans encombre et vogue la galère, moteur à fond...Et comme possible sinon prévu, une déferlante se forme en plein milieu du port et nous rattrape à 100 mètres du rivage....Et voila tout l'équipage viré à l'eau, qui s'accroche à l'annexe et tente d'arrêter ce p.... de moteur!!! Encore une fois, l'annexe ne s'est pas retournée et nous avons pu la réintégrer et fuir aussi vite que possible cette zone hostile...

The concert.

Ce mercredi, la houle qui nous sépare du débarcadère (à un bon demi mille du bateau) est impressionnante. Notre aventure de l'autre jour nous a un peu refroidis et nous nous poserons toute la journée la question: "J'y va ti , j'y va ti pas???". Le concert semble compromis...Pour l'aller, passe encore, mais revenir à minuit, sans lune, dans ces conditions de houle nous effraie un peu...
Allons, courage... Pour se cultiver, qu'est ce qu'on ne ferait pas... Et nous voila partis en maillot, nos tenues propres dans le sac étanche. Nous débarquerons rincés, mais sans problème majeur . On rencontre trois autres équipages français qui ont eux aussi bravé les éléments pour le concert de ce soir. On dîne avec eux et on se sent tous plus forts à l'idée qu'on sera quatre annexes à embarquer (à dessaler???) à minuit dans le noir.....
Le concert à lieu dans un club italien très chic, à 1 Km au nord du village. On croise la vedette au bar en allant prendre un pot d'attente, avant de rejoindre un amphithéâtre à ciel ouvert où va avoir lieu le concert. Les spectateurs sont majoritairement des italiens du club. Dommage... Mais des "ethniques " arrivent aussi, peu à peu. Ce ne sont pas les plus pauvres de île...(à 30 F. la place, ce qui équivaut à 300 F. chez nous....)
Pendant tout le concert, on sera sous le charme. Césaria est accompagnée entre autres, d'un guitariste (BAU) et d'un sax extraordinaires... On termine le concert tous debouts, contre la scène et c'est assez génial... On est contents et émus.
Le retour se fera sans problème et tout le monde regagnera son bateau en jouant un cache cache anxieux dans la houle; complètement rincé, mais dans des annexes à l'endroit...
C'est à cette occasion que nous avons fait la connaissance de l'équipage d'ALTAÏR (François et Françoise). Ils sont partis de BINIC en Septembre. Décidément la Bretagne Nord est bien présente sous ces latitudes.... Ils projettent comme nous d'aller voir Santiago, mais ils nous convainquent d'aller mouiller à Tarrafal (encore un autre)  plutôt qu'à la capitale Praïa comme nous avions prévu.
Le lendemain, nous mettons les voiles pour Santiago à 16 heures.u
 

SANTIAGO

La traversée durera la nuit, et s'effectuera dans les "brumes de sable" causées par "l'harmattan". C'est un fort vent de Nord Nord Est qui porte le sable du Sahara. 
Nous arrivons vers 9 heures dans un paysage de carte postale après avoir évité toute la flottille des barques des pêcheurs locaux, que nous avons découvertes au dernier moment dans les creux d'une houle de 3 mètres. Plage blanche bordée de cocotiers, barques de pêche multicolores alignées sur le sable...
Trois bateaux se balancent déjà au mouillage. O surprise, il y a là TANIWHA avec Daniel et Christina, que l'on avait perdus de vue depuis La Goméra et que l'on pensait partis à Dakar où ils veulent travailler un an pour refaire la caisse de bord. Effusions... Petit déjeuner à leur bord... Arrive Louis, de MISSA VEM mouillé à coté. Ils devaient partir tous les trois demain pour Dakar. Ils vont rester deux jours de plus, avec nous.
 Christina nous fait découvrir le village, le marché, les bonnes mercearias...Ils sont là depuis plus d'un mois et ont eu un vrai coup de coeur pour cet endroit. Avec elle, nous allons aussi commander notre dîner de ce soir chez Titine, le petit restau routier très ethnique des conducteurs d'aluguers. 
Tous les équipages s'y retrouveront donc le soir pour manger "feijoada" et poulet sur une longue table tendue de toile cirée, à côté du petit bar situé dans le coin de la pièce. Tout cela nous ramène aux bistrots-épiceries de notre enfance en Bretagne il y a 40 ans. Ils nous en coûtera l'équivalent de  30 Frs pour deux. (Bières comprises)
Le lendemain les hommes vont pêcher (François a un fusil) pour alimenter le BBQ prévu pour la soirée de départ.
Dimanche, TANIWHA et MISSA VEM partent pour Dakar. Coups de trompe et émotion....
Il est possible que l'on retrouve MISSA VEM à Salvador, car Louis qui est réunionnais prévoyait d'être là bas pour le carnaval, avant de filer sur Bonne espérance et son île natale où il veut s'installer pour pêcher des langoustes. Je dis "prévoyait", car il est tombé en avarie de moteur au Cap Vert et c'est juste pour réparer qu'il “ retourne " sur Dakar. Alors...
Lundi on arrête la Savarine qu'on prenait quotidiennement depuis notre arrivée au Cap Vert et qui nous donnait tous les jours des nausées. On n'a pas vu la queue d'un moustique ici! Alors zut! on reverra le problème au Brésil...

Journée expédition en Aluguer - Mode d'emploi:

- Trouver le coin d'où ils partent vers votre destination.
- Y aller pour se faire aborder, donner sa destination (Praïa, en l'occurrence ) demander le prix (exagéré pour les touristes), proposer le prix habituel (trouvé dans le guide) et tomber d'accord la dessus.
- (9 heures) Monter dans le véhicule. (Ici les aluguers sont des Hiace ou Toyotas fermés. Le luxe à 1ère vue.) 
- Attendre ....jusqu'à ce qu'il y ait au moins 10 personnes à bord. 
- (9 heures 30) Il démarre..... dans la mauvaise direction. Bizarre! et fait le tour du village en klaxonnant pour revenir à son point de départ , avec peut être quelques passagers en plus.
(10 heures) On est enfin "plein." C'est à dire 21 dans notre cas...3 à l'avant, 4 rangées  de 4 derrière et 2 debout devant la porte coulissante latérale.…
-C'est parti!
Nos voisins sont souriants mais ne bavardent pas. Nos voisines sont plus réservées encore, limite hautaines. Elles font le signe de croix à chaque démarrage....Ca ne nous rassure pas !!.
Les clients se font déposer où ils veulent sur le trajet et l'aluguer reprend alors d'autres personnes qui lui font signe sur la route.
Santiago est très montagneuse et nous retrouvons  des paysages abrupts comme à Sao Nicolau et de belles vallées très cultivées.
Nous abordons Praïa, capitale   administrative du Cap Vert par les quartiers périphériques assez pauvres, avec beaucoup de petits enfants quasi nus dans la poussière de cahutes en parpaings bruts, dont l'intérieur dévoile des clous aux murs, des mousses par terre, quelques bouts de rideaux déchirés et des cuvettes plastiques... 
Seule consolation dans cette désolation: ils n'ont pas froid...

Feuilleton administratif

Nous sommes venus à Praïa faire les formalités de sortie des services d'immigration.. (Nous avions fait celles d'entrée à Mindelo) Ces formalités ne peuvent être faites qu'à Sal, Mindelo et Praïa et nous avons été prévenus par nos copains de TANIWHA que le fonctionnaire de Praïa refusait de faire la sortie quand le bateau n'était pas dans son port. Il refusera donc de faire nos formalités s'il sait que le bateau est resté à Tarrafal...
Pourquoi donc ne pas aller à Praïa en bateau comme prévu au départ??? Parce que le port est moche, éloigné du centre ville et peu sûr.... Parce que surtout, la descente de Tarrafal à Praïa est assez pénible dans les couloirs d'accélération du canal de Fogo. Voilà pourquoi!!!
Bref, nous allons tenter de nous faire tamponner nos papiers sans bateau sur place. Nous avons bien imaginé quelques mensonges du genre panne moteur, départ obligé sur Brava...que sais je? Enfin nous ne disposons de rien de convaincant...
1- 14 heures. Descente au port en taxi  (10 Francs)
Au bureau d'immigration, personne
Question au collègue du bureau voisin: Il revient quand.? 
Le collègue: Je ne sais pas, je ne connais pas ses heures.
Nous: Vous êtes sûr qu'il va revenir?
le collègue: Non... Peut-être vers 16 heures.... S'il revient...
Déprime, sur un quai en béton écrasé de soleil par 35°C à l'ombre.... Des bateaux déchargent des thons, des femmes hurlent autour(est ce cela la criée?) . Le coup de chaleur nous guette....
2- On remonte en ville en taxi (Re 10 Francs).  Un banc public ombragé nous console et nous repose....
3- Retour au port à 16 heures (Re 10 Francs). Re bureau et re personne....
Du monde partout sur le quai, en salopette. Des  travailleurs du port en groupes. Ca s'agite, ca crie... façon manif ou sit in en France...Mais non ils ne sont pas en grève... Alors????
17 heures, toujours personne au bureau. On hésite à repartir. Mais on y tient à ce papier. Et puis on est à l'ombre maintenant. Alors on décide d'attendre encore un peu.
17 heures 15- Un Capverdien décontracté arrive au bureau. Miracle, c'est le bon et en plus il parle un peu français! Suit le dialogue dans lequel Gérard tentera de ne pas être pris en flagrant délit de mensonge....
Lui- Vous êtes arrivés ce matin ?
Nous- Oui...Oui, ce matin...
Lui - Votre bateau est blanc ?
Nous- Oui...Oui...Blanc...
Taille-poids-âge... Poids-âge-taille.... du capitaine, du bateau,....Remplissage de papiers....On n'a toujours pas menti...
Lui- Vous partez quand  ?
Nous- Demain matin
Lui- Vous êtes passés au bureau du port ?
Nous- Non, Pas encore...
Lui- Vous y passez après ?
Nous- mmm...mmm...
Lui- Quelle direction ?
Nous- Le Brésil via Brava.
Il nous demande deux photos et IL NOUS TAMPONNE NOS PASSEPORTS !!!!

17 heures 45. On est sortis....On se demande comment le skipper du bateau blanc que nous voyons dans le port et qui a dû arriver ce matin, sera accueilli quand il viendra faire sa sortie....
Mais on ne se le demande pas trop longtemps, car il est urgent de rentrer à Tarrafal...
Re taxi donc vers le départ des aluguers. Y A PLUS d'aluguer pour Tarrafal, à 60 Km d'ici. Il est trop tard ...L'aluguer restant s'arrête à Assomada, qui est environ à mi chemin. On le prend, on verra bien.
A Assomada, renégociation pour continuer.... Au tarif taxi pour touristes....Il est 19 heures, il fait nuit, on est dans la montagne, à 35 km du but...On cède.... A 20 heures 15 on est rentrés.

Nous ferons une autre ballade en aluguer, dans le coeur agricole de île. Santiago a été la première à être colonisée et a toujours eu une vocation agricole. Les colons y ont fait venir des esclaves à partir de 1520. Les communications difficiles avec l'intérieur montagneux ont contribué à en préserver le caractère africain.. Les habitants sont ici nettement plus noirs que dans les autres îles. C'est ici que nous verrons le plus de femmes porter des charges sur la tête Cette charge peut être constituée de 2 cageots pleins, de bidons, de plaques de 3 douzaines d'oeufs empilées,... Ces gros poids sont posés sur une sorte de couronne rembourrée de tissus (façon couronne de Noël sans guirlande). Ca leur donne une de ces allures....Seules les femmes ou les filles portent comme cela. Vous pouvez rajouter un bébé de six mois sanglé dans le dos, par un pagne enroulé sur la poitrine et vous avez une idée du seul moyen de manutention local...En plus des ânes...
 

FOGO

D'un commun accord, avec ALTAIR, nous passerons par Fogo. Nous partons un jour avant eux à 5  heures 30 du matin. La mer est agitée et assez creuse. A mi-route, je  m'aperçois que le profil d'enrouleur de génois est cassé...catastrophe!!! On enroule à la main, en prenant garde à ne rien déchirer et on envoie une trinquette sur l'étai largable. Juste avant d'atteindre le couloir d'accélération du canal de Brava et ses 35 noeuds de vent...Nous arrivons à Porto dos Cavaleiros vers 15h30.
Port en pleine campagne, jetée en travaux, camions, grues, poussière et fortes rafales de vent.... Mais pas de houle... Alors on verra demain!
Toute la nuit à me demander comment je vais bien faire pour réparer l'enrouleur....Le matin, démontage du génois, de l'enrouleur et de l'étai.... En fait, c'est le tube d'entraînement du profil d'enrouleur qui a cassé. Une bonne surprise: il y a suffisamment de réserve de tube enfilé dans le profil, pour remplacer le bout qui a cassé! Et donc, scie à métaux, rivets pop, beaucoup d'efforts pour remonter l'étai sur sa cadène et le tour est joué. On y aura passé l'essentiel de la journée, mais quel soulagement....Tout est réparé quand ALTAIR nous rejoint.
Le lendemain, visite du bourg de Sao Felipe à 5 Kms. On fait du stop et ça marche...
Fogo est un volcan encore en activité (Fogo signifie feu) qui a été peuplé très tôt, a été une riche colonie et a gardé un patrimoine urbain et architectural étonnant. Les maisons peintes  en jaune, bleu ou rose ont des toits pentus, des balcons, des cours intérieures, une courette fermée en façade avec des plantes décoratives. Beaucoup de petites places plantées d'arbres, des promenades le long de la falaise qui surplombe la mer. L'ensemble fait assez soigné et montre un souci esthétique qu'on n'a trouvé nulle part ailleurs au Cap Vert.
Le lendemain, pluie fine toute la journée. Pas assez toutefois, pour rincer le bateau qui est tout noir de la poussière de sable venu du Sahara. Nous en profitons pour repartir vers Brava, que l'on voit en face à 10 milles nautiques.u
 

BRAVA

Furna

Le port qui nous accueille est une jolie baie toute ronde, qui forme un bon abri naturel  situé au pied d'un cirque qui a jadis été cultivé en terrasse. Vue la configuration, ce doit être un ancien cratère inondé. Quelques maisons à balcon assez décrépites sur le bord de mer témoignent  d'une splendeur passée. A part quelques exceptions, les constructions plus récentes  sont peu finies et imbriquées en ruelles biscornues et défoncées...
Mais les sourires!!!... Omniprésents sur tous les visages, ils font oublier la pauvreté ambiante.
Manifestement, nous sommes attendus.... BON VENT est passé par ici, sur sa route des Antilles et nous a annoncés....
Tony, puis José (des connaissances de Pascal et Agnès lors de leur passage il y a quelques années)  sont sur le port au premier débarquement. Nous sommes conviés à boire un pot le premier soir chez José. Il nous accueille dans le salon, à l'étage de sa belle maison, au centre du village (C'est une des exceptions citées plus haut) et nous verrons passer une bonne partie de sa famille. (José à 8 enfants, de 2 à 22 ans et sa fille aînée a elle même une fille de 2 ans.) La conversation cahote en français et en "portugais simplifié". "Pascual" est resté pour José  un ami"très joli, très joli". (La bonne utilisation des adjectif n'est pas si facile dans une langue étrangère., et José fait des efforts en français.)
Nous rencontrerons Albert aussi, un jeune pêcheur  de 23 ans qui nous apportera une langouste, pêchée presque sous notre bateau.. A fréquenter les bateaux français il parle assez bien notre langue qu'il a apprise sur le tas. 
Sa fréquentation nous fera mieux comprendre le système de troc qu'ils pratiquent avec nous. 
Jamais Albert n'acceptera d'être payé pour les poissons qu'il nous apporte.. Il acceptera simplement cigarettes, bières et repas sur le bateau. Une ceinture de plomb aussi,, pour plonger, qu'il me demandera gentiment. Il aimerait bien des palmes. Mais là, je n'ai pas  et il n'insistera pas...Il y a à la base une tradition d'accueil, de don et de gentillesse . Ils donnent, aident, conseillent et attendent que quelque chose vienne en retour. Quelque chose qui seraient des objets introuvables ou luxueux  ici et dont nous sommes censés disposer à profusion à l'intérieur de notre bateau..
Ils sont assez accoutumés à recevoir régulièrement tout cela de leurs parents immigrés en Europe ou aux US et trouvent donc normal que les"riches européens" apportent leurs objets alors qu'ils les aident, les guident  et les conseillent...
Bref, nous sommes une attraction et une caverne d'Ali Baba....

Mais aussi, la vie est dure ici. Brava représente sans doute le plus spéctaculairement la désertification des îles que nous avons déjà évoquée. Des récits vieux de quelques années, parlent d'une île prospère où poussent en abondance les fruits, les légumes, le mais et la canne à sucre. José parle de cette époque avec nostalgie. C'était il y a 7 ou 8 ans...Depuis, pas de pluie... Tout est sec maintenant et les terrasses sont vides de culture. Aujourd'hui, en 2 semaines, nous n'auront pas réussi à trouver une tomate ou un chou à acheter dans île. Tout vient de Santiago par le Ferry, sauf le poisson qui lui repart dans l'autre sens et est maintenant la seule ressource de île. Je crois qu'à Brava, la vie sera de plus en plus dure....Albert nous dira très"philosophe": Oui, mais ici on a toujours à manger, il suffit d'aller pêcher... C'est là que nous ressentons la"morna" du Cap Vert, cette musique qui exprime la nostalgie de l'exil obligé et en même temps l'enfermement de ceux qui restent dans leur petite île.
Nous passerons la soirée de Noël chez  José, devant un BBQ de poissons et de langoustes que nous sommes allés pêcher avec lui le matin. A onze heures, aluguer pour la messe de minuit à Nova Sintra la capitale, à 7 kms dans la montagne. Une procession et une messe créole, dont nous garderons les oreilles charmées.
La semaine suivante, un vent fort s'est levé et la mer s'est creusée. Aucun pêcheur n'est sorti de la semaine et le port est devenu moins sympa. D'autant qu'il fallait le partager avec le ferry qui passe ses week end au mouillage ici.
Le premier de l'an devait être aussi l'occasion de participer à d'autres festivités plus musicales et paiennes. Mais notre nuit du réveillon s'est passée sur les bateaux, à veiller les ancres qui menacaient de déraper dans une forte houle, devant d'énormes rouleaux qui déferlaient sur le bord, à  20 mètres derrière nous. Le ferry a du remouiller dans la nuit. Et puis encore une fois le matin, nous obligeant alors à en faire autant. Nous n'aurons donc rien vu des festivités du nouvel an à Brava....
Nous apprendrons à connaître un peu le village. Il se résume à deux rues principales à angle droit, en plus du bord de mer. Autour de ça, s'organisent de petites ruelles tortueuses faites de petites habitations assez sommaires. Une porte sur deux dans les rues principales s'ouvre sur une mercearia. Nous essaierons d'en pratiquer le maximum, car nous sommes observés à la loupe et nous essayerons de contenter tout le monde. On leur donne des surnoms pour s'y retrouver: Il y a Claudia Cardinale  (son portrait en noir et en plus enveloppé), La ralouse (qui a toujours l'air en colère mais n'arrète pas de se marrer), Belles lunettes (qui parle français derrière d'éternelles lunettes miroir et que Gérard trouve plutôt"faux jeton")...
Et il y a Ziniah aussi, une grosse sympa, chez qui on va boire des bières sur le port. 
C'est là que nous réaliserons, après deux mois de Cap Vert, qu'il n'y a aucun artisanat ici. Personne ne travaille à créer des objets. Pas de"souvenirs" à acheter....Les gens semblent se moquer éperdument de l'esthétique de leur environnement, de leur maion, de leur rue... Aucune fleur...Pas"d'arrangements ".... Seul leur propre aspect leur importe. Ils sont bien habillés, bien coiffés, soignés avec un souci esthétique certain.

On prépare le départ.

Gérard et François feront le plein d'eau, entourés des femmes du quartier, à la fontaine du village. En portant leurs jerricans aux bateaux, ils s'attirent  les regards réprobateurs des hommes en train de palabrer dans les rues: ici, ce sont les femmes qui sont de corvée d'eau. Elles font ça très bien en portant les bidons sur leur tête....
C'est dans ce contexte qu'il nous faudra faire l'avitaillement en frais, pour trois semaines de traversée...Pour avoir le choix, c'est à dire pour trouver bananes, Pommes de terre, oignons, pommes et oranges. Il faut faire toutes les mercearias le jour de l'arrivée du Ferry qui apporte le frais de Praïa, car certaines mercearias auront des denrées que d'autres n'auront pas.
Mais dans tous les cas, ni choux, ni tomates, ni concombres... Nous serons au régime légumes secs pendant toute la traversée

C'est ici qu'ALTAIR nous quittera pour les Antilles, deux jours avant que nous recevions notre courrier et que nous nous lancions nous mêmes pour le grand saut....avec un pincement au coeur, le 7 Janvier 1999.
 
 

Conclusion: Allez y, au Cap Vert. Vous ne le regretterez pas...

Bibiographie: 

"Guide des Iles du Cap Vert", de Pierre Sorgial aux éd. Karthala, 22 Bd Arago , Paris 13
"Cabotage  - à l'écoute du chant des Iles du Cap Vert" de Marc Trillard aux  éd. Phébus
Et pour le plaisir des yeux:
"Heureux qui comme IRIS" de Karine Huet et Yvon Le Corre aux éd. Gallimard (magnifiques dessin et aquarelles)