LA GAZETTE DE L'A.R.B
Anyvonne Restaurant Bar
 
Cuba - Le commerce
N°14 - Novembre 2000
Les commerces et les trafics de la Calle 

Durant toute promenade dans la ville vous êtes la cible des rabatteurs de paladores  et des vendeurs de cigares. Ce sont souvent les mêmes. L'offre de vente de cigares à la sauvette dans la rue est pressante et permanente. Il se dit que la plupart des cigares vendus ainsi sont des faux. Les autres, des vrais, sont détournés des manufactures par des réseaux qui forment une véritable industrie parallèle. Il est déconseillé d'en acheter ainsi, car cela peut être n'importe quoi au prix des originaux... Mais avec de bons tuyaux on peut acheter vrai et faire quelques économies. Gare à la douane au retour: Ils confisquent tout ce qui dépasse 5 boites et  n'a pas de justificatif d'achat.
La rue abrite ainsi toutes sortes de trafics. On peut dire que trafiquer est sans doute le deuxième sport national après le Base Ball. Tout se vend à la sauvette dans la calle. Un vrai marché parallèle fonctionne ainsi, pour des pommes de terre, pour des pâtes et pour un tas d'autres denrées.
On a entendu parler de cette femme qui vendait des spaghettis en vrac dans la Calle. Son mari travaillait dans une fabrique de pâtes et en perçant dans l'emballage un trou minuscule, il taxait chaque paquet de quelques spaghettis. A la fin de la journée, sa femme avait renouvelé son stock pour le lendemain.
Tout n'est pas aussi artisanal On peut aussi trouver de plus gros objets. De l'occasion, et aussi du neuf.

Pour acheter de gros objets, il faut le mode d'emploi: 
Imaginez que vous convoitiez un outil quelconque ou un appareil électroménager ou n'importe quoi, qui soit achetable en dollars. Vous vous rendez dans le magasin adéquat, (Il n'y en a pas beaucoup mais il y en a. ) vous visitez l'étal et notez ostensiblement les références de ce qui vous intéresse. Vous ressortez du magasin et attendez quelques instants aux alentours, dans votre voiture ou sur le trottoir. 
Assez rapidement un cubain vous aborde:
- Vous cherchez quelque chose?
- Euh.. Mouiii... Je cherche une scie sauteuse...
- Ah bon... Vous connaissez la référence?
- Oui, la voici
- Je crois que je peux vous trouver ça. Attendez moi dans une demi heure au coin, là bas...
Et il s'éloigne avec votre référence...
Une demi heure plus tard, à l'endroit convenu, il vous livre votre scie, dans son emballage d'origine et à moitié prix.
Dieu seul sait d'où elle vient... (Peut être que le diable aussi...)
Les autres structures commerciales.
Les magasins collectifs 

Le système de distribution des denrées de base aux cubains est régi par "la libreta". C'est une sorte de livret de distribution mensuelle qui donne accès quasi gratuitement, dans des magasins d'état, à des quantités plutôt faibles de denrées peu variées. Le système est fréquemment en rupture de stock et pour nous autres, enfants de l'abondance, tous ces magasins d'état montrent la même tristesse. Abondamment meublés d'étagères vides, ils sont assaillis de longues queues dès l'arrivage d'un produit. Les touristes n'y ont évidemment pas accès.
En tant qu'étranger, vous pouvez par contre acheter viande, légumes et fruits en pesos dans les "agromercados". Certains qui sont bien achalandés rappellent nos marchés de province. Pour une bourse française, les prix sont alors minimes et bien plus avantageux que dans les "supermercados"

Les supermercados

Ce sont des "petits super marchés" approvisionnés à peu près en tout mais payables en dollars et chers. Certains jours, il n'y a plus de sel; d'autres plus de pommes de terre (pourtant à 25 fr. le Kg) ou plus de yaourts. Mais bon, on s'adapte. 
C'est quand même bombance par rapport au Cap Vert. 
Surtout, vous trouvez là des denrées inachetables (trop chères) par les cubains et introuvables par eux dans leurs boutiques à pesos. 

Conclusion

tout le pays fonctionne dans un système de double marché: "à dollars" et "à pesos". Pour accéder au marché à dollars auquel ils ont droit maintenant mais qui était leur était interdit il y a quelques années, les cubains doivent se lancer dans la course aux dollars. 

Le Roi Vert

La course aux $$$
Ironie de l'histoire, le Dollar devient roi à Cuba et la chasse au billet vert est en passe de devenir une institution nationale. Vous sentez la pression à peine débarqué. Tout le monde vous en réclame (avec le Coca Cola). On a la désagréable impression d'être, pour les cubains, l'oncle Picsou aux poches dégoulinantes de fric et aux yeux en forme de $$ (C'est d'ailleurs sans doute un peu vrai). 
C'est la seconde nuisance après la présence collante des Guarda Frontera. En 1989, la chute de l'URSS provoqua pour les cubains une crise très grave. C'était leur premier et quasi unique client mais aussi leur principal fournisseur de produits importés. Tout se passait dans un système de troc démonetarisé. Subitement ce système s'écroule en laissant Cuba face à un marché international régi par le dollar et sur lequel les Américains leur infligent depuis 1961 un blocus sévère. Les cubains ne possèdent aucune réserve de devises pour y payer leurs achats. La pénurie fût terrible et provoqua une vague importante d'émigration. 
Tous les moyens imaginables pour faire entrer des dollars seront mis en oeuvre par le gouvernement.
Cela provoque des situations assez inattendues. 
Un exemple: la langouste dont le littoral cubain regorge (regorgeait?) et qui est fortement demandée par un marché solvable a été déclarée source de dollars stratégique. Elle est donc réservée à l'exportation et aux touristes des hôtels. Les cubains n'ont pas le droit d'en manger. La peine encourue est la prison !
Le tourisme est vite identifié comme un moyen important d'accès aux devises. On lance rapidement la mise en place d'infrastructures d'accueil et on organise un marché spécifique pour permettre aux touristes de consommer en payant en dollars. Ce marché "à dollars" regroupe toutes les prestations purement touristiques et un réseau de magasins où se trouvent les produits "exotiques" nécesssaires aux étrangers. Les prix, sur ce marché sont aligné sur ceux de l'extérieur. Donc si vous circulez dans les structures touristiques ou si vous consommez à l'européenne, tout est cher... C'est à dire au moins aux prix européens. 
A côté de ce marché de l'abondance, les cubains étaient censés continuer à vivre avec leur système de redistribution socialiste qui est plus habitué à la pénurie, surtout dans cette période de crise. On ne trouve pas grand chose sur le marché "à pesos" mais ce qu'on y trouve est près de 100 fois moins cher que sur celui "à dollars". 
Le capitaine dira que cela ne veut rien dire et qu'aucune comparaison n'est possible... Mais en tout état de cause pour les locaux, le but journalier devient de se procurer des dollars. Ne serait ce que pour se payer une bière au bar. (1 $US = 1/15ème du salaire mensuel...) 
Peut être pour augmenter encore le flux des entrées de devises, le pouvoir a dépénalisé la possession de dollars par les cubains en 1993. Depuis, la course s'est effectivement intensifiée. La tendance générale est de s'approcher de l'étranger ou du visiteur par les professions touristiques. Dès que vous avez fait des études de langues ou que vous êtes enseignant, vous vous recyclez dans le tourisme. Quel que soit le poste que vous y occuperez, vous pouvez espérer, par un simple pourboire, décupler votre salaire mensuel et accéder au marché "à dollars" pour améliorer l'ordinaire...Beaucoup de cubains "aisés", avocats, médecins, etc... laissent tomber leur profession quand ils disposent d'une maison assez grande pour louer quelques chambres à 20 $ la nuit... Ou pour ouvrir un palador (restaurant privé) de quelques tables.
Les petits trafics
A côté de ces moyens licites et taxés, toutes sortes de trafics illicites se développent. La vente à la sauvette de cigares vrais ou faux et plus généralement de produits plus ou moins détournés du marché officiel.
Taxi improvisé
Un moyen efficace, si vous avez la chance de disposer d'une voiture d'entreprise, est de jouer au taxi pendant vos heures de travail. Vous pouvez ramasser ainsi une dizaine de dollars par jour. 
En 1996 dans "Loués soient nos seigneurs", Régis Debray écrit:  "Les guérilleros ont voulu tuer le dollars dans les têtes et en retour le dollars les tue corps et bien..."
Espérons qu'il se trompe! Le discours (malheureusement résumé) de nos amis cubains, c'est qu'ils sont las de l'ordinaire, des restrictions, des ravaudages de la vie courante... Les touristes débarquent par paquet de 300 avec leurs fringues de marque et leurs gaspillages. Et ils auraient bien envie, eux aussi, de fringues de marque et de gaspillage. Mais ne leur parlez pas de "Way of Life" à l'américaine! Ca non. Ils sont très fiers de leur culture, de leur système éducatif, de leur musique, de leur médecine et savent très bien ce qui se passe dans les autres pays d'Amérique Latine qui sont sous l'influence des US. Ils voudraient surtout que cesse la "période spéciale" d'austérité qui dure depuis 1990.Actuellement c'est déjà mieux qu'il y a cinq ans. Les réalisations pour le tourisme poussent partout et les devises rentrent à flot (le tourisme rapporte plus de devises que la canne à sucre...). Les effets du blocus économique américain s'estompent donc un peu. Des professions se libéralisent, les voyages à l'étranger  (chers d'accord!) deviennent possibles, les capitaux européens sont bienvenus (mais contrôlés).
Ce qui est inquiétant c'est le sentiment de frustration d'une partie de la population (la plus entreprenante ??) qui désirerait exercer son esprit d'entreprise et voir celui ci payé à la mesure de son talent et non de ses besoins prédéfinis. Souhaitons que le contrôle serré d'un excès de libéralisme permette et la satisfaction des entrepreneurs et la sauvegarde de leur culture du "bonheur pour tous"... En évitant les dérapages façon Allemagne de l'est.