LA GAZETTE DE L'A.R.B
Anyvonne Restaurant Bar
 
Madagascar - Le journal de bord
N°32- Novembre 2007

 


 

Finir la traversée de l’océan Indien

Après deux mois passés à nous prélasser aux Seychelles, nous commençons à sentir des fourmis dans les safrans…
Et puis comme "en Mai, fais ce qu'il te plait…", mais surtout parce que c'est la fenêtre idéale dans la région pour une croisière vers le sud, nous décidons que c'est le moment de reprendre notre route vers Madagascar.

La route vers Madagascar.

Sur la zone de l'océan Indien qui sépare les Seychelles de Madagascar, les alizés de sud-est soufflent régulièrement de mai à novembre. Les guides nautiques conseillent cette période pour y entreprendre une navigation sans risque car le reste de l'année les vents sont plus incertains et surtout c'est la saison des cyclones.
Sans risque… Sans doute, mais qu'en est-il du confort?
Pour aller à Madagascar la route est au sud-ouest sur près de 700 milles. Quasiment perpendiculaire aux vents dominants elle laisse donc espérer une traversée au portant, avec le vent par le travers, ce qui n'est pas désagréable.
Pourtant, plusieurs voisins de mouillage, qui naviguent depuis de nombreuses années dans le triangle Kenya-Seychelles-Madagascar, nous mettent en garde:
C'est vrai, les alizés soufflent régulièrement de juin à octobre, mais ils soufflent fort aussi… Généralement à plus de 25 nœuds… Avec la mer qui va avec...
En plus, dans la région du cap d'Ambre (l'extrémité nord de Madagascar) ils se renforcent systématiquement à 30-35 nœuds et, avec le fort courant qu'il y a là bas, la mer est très agitée et désordonnée.
Ce n'est pas souvent une partie de plaisir…
Moralité?
- Traverser de préférence pendant la période de transition (autour du 15 mai), quand les alizés ne sont pas encore bien établis et la mer pas trop forte, mais que le risque de cyclone est déjà assez faible.
- Eviter de s'approcher du cap d'Ambre. Passer à bonne distance (autour de 60 milles) et laisser porter vers l'ouest plutôt que s'acharner à lutter contre vent et courant… Abattre même jusque vers Mayotte si nécessaire. Quand on atteint la latitude 11°30 Sud le vent tombe systématiquement et il ne reste plus alors qu'à revenir vers l'est au moteur pour atteindre les côtes nord-ouest de Mada.

Voilà pour les conditions météo.


Mais ce passage s'organise aussi avec quelques contraintes administratives:
La route empruntée passe au voisinage de plusieurs petits archipels qui appartiennent tous aux Seychelles: les îles Providence, Amirantes, Coetquivy, Farqhar… Un peu à l'ouest de la route on trouve même Aldabra: un des plus grands atolls du monde (le plus grand?), qui est maintenant classé réserve marine au "patrimoine mondial" de l'UNESCO. Autant d'occasions de se laisser tenter par une escale et couper ainsi dans la longueur de la traversée.
Oui mais... Pour obtenir des autorités seychelloises l'indispensable permis de visiter ces îles, on ne doit pas avoir fait les formalités de sortie du pays. Il faudrait donc revenir à Mahé après la "visite des îles", pour faire ces formalités! (Un petit détour de 700 milles en plus!)

Quelques malins trouvent des astuces pour obtenir le permis en même temps que les tampons de sortie; d'autres préfèrent ne rien prévoir et risquer l'affrontement avec les représentants locaux des autorités…
Sur Getaway, nous décidons de faire le trajet non-stop et nous n'aurons donc ni à ruser, ni à risquer le courroux des autorités seychelloises…

Pour toutes ces raisons, nous levons l'ancre à Port Launay, sur l'île de Mahé, le 9 mai au petit matin; cap sur Farqhar, la terre la plus sud des Seychelles, à près de 400 milles dans le 280, exactement dans la direction du cap d'Ambre… Si nous réussissons à atteindre cet objectif en serrant un peu le vent, nous aurons alors une petite marge pour laisser porter, au moment de traverser la zone la plus désagréable, au nord du cap d'Ambre.

Le premier jour, le vent bien installé au Sud-Est ne dépasse pas une douzaine de nœuds et la mer reste plate. Confort et bonheur règnent à bord… Il faut dire que sur Getaway, le second va rarement sans le premier…
Hélas, ça se gâte dès le deuxième jour: le vent se renforce à plus de 20 nœuds, mais surtout il recule au Sud-Sud-Est. Il faut réduire et border les voiles pour conserver notre cap, et affronter au près quasi serré une mer qui s'est alignée sur la force du vent... L'étrave tape dur dans les lames et les vagues balaient régulièrement le pont. Beaucoup de bruit à bord…
Le confort a disparu et le bonheur avec… La navigation sereine fait place à l'attente impatiente… Celle d'arriver vite au niveau de Farqhar pour pouvoir abattre un peu…

Ça dure deux jours comme ça…

Le 12 mai au petit matin, nous approchons enfin la côte nord de l'île.
Encore un atoll sans relief, bas sur l'eau, qui ne se laisse pas deviner à plus de deux ou trois milles et ne provoque pas de gros échos radar… Dans la direction où devrait se trouver l'île, pas bien loin, on finit quand même par apercevoir sur l'horizon un trait sombre qui s'épaissit peu à peu, en forme de palmeraie.
Nombreux allers-retours entre les jumelles du cockpit et la table à cartes, histoire de vérifier que ce qu'on voit devant nous correspond bien à notre situation sur la carte…
Comme le plus souvent, tout est conforme… et la confiance s'installe à mesure que nous nous approchons de la côte. Parvenus sous le vent de l'île, sur une mer aplatie et pacifiée, nous cherchons la passe qui donne accès au lagon, jusqu'au village.
Nous finissons par la deviner devant nous, sur des fonds qui remontent à quelques mètres, parsemés de nombreuses patates de corail .

Si les voies du seigneur sont toujours impénétrables, celle de la passe de Farqhar nous parait bien improbable ce matin… Comme on n'a pas prévu de s'attarder longtemps et qu'à l'endroit où nous sommes, on est déjà bien à l'abri de la mer, on décide de mouiller là plutôt que d'aller dépenser de l'adrénaline dans la passe…

Vous avez sans doute remarqué que nous venons, sans trop le dire, de décider d'une escale imprévue sur notre plan initial… En effet, c'est peu dire que l'abri offert par cette côte est bienvenu et nous avons vraiment très envie d'en profiter pour nous reposer un peu…
Nous reposer… Réfléchir aussi: Jusqu'à quand allons nous rester ici? Quel avenir nous réserve à court terme la météo?
Nous ne recevons pas du tout le bulletin météo quotidien que devrait émettre la capitainerie de Mayotte, le matin en BLU. Nous ne disposons que de prévisions de vent à 3 jours reçues quotidiennement par mel, grâce à Sailmail. Elles sont produites automatiquement à partir d’un modèle mondial exploité par les US et ne tiennent sans doute pas grand compte des micro climats locaux; mais avec un peu d'expérience c'est quand même une indication assez fiable sur les conditions de vent à venir.
Et que prévoit "l'indication fiable" pour les jours qui viennent? Eh bien, qu'à partir de demain les vents vont plutôt avoir tendance à se renforcer et que nous n'aurons pas d'amélioration dans notre avenir prévisible…
Si nous ne voulons pas prendre racine ici, il est sans doute préférable d'affronter nos démons sans délai! Nous décidons donc de repartir dès ce soir pour les 200 milles de mer qui s'agitent devant nous. Si tout va bien, après demain nous devrions avoir passé l'obstacle!

Convenablement reposés par cette journée de farniente, nous levons l'ancre et remettons à la voile un peu avant le coucher du soleil.
Le vent souffle à 25 nœuds et nous filons sous grand voile à deux ris.
Profitant du répit offert par les dix premiers milles parcourus à l'abri de l'atoll, nous peaufinons l'organisation de l'intérieur du bateau pour résister au chahut qui nous attend…
" Et si on en profitait pour amener le troisième ris tout de suite, avant que ça secoue vraiment et qu'il fasse complètement noir?" demande le capitaine.
" On pourra toujours le renvoyer plus tard si la précaution se révèle excessive…"
Il faut dire que la manœuvre du troisième ris est plus compliquée que celle des deux premiers… La bosse de ris n'est pas à poste et il faut aller faire l'acrobate sur le rouf pour la faire passer par l'œillet correspondant de la grand voile partiellement affalée qui se démène dans le vent, avant de la saisir sur la bôme qui, entraînée par la voile, s’agite frénétiquement elle aussi…
Brrr, on n'aime pas bien… Surtout dans le noir…
Bref, poser la question c'est y répondre: On installe tout de suite le troisième ris avant que ça se mette à bouger vraiment et que la nuit tombe complètement…

Et comme prévu, sitôt sortis de l'abri de Farqhar, ça gigote effectivement… Mais nous naviguons maintenant sur une allure proche du bon plein. La gîte n'est pas si forte et le bateau passe bien dans les vagues. Ça fait beaucoup moins de bruit que la nuit passée…
Ce qu'on n'avait pas prévu par contre, c'est la vitesse: plus de huit nœuds, sous notre voile à trois ris… Le courant doit y être pour beaucoup !

Au matin, le spectacle est dehors… Vent établi à 30 nœuds, mer blanche d'écume. Getaway monte et descend avec les vagues et les creux, mais il ne tape pas et fonce toujours autant. Cette nuit, nous avons parcouru près de cent milles et le soir venu nous aurons presque couvert 200 milles en 24 heures (195 exactement). C'est un record historique pour Getaway!
Et comme ça va plus vite, ça dure aussi moins longtemps… Déjà, en fin d'après midi nous commençons à percevoir une amélioration des conditions. Le vent semble mollir un peu et la mer parait moins creuse. Vers minuit, par 12° sud, le vent s'éteint même complètement.
Nous mettons alors au moteur et le cap au sud-est vers Madagascar.
Grâce à la vitesse, aidée par le courant, l' épreuve qui devait s'éterniser 36 à 48 heures n'en aura finalement duré que 24…

Toute la journée suivante se passera au calme, avec quand même deux ou trois petites tentatives de mettre à la voile, sans grand résultat.
Le 14 mai en fin d'après midi nous arrivons en face de Nosy Mitsio dont les superbes falaises calcaires nous invitent au mouillage…
Il reste encore 40 milles à parcourir avant Nosy Be, notre destination et port d'entrée dans le pays… Trop loin pour arriver avant la nuit…

Nous succombons donc à la tentation de l'étape et peu avant le coucher du soleil nous laissons filer notre ancre pour la première fois dans les eaux malgaches!

Fin de traversée, la croisière va enfin pouvoir commencer à s'amuser…

 

 

Madagascar, notre première étape africaine.


Arriver à Madagascar

Repartis dès l'aube des Mistsio, nous arrivons dans l'après midi à Nosy Be. A peine avons-nous mouillé devant Hellville, la capitale de l'île, que Getaway est abordé par un groupe de jeunes malgaches qui se propose de nous transporter, guider, aider… pour accomplir nos formalités d'entrée…
- Combien ça coûtera?
- Ça dépend… On verra…
Pas moyen d'obtenir un prix…
Bah, on verra bien… De toutes façons, ça ne nous ruinera sûrement pas et ça accélérera sans doute cette opération fastidieuse dont nous ne connaissons pas le protocole local.
Nos amis Monique et Michel, croisés aux Seychelles, nous avaient donné quelques prénoms de jeunes gens "fiables" qui "travaillent" dans le coin: Justement, c'est l'un d'eux, Mamadou, qui mène le groupe venu nous accueillir. On se laisse donc faire et voilà le capitaine parti, accompagné de Mamadou, Sergio et Jean Louis, pour effectuer le tour des administrations locales.
La première étape se trouve sur le quai du port: c'est la police des frontières, chargée aussi de l'immigration. Dans un vieux conteneur blanc et rouille, meublé d'un bureau et deux chaises, une imposante malgache en uniforme jette un œil à nos papiers, nous donne quelques formulaires à remplir et conserve nos passeports pour y apposer le visa malgache. Je comprends qu'il faudra venir les récupérer quand nous aurons terminé le circuit. Une petite discussion s'engage alors sur la durée de validité du visa qu'elle va nous accorder.
- 30 jours dit elle.
- Renouvelable combien de fois?
- Ce n'est pas renouvelable. Mais, pour le même prix je peux vous faire un visa de 90 jours, si vous voulez…
Qui n'est pas renouvelable non plus, mais c'est quand même deux mois de gagnés…

Précisons que les dialogues se déroulent en français et que c'est bien agréable après ces années anglophones.

Le reste du circuit passe par les affaires maritimes, la douane et la capitainerie. Aux affaires maritimes, on me demande d'aller faire une photocopie du formulaire vierge avant de le remplir. (Il n'y en a plus que deux exemplaires originaux dans le bureau…)
La recherche d'un photocopieur sera l'occasion d'un premier tour de la ville. Un tour complet d'ailleurs! Car il n'y a plus d'électricité à Nosy Be depuis plusieurs semaines - (De temps en temps elle réapparaît pour quelques heures, mais c'est tout à fait exceptionnel et sporadique) - et il nous faut trouver un photocopieur qui dispose de son propre groupe électrogène… Nous n'y réussirons qu'à la troisième tentative.
Pour pouvoir payer les formalités et les guides, en "Ariaris" (la monnaie locale), il faut aussi trouver un distributeur de monnaie qui fonctionne. Il y en a trois en ville et seul le second que nous visiterons acceptera notre carte Visa… Le premier ne devait pas avoir de groupe électrogène!
Heureusement que le capitaine est guidé et véhiculé!!! Dans ces conditions, le tour complet ne prendra guère plus d'une heure.
Ramené au bateau après ce parcours d'obstacles, on règle une addition de 40.000 Ariaris à nos guides (entre 15 et 20 euros). C'est évidemment une fortune ici, mais quel confort et que de temps gagné.

En plus ça aura permis de faire la connaissance de Mamadou: 26 ans, père retraité de la gendarmerie malgache, mère comorienne retournée dans son pays avec ses filles depuis plus de dix ans… Mamadou, resté ici avec son père et ses frères, ne l'a jamais revue depuis son départ: "Elle nous a sans doute oubliés depuis tout ce temps…" Sourire nostalgique mais œil rieur.. Il est lui même marié et a une petite fille de 5 ans.
Mamadou sera notre chauffeur de taxi chaque fois qu'il sera disponible lors de nos passages à Hellville (Grâce aux téléphones portables, les rendez vous sont simples).
Son problème, c'est qu'il n'aime pas trop faire le taxi. Ce qu'il voudrait lui, c'est qu'on lui confie la responsabilité d'un bateau. Il est skipper et a déjà eu l'occasion de prendre en charge deux voiliers dans la région. Pour en faire le gardiennage, pour faire du charter… Alors le taxi, les rues, la poussière… Mais on fait avec ce qu'on a et surtout on ne perd pas espoir…
Comme il a participé récemment à la vente d’un voilier, il a touché une commission qui lui a permis d'acheter sa Peugeot (plus chic qu'une 4L).
Ainsi, il fait le taxi de novembre à mai, quand il n'y a plus de voiliers dans le coin mais que les paquebots passent par là, chargés de touristes.


Découverte de la riviera malgache

Nosy Be est le haut lieu du tourisme malgache. Nosy veut dire île et Be signifie grande… En plus des paquebots qui font escale de temps en temps, tout ce que Mada compte de visiteurs vient y passer quelques temps en fin de séjour, pour se remettre des raids fatigants et poussiéreux à travers la grande terre. On en vante les eaux claires, les plages blanches bordées de cocotiers…
La carte postale tropicale quoi!

Hellville… Quel nom bizarre!


Hellville paraît un nom d'un goût douteux, aux visiteurs anglo saxons. Beaucoup, qui n'imaginent pas que dans le monde autour d'eux on puisse s'exprimer autrement qu'en anglais, traduisent ce nom par "ville de l'enfer".
En fait, ce n'est pas ça; et l'enfer est innocent du nom donné à cette cité.

C'est le glorieux amiral De Hell, grand français devant l'éternel, qui a généreusement donné son nom à la ville au XIXème siècle, après avoir signé le premier traité de protectorat avec un royaume côtier Sakalava qui était alors en lutte avec la monarchie Merina, de l'intérieur .

Tout ce beau monde arrive ici par Hellville, ancienne sous préfecture de la colonisation, qui est l'unique "ville" de l'île et son centre nerveux.

De ci, de là, on aperçoit quelques vestiges témoignant de la splendeur "sous préfectorale", mais dans la décrépitude générale qui règne ici, ce sont des traces un peu fantomatiques.


En commençant par le port.

Haut en couleur, cradingue, bruyant, chaleureux…
Pas de joli petit ponton flottant où débarquer élégamment depuis nos annexes…
Le quai, qui est le seul point d'accès à terre, sert surtout à la manutention de tout ce qui arrive à Nosy Be par bateau : passagers indigènes, fruits, touristes, bananes, tissu, riz…
Le plus souvent boutres*, petits cargos et bateaux taxis pour touristes occupent déjà toute la longueur du quai et se disputent l'accès à la cale de débarquement. C'est donc eux qu'il faut aborder pour traverser leur pont, escalader les rambardes et les sacs, dire bonjour à tout ce monde souriant et blagueur et atteindre enfin la terre ferme… Ambiance…
Dans ce contexte, notre premier problème de touristes flottants concerne la procédure de protection de notre annexe: où la laisser, avec son zuuuberbe moteur 15cv, pendant qu'on est en ville?
Il n'y a pas d'endroit calme où l'amarrer, à l'abri du trafic portuaire et des concupiscences. Si on ne la hisse pas au sec, il faut pouvoir la déplacer en fonction des allées et venues des bateaux usagers…
La solution se présente, aussitôt que nous approchons le quai, hélés du plus loin qu'il est possible par une nuée de jeunes gens qui luttent pour se voir confier la garde de notre trésor.
Devant cette ruée, notre problème est de reconnaître un visage de confiance pour lui confier la "prunelle des yeux" du capitaine. Quelques uns se dégageront au fil des jours: Kahed, Julien… Toupac (celui là, c'est surtout pour l'éviter…)
Pour notre premier essai, on confie l'annexe à Sergio. Parce qu'on le connaît… depuis au moins deux heures…
Dès qu'on a réussi à mettre un pied à terre et tant qu'on n'a pas quitté le quai, l'offre de service ne fléchit pas: Taxi? Taxi? Taxi?... Bateau pour les îles? Tour de snorkeling?
Non merci… non merci… non merci… Tout en déclinant gentiment ces offres, on traverse rapidement les 200 mètres de la zone portuaire, jusqu'aux "portes" de la ville…

*Boutre: Type de bateau en bois, d'origine arabe, gréé d'une voile latine. Le long des côtes malgaches, où il évolue exclusivement à la voile, c'est le principal (le seul?) moyen de véhiculer tout ce qu'on veut transporter, fret et passagers.

 

 

 

Un paysage de lendemain de guerre

Dès la sortie du port, nous sommes accueillis par "la vache qui rit" hilare, qui nous fait de l'œil depuis un immense panneau publicitaire aux couleurs vives. (vu la rouille qui ronge le panneau, la pub est garantie d'époque). Voilà un accueil bien français! On en oublie les grands panneaux voisins, bien moins rigolos et nettement plus récents, qui chantent la gloire des téléphones portables et autres fournisseurs d'accès à internet.
Devant nous, un escalier de pierre monumental, à deux volutes et balustres chantournées, coupe le premier virage de la rue qui monte vers le centre ville. Ses piliers sont brisés, éparpillés au milieu des herbes et des détritus, mais ses marches cassées, herbues, nous conduisent au pied de l'avenue prestigieuse que fût sans doute le boulevard "De Hell".

Au débouché de l'escalier encadré par un couple de fiers et antiques canons qui sommeillent à l'ombre d'un grand flamboyant, un monument assez rustique émerge des herbes folles. Il honore la mémoire des "martyrs pour la démocratie" (sic), victimes des combats qui se sont déroulés ici, lors de la prise de pouvoir de l'actuel président Ravalomana en 2002.

Au delà, s'étend la perspective du boulevard "De Hell". Visiblement prestigieuse en son temps, elle ne respire plus aujourd'hui que désintérêt et abandon. La grande avenue bordée d'arbres, qui a dû être fleurie et voir passer les élégantes joliment chapeautées, est maintenant une surface caillouteuse et pleine de trous.
Les grandes maisons coloniales qui la bordent, souvent récupérées par l'administration, sont au bord de la ruine…
Elles auraient toutes besoin d'un bon ravalement de façade… Et du reste aussi d'ailleurs...
Tout le bâti semble pourrir doucement. Cà ressemble un peu aux images de la France qui nous viennent de la fin des années 40.

Ce fût notre première impression en mai 2007… Il se trouve que très vite, nous avons eu la "chance" d'assister à l'ouverture d'un chantier de réhabilitation de l'ensemble de la voirie d'Hellville et de sa région. Confié à une entreprise de travaux publics chinoise et prévu pour durer près de dix huit mois, ce chantier est le premier signe de volonté d'entretien de l'infrastructure de Nosy Be, depuis l'indépendance.
Il suit de près une directive gouvernementale récente menaçant de spoliation les propriétaires immobiliers qui n'entretiendraient pas leurs biens. Depuis, les Karanas* s'exécutent mollement et on voit un peu de cosmétique s'étaler lentement sur les façades du centre ville.
Du coup, la réalité de notre premier séjour à Hellville est devenue bruyante, poussiéreuse et inconfortable, mais aussi annonciatrice de lendemains qui chantent pour le futur de la ville.

*Karanas: Minorité d'origine indo-pakistanaise, musulmane, prospère, très active dans le commerce. qui sont les principaux propriétaires de l'île


 

Shopping tropical

C'est dans la contre-allée du boulevard De Hell qu'on monte maintenant vers le centre ville.

A l'ombre des grands arbres, les brodeuses locales sont installées, au milieu de leur éventaire. Habillées de mille couleurs, assises par terre, elles brodent et exposent leurs réalisations pendues à des fils tendus entre les troncs.
Nappes et rideaux ajourés au point "rissélié" (Richelieu: point de broderie qui permet de couper le tissu autour des motifs) volent au vent, napperons et chemises brodés de petits bonhommes colorés, de ravenalas*, de cocotiers, de tortues … animent le sol de leurs ombres.
C'est magique, on en oublie le laisser aller, la pauvreté, les maisons de guingois, le salpêtre sur les murs, les rues et les trottoirs défoncés, pour se mettre enfin à regarder les gens. Ils sont avenants, joyeux, polis, souriants. Les femmes proposent leurs broderies mais n'insistent pas trop.
Il fait beau et un petit vent s'allie à l'ombre pour aider à supporter la chaleur et le soleil qui tape fort.

En haut du boulevard, la promenade se poursuit le long de la rue principale où s'alignent boutiques de bric à brac et de souvenirs hauts en couleur, quelques bistrots à touristes, petits restos, quincailleries minuscules (mais très achalandées si on cherche bien…) Trois banques aussi, qui sont parmi les seuls bâtiments modernes, entretenus au standard européen…
Au bout d'un kilomètre, on atteint le marché couvert. Ambiance animée... Comme dans tout marché tropical on y trouve tous les produits frais nécessaires; si on veut bien adapter quand même sa liste de course à ce qui est disponible... C'est là qu'on commence à remplir les sacs de légumes, de fruits, de crevettes,…

Punch et friche industrielle…

Nosy Be a longtemps été partagée entre des plantations de canne à sucre et d'Ylang ylang.
La canne était alors transformée sur place en un excellent rhum, à l'usine de Dzamandzara. Faute d'entretien, l'usine est aujourd'hui fermée et ce qui n'a pas encore été complètement digéré par la rouille, se visite comme un musée. Les plantations de canne sont en friche et le meilleur rhum malgache n'est plus produit.
Pour faire le punch, il faut se dépêcher car seul un épicier chinois débite encore du rhum de Dzamandzar, dont il a acheté tout le stock, lors de la fermeture de l'usine


Juste en face du marché, c'est la "Chinoise"; une épicerie bien pourvue en rhum, fromages, charcuterie, vin rouge,… (vive la France).



Il ne nous reste plus qu'à faire
" Shampion" sur la route du retour.
Shampion (sic) est un petit super marché aux allures bien de chez nous, qui offre pas mal de produits français et de conserves variées. Il abrite aussi une boucherie-charcuterie qui arbore viandes, pâtés et jambons, des produits aux allures très européennes, dans une grande vitrine réfrigérée à grand peine. Gare aux coupures d'électricité permanentes! Et aux groupes électrogène et froid qui sont sans doute moins permanents…

A partir de là, nos bras commencent à s'allonger sérieusement sous le poids des sacs. Encore un effort de 200 mètres sur le chemin du retour et on s'arrête enfin au "Saloon"… C'est notre restaurant favori où on retrouve le sourire de sa jolie serveuse ainsi que nos amis Zakia et Alain qui ont fait le même parcours que nous…
Jus de fruit pressé - délicieux - puis menu du jour ou brochettes de poisson… Mais surtout, repos bien mérité!!!

Vers 14 heures arrive le moment du retour. Pour éviter de s'allonger encore les bras et de s'épuiser complètement, on hèle alors un taxi.
La découverte des taxis de Nosy Be a été une surprise: Ce sont presque exclusivement des 4L… Garanties d'époque. A côté des gros 4x4 modernes - qui ne sont pas nombreux - c'est quasiment la voiture standard de l'île. La plupart du temps, lourdement surchargées de passagers nombreux (couramment 6 personnes) et de ballots arrimés dessus ou entassés dedans, le cul à ras de terre, elles se traînent de trous d'eau en nids de poules… Chaleur, bruit… Leur vie est difficile et leur maintenance un miracle de débrouillardise. La pièce détachée de 4L est un commerce actif à Nosy Be. Mais pas de pièces neuves… On répare, bricole, déshabille Paul pour habiller Jacques et chaque voiture doit aujourd'hui ses composants à une bonne douzaine de véhicules initiaux…

Mais enfin, malgré les amortisseurs absents et les sièges défoncés, on y entasse nos achats, nos corps fatigués et hop! Retour aux bateaux et rangement des courses sur Getaway avant de songer à mettre à la voile vers les mouillages de rêve qui entourent Nosy Be.

Vous venez d'assister à une "journée courses" type, comme nous en vivons une tous les dix jours environ.
Demain, c’est promis, on vous emmènera chez Yolande.

*Ravenala: nom générique de l'arbre du voyageur; surnommé ainsi car il garde l'eau de pluie à la base de ses feuilles déployées en éventail. De la même famille (musacée) que le bananier, c'est donc une herbe vivace, dont on ne voit que les feuilles car la vraie tige est souterraine. Le ravenala fait très joli sur l'horizon mais il ne donne pas de fruit comestible.

 





Croisière de rêve autour de Nosy Be

 

Nosy Komba

Petit précis de météo marine Nosy Beenne

Pendant la saison sèche (de Mai à Novembre) Nosy Be se trouve dans une bulle climatique très particulière, d'environ 150 milles de diamètre, grossièrement délimitée par Nosy Mitsio, Mayotte, Majunga et Nosy Be. Hormis quelques orages peu fréquents, c'est une zone que les alizés, masqués par la grande terre, n'atteignent absolument pas.
Seuls des vents thermiques, animent régulièrement une bande côtière d'une trentaine de milles le long de Madagascar permettant le cabotage des boutres et des pirogues .
Le matin c'est le Varatrasa qui souffle de terre (de secteur Est donc) jusque vers midi.

L'après midi le Talio prend la relève dans le secteur ouest et souffle depuis le large jusque vers 20 heures. La nuit, c'est souvent le calme.

Pour la croisière de plaisance confortable, ce sont des conditions presque idéales.

Située à deux milles au sud de Nosy Be, c'est une île assez fréquentée par les touristes et plutôt bien pourvue en hôtels (dans le contexte de l'équipement de la région: 5/6 petits hôtels sur toute l'île.

En fait, le tourisme se concentre surtout sur le village d'Ampangorina qui se trouve sur la côte nord, au bout de l'île, en face de Nosy Be. C'est là que débarquent les visiteurs, après une traversée d'une demi heure en "speed boat" depuis le port de Hellville.
Une belle plage borde ce village malgache, aux cases serrées très fort les unes contre les autres… La population est dense: on parle de 7000 habitants, sur une surface inférieure à celle d'un petit bourg breton….
On oublie vite Hellville et ses bâtiments coloniaux délabrés. Ici les "rues" en sable se faufilent entre les cases construites en pur végétal. De ci, de là, des boutiques de souvenirs artisanaux, des broderies qui volent au vent pendues à des fils à linge… Partout des gens s'occupent devant leur porte, brodent, papotent, vous hèlent… Bonjour… Un petit lavoir public rassemble les lavandières (sauf le mardi, parce que c'est "fady"*)…
C'est bon enfant et sympa. Un air de campagne de par chez nous il y a cinquante ans. En fait, on croise peu de touristes dans le village; ce n'est pas du tout l'arrivée au Mont Saint Michel…

C'est une île réputée aussi pour son importante population de makis. Ce sont des lémuriens, parents des singes qui ont suivi une évolution différente et qu'on rencontre presque exclusivement à Madagascar. On dit qu'ils existent encore ici, parce que justement il n'y a pas de singes; alors que partout ailleurs dans le monde ils auraient été exterminés par ces derniers.

On mouille Getaway un peu à l'écart de la grande plage, devant une petite crique de sable où on débarque au pied d'une maison accueillante, avec terrasse ombragée, fauteuils, et bar…

*Fady: Tabous et interdits traditionnels, souvent destinés à protéger les ancêtres (morts). Ils ont une portée très locale et sont totalement imprévisibles. Généralement les habitants vous renseignent spontanément sur ces interdits… sinon gare à l'amende… un zébu coûte cher.

 

 



On est arrivés chez Yolande.

Et là c'est le grand spectacle. Comme nous sommes des amis de Zakia et Alain, au nom du principe "les amis de mes amis sont mes amis", Yolande transforme notre accueil en un torrent d'effusions chaleureuses, de cris de joie, de bises nombreuses et d'embrassades serrées… Déjà dans la rue de Hellville nous avions croisé Yolande que Mamadou, notre chauffeur de taxi préféré, nous avait présentée et nous avions alors eu droit à une première volée de bisous…
C'est donc peu dire qu'on est accueillis à bras ouverts… Et ce n'est pas qu'une image!
Quel plaisir de voir s'exprimer autant de chaleur humaine… On a beau dire: même si on peut penser qu'il y a là comme un air de spectacle, on constate qu'un peu d'excès de démonstrations fait plus de bien que trop de retenue et de froideur (pour ne pas dire de "gueule en coin", à l'occidentale) et apporte du bonheur.

Mais on est aussi venus là pour manger:
- Poisson grillé pêché ce matin. Ca vous va?
- Un peu mon neveu que ça nous va!
- Alors c'est parti. Vous voulez boire quelque chose en attendant?
En attendant?
Eh oui, il faut s'armer de patience car ici, comme dans presque tous les restaus malgaches, la cuisine est faite à la demande…
Préparation des légumes et allumage des feux de charbon de bois compris… Alors c'est clair, le service sera long… Histoire de rappeler qu'on n'est pas en Europe, qu'on a la vie devant soi, de la bière fraîche à volonté et que ça ne sert à rien de s'énerver les nerfs.
Et la vie coule… Douce…

Bon mais c'est pas tout ça, l'homme ne vit pas que pour manger, il faudrait quand même se remuer un peu:
- Yvonne fait toujours ses balades accompagnées dans la montagne?
- Ouiii! bien sûr… Demain matin à 8 heures j'ai déjà quatre touristes qui veulent y aller. Si vous voulez vous joindre à eux…
- D'accord pour demain matin.
- Pas de problème, je vous arrange ça.
Il faut savoir qu'en plus de son restaurant, Yolande accueille quelques hôtes en demi pension, dans des bungalows (simples) avec vue imprenable sur la mer, pour un prix dérisoire... Visites impromptues de makis en prime… "So romantic"…
Nous reviendrons souvent chez Yolande; ne serait ce que pour bidonner un peu d'eau potable pour nos réservoirs, au robinet de sa cuisine…

 

Raid à Nosy Komba

Bizarreries de prononciation

Pour quasiment tous les termes malgaches, la prononciation omet la dernière syllabe.
Par exemple les termes Fady, Karani, Ravenala se prononcent Fad, Karan, Ravnal.
De même pour les noms de lieux ou de gens: Nosy Komb, Nosy Fal, Mamok, Analalav, Loze, Antsohi, Tany Kel, Merne, Sakalav, Ravaloman...
Certaines terminaisons font tout de même exception:
Sakatia, Baramahamay… Baie des Russes…

Le lendemain matin, nous sommes à pied d'œuvre pour la balade avec Yvonne.
Notre guide a presque 70 ans. Bon pied, bon œil, mince comme un clou, vive et dynamique.

Sachant que l'espérance de vie à Madagascar est d'environ 55 ans, elle est une exception statistique…

Deux familles de touristes français, venus en voisins depuis Mayotte, nous accompagnent pour cette promenade .
Et c'est parti… Sur un terrain assez pentu... Mais on y va doucement!
Yvonne commente les arbres et les plantes croisés en route: ceci est bon pour le ventre, la toux, les frictions du dos, les maux de dents…
Cours de médecine traditionnelle… On ne note rien, donc on mélange tout, mais quelle importance? La musique est aussi importante que les paroles.

Le sommet de la colline est atteint juste avant midi et là, dans un hameau tout proche, on nous prépare un repas traditionnel malgache qui nous sera servi par les jeunes filles du village.
Le réconfort après l'effort…
La descente sera digestive et tranquille dans l'après midi.
A l'arrivée, en guise d'adieu,Yvonne passe aux cous des dames des colliers de graines et coquillages qu'elle a tressés…


Nosy Faly

A une dizaine de milles plus à l'Est, on atteint Nosy faly. C'est une petite île, située à l'extrémité de la longue presqu'île d'Ambato ( sur la grande île de Madagascar), dont elle est séparée par un étroite passe, longue de près de deux milles. C'est là qu'on mouille, bien à l'abri de la mer et du vent.
Notre mouillage est tout proche de deux villages, installés face à face sur chaque rive du bras de mer. On peut donc choisir entre deux lieux de débarquement selon l'humeur du jour...
Ces villages sont nettement plus "roots" que ceux de Nosy Komba ou de Nosy Be et les touristes sont très rares à venir jusque là. Par la terre, il faut affronter des heures de taxi brousse éreintantes pour aboutir à l'extrémité de cette presqu'île où il n'y a rien à voir.
Pas d'hôtel, quelques restos très "ethniques" et la vie comme au 19ème siècle…
Le village installé sur l'île est surtout occupé par des pêcheurs venus de la grande terre pour la saison de pêche au "maluca" (c'est une sorte de maquereau). Hors saison c'était autrefois un village fantôme mais il semble que, sans doute poussés par la croissance de la population malgache, pas mal de gens s'y sédentarisent maintenant.
En période de pêche, plusieurs centaines de pirogues occupent le rivage à marée basse. Au petit jour, quand la flottille prend la mer à la voile pour aller déployer ses filets, c'est un spectacle superbe et un peu irréel. A ne pas manquer… Le même spectacle se reproduit d'ailleurs quelques heures plus tard, à marée haute, quand toutes ces pirogues, alourdies jusqu'à la limite de flottaison, rapportent leur pêche, avec juste quelques centimètres de bordé qui émergent de la surface de l'eau.
Alain nous a emmenés ici pour voir ça, et il avait bien raison.

Chacune de nos visites dans le village de l'île sera accompagnée par une dizaine de marmots criant sans se lasser: "Salut vahasa… Salut vahasa…" (Vahasa signifie étranger en malgache. Surtout étranger blanc.).
Bonjour! Bonjour!
Ils sont contents: on sera la seule attraction de la semaine, leur télé à eux…
Partout dans le village les adultes travaillent pour la pêche: préparation et ravaudage des filets tendus à sécher le long des cocotiers, parure et séchage du poisson au soleil sur des claies surélevées installées dans tous les espaces libres entre les huttes …

Les regards sont quelquefois méfiants, jamais agressifs et souvent avenants.
Quand on traverse le village installé sur la presqu'île, les gens et les enfants sont plus indifférents à notre égard. Il faut dire qu'eux voient passer tous les jours au moins deux véhicules: le taxi brousse de la journée et le camion qui collecte le fruit de la pêche de ceux d'en face.
Cet endroit est aussi connu pour ses "mabibi" (noix de cajou, amande de l'anacardier) qui sont récoltées et grillées sur place au mois d'août. C'est un produit important pour l'exportation, dont le prix à la production est multiplié par 100? quand elles sont vendues en Europe… Commerce équitable qu'ils disaient!!!

Un avantage appréciable de Nosy Faly: le mouillage est peu connu, l'entrée en est délicate et on y est le plus souvent quasiment seuls. Juste quelques rares navettes, qui font la liaison avec Nosy Be, troublent de temps à autres la quiétude de l'endroit…

Mais continuons notre tour, hors des entiers battus


Mamoko

C'est une toute petite île, située tout près de la côte de la grande terre au fond de la baie d'Ampasindava, à une quinzaine de milles au sud de Nosy Be. Son nom veut dire moustique… Mais on est en saison sèche… Alors ça craint moins!
Enfin, dès qu'on soupçonne la présence des bestioles, on sort quand même les moustiquaires et les tortillons au coucher du soleil, à l'heure où les anophèles femelles vont boire (et nous aussi d'ailleurs…).
C'est vrai que la malaria est un risque réel par ici. Ça nous préoccupe bien un peu, mais enfin nous sommes plus souvent en mer que dans les marais. Les moustiques y sont moins nombreux…
On essaie de se rassurer comme on peut… De toutes façons, nous restons trop longtemps présents dans les zones à risque pour prendre des traitements préventifs. Alors… Si ça doit arriver, on se soignera…
Ces pays qui manquent de tout, semblent finalement plutôt bien équipés pour soigner la malaria. Pour peu qu'on ait accès aux centres médicaux et sans doute les moyens de payer les médicaments!
Mamoko est très escarpée et apparemment impénétrable.
Seul point de débarquement possible sur l'île: une plage, dans une petite anse, devant un hameau. Une dizaine de cases et quelques pirogues. Un couple d'énormes tortues terrestres musarde régulièrement sur la plage. Elles sont l'attraction locale…

A deux ou trois milles, en face, sur la grande terre, quelques villages doivent se cacher dans la mangrove le long de la côte, mais on n'en voit pas trace.
Seuls témoins de présence humaine: quelques pirogues passent régulièrement et s'arrêtent parfois pour nous proposer crabes et poissons.
Si elles n'ont rien à vendre, elles s'arrêtent quand même, histoire de voir si nous n'aurions pas quelques récipients vides à donner: bouteilles plastique, bocaux, boites de conserve ouvertes… Ou bien du fil à pêche… Ou des hameçons…ou de l'aspirine.
Sur Getaway on ne jette plus un seul contenant en verre, plastique ou métal. Ici tout est récupéré!
A part les récipients vides, nous essayons de réserver nos autres trésors pour le troc. On tente d'en obtenir quelques fruits ou poissons, mais ça ne marche pas vraiment et le plus souvent tout part en cadeaux. Il faut dire qu'un beau crabe coûte ici la bagatelle de 50 centimes d'euro!

Nos visiteurs les plus hardis s'aventurent à demander des tee-shirts… Nous avons alors été surpris de voir le regard critique qu'ils portaient sur ceux, usagés mais plutôt en bon état, que nous leur proposions. La moindre trace de tache, le plus minuscule trou d'épingle, disqualifiait l'offre. Pourtant ça valait largement les guenilles déchirées qu'ils portaient généralement sur eux à ce moment là!
En fait, nous avons appris plus tard que les tee-shirts les intéressaient surtout pour aller les revendre au marché. Il fallait donc qu'ils aient l'aspect du neuf!!!
Pour améliorer l'ordinaire quand les provisions diminuent, que les pirogues ne proposent rien et que notre propre pêche ne rapporte pas, on va récolter des huîtres sauvages sur un rocher proche. Minuscules huîtres récoltées au burin et au marteau, mais EXCELLENTES… Une fois ouvertes! C'est un plateau de fruits de mer apprécié.

Alain, fin pêcheur du crépuscule, nous rapporte régulièrement un filet de barracuda tout frais et déjà paré… Voilà comment Gérard a trouvé une solution pour pallier sa répugnance naturelle à la pêche (et au nettoyage du produit). Il faut quand même ne pas oublier de prévoir crème fraîche,citron, carottes, poireaux et courgettes pour les papillotes… Mais pas d'inquiétude, le marché de Nosy Be a déjà pourvu à ça...

Sur la côte, à deux milles de Mamoko, on trouve une autre "attraction": une cascade qui se jette dans la mer, cachée au fond d'une petite crique. L'intérêt de la visite est pour le lavage du petit linge de la semaine, la douche (en maillot tout de même, il y a des voisins…) et éventuellement le ravitaillement des réserves d'eau douce du bateau si le capitaine a le courage de bidonner...


La baie des Russes

Maisdouquelletiredoncsonnomcellela?
Au cours de la guerre russo-japonaise (1904-1905), le tsar de toutes les Russies envoie une escadre de vaisseaux de guerre dans la région. En panne de charbon, ils se planquent dans cette grande baie en attente de ravitaillement… Quand le charbon arrive enfin, beaucoup de marins sont malades et l'escadre remet en route en les laissant derrière elle sur un navire . A la fin du conflit, ce contingent de marins est complètement oublié. Ignorant la paix survenue entre temps, ils mourront tous là, du paludisme et de fièvres diverses.
Il reste que cette vaste baie est très belle, très fermée et donc bien protégée de la mer du large. Tout autour, des villages sont installés dans la mangrove mais comme d'habitude, on n'en voit rien. Seules quelques pirogues… crabes… poissons… Mais on vous a déjà raconté. Il y a aussi ce couple de jeunes Sud africains qui habite seul, sur une presqu'île, au milieu de la baie. Il y a deux ans qu'il s'est installé là où il semble vivre de ses récoltes (dont on peut acheter quelques légumes quand c'est le bon moment…). Mais enfin, la solitude à ce point… Même à deux… On se demande un peu ce qui les a amenés là… C'est promis, je vais travailler mon accent Sud africain et la prochaine fois, je leur demanderai…

On parle beaucoup de solitude jusqu'ici, mais enfin, si on veut à tout prix voir un peu monde, c'est possible aussi! Par exemple à:


Nosy Sakatia

C'est une petite île située à un mille de la côte ouest de Nosy Be. Quasiment inhabitée par les malgaches, on n'y trouve que deux ou trois maisons d' hôtes ou hôtels de plage: un resort italien, une maison d'hôtes Sud africaine et un hôtel français: "Sakatia Passion".

Ce dernier organise tous les dimanches un déjeuner autour d'un buffet servi à volonté. Le décor est simple et de bon goût, la plage comme sur les cartes postales, avec cocotiers et palmiers nonchalamment penchés, bruissant dans les alizés.


Un orchestre de musiciens locaux alterne les tubes modernes, les airs malgaches traditionnels et la musique française éternelle genre "la vie en rose"…
Le prix est très élevé pour Madagascar et les plats assez irréguliers, mais c'est rigolo de re-vivre de temps en temps au milieu des touristes "normaux".
Pour continuer dans le genre carte postale, allons maintenant à

Nosy Tany Kely

"La petite terre": une île minuscule et inhabitée, située à sept milles au sud de Nosy Be (sur la route de Mamoko).
Son intérêt: un superbe plateau corallien qui déborde largement sa côte Sud Est, dans des eaux très claires. C'est assez rare par ici et c'est devenu un parc naturel dont on tente de réglementer l'accès.
Aucune installation sur l'île; ni hébergement ni commerce. Mais c'est quand même trop tard pour Robinson… De nombreux bateaux de touristes, de la vedette rapide au catamaran de croisière, amènent ici les visiteurs depuis Nosy Be, pour y mouiller quelques heures, bronzer sur la superbe plage (qui n'est plus si déserte que ça…) et snorkeler au dessus des coraux, parmi les poissons multicolores et les tortues marines.

Les coraux sont parmi les plus beaux que nous ayons vus depuis le Pacifique.
Ils ont dû souffrir d'El Nino eux aussi, mais ils ont l'air de se refaire une santé. Souhaitons leur longue vie.

 

Petite croisière en flottille vers le sud de Nosy Be.

 

Depuis maintenant quatre mois que nous sommes ici, nous avons un peu épuisé les mouillages "très" proches de Nosy Bé. C'est alors que nos amis de "Tchokdi", Alain et Zakia, nous proposent une petite excursion vers le sud avec l'objectif de remonter la rivière Loza jusqu'à Antsohihy. Il paraît que c'est très beau et peu fréquenté par les voiliers…
Sitôt dit, bientôt fait… Et après quelques approvisionnements supplémentaires, nous voilà partis vers le Sud.
Avec quelques escales tout de même.

Nosy Iranja

Encore assez proche de Hellville (trente cinq milles), c'est la "perle" des îles autour de Nosy Be. Iranja est en fait composée de deux îles dont une toute petite, séparées par un banc de sable très blanc qui découvre à marée basse. Comme l'eau qui baigne l'île est très claire et qu'il y a quelques coraux éparpillés sur les fonds de sable - suffisamment pour héberger des poissons multicolores - c'est une destination "tropiques magiques" très courue depuis Nosy Be. Moins que Tany Kely (c'est quand même beaucoup plus loin!), mais il y vient tout de même quatre ou cinq vedettes rapides par jour…

Il y a aussi un hôtel qui s'est construit sur la petite île, bien caché sous les arbres près de la plage, très discret. On n'en voit quasiment personne. Seulement quelques silhouettes noires qui traversent le banc de sable à marée basse; ce sont les employés qui rejoignent leurs habitations, toutes situées sur la plus grande île.
Tout ça ne fait pas la foule sur le lagon et même si on sait bien qu'on n'est pas sur une île déserte, la solitude y est suffisante pour permettre d'en rêver!
Le mouillage y est par contre trop exposé à la houle du large et aux vents qui tournent, pour y passer la nuit. Nous n'y resterons donc que quelques heures, le temps de déjeuner et de snorkeler un peu au dessus des jolis poissons, avant de poursuivre vers Baramahamay, sept ou huit milles plus loin.


Baramahamay

C'est une embouchure de rivière assez étroite qui procure un excellent abri pour peu qu'on s'y enfonce d'un mille ou deux.

La région est vierge de toute route ou piste et on n'y accède qu'en bateau. Les boutres du coin qui vont à Nosy Be pour le ravitaillement et la vente de la production locale, mettent une douzaine d'heures pour faire le trajet. Comme ils ne disposent que de leur voile et de perches, ils tirent le meilleur parti possible des vents thermiques qui dominent le long de la côte. Cela se traduit par un départ vers 3 heures du matin avec l'espoir d'arriver à Hellville en milieu d'après midi.

Pour notre part, nous sommes mieux équipés mais aussi plus bruyants…
Enfin, sitôt l'ancre mouillée et le moteur arrêté c'est calme et volupté… Silence total…
Deux petits villages au bord de l'eau sous les cocotiers et les ravenala*. Quelques pirogues s'approchent pour nous proposer leurs produits. On achète du miel local sauvage et bien goûtu, des crabes…
Le paradis...
Le lendemain matin, les hommes vont faire un tour à terre en annexe. A l'écart d'un village, un groupe familial construit des pirogues. Il parait qu'il tient aussi un petit stock d'épicerie, alors ils vont voir…
Assez rapidement ils reviennent et se mettent à fouiller dans les caisses de bricolage du bord…
- Qu'est ce qui se passe?
- Leur groupe électrogène est en panne... On va essayer de faire quelque chose… Il y aussi le câble d'un lecteur de DVD à ressouder!

Une petite heure plus tard, une musique tonitruante se déclenche sur notre paradis!!! Les hommes reviennent au bateau, l'air bizarre… Et tout à coup je comprends:
- Mais Bon sang de B…… pourquoi vous leur avez réparé leur groupe?
- Ben… C'est pas que le groupe… On a aussi réparé les grosses baffles de la case qui sert de boutique… On pensait que c'était juste pour leur vidéo du soir… On n'a pas pensé qu'ils mettraient de la musique aussi fort!
- Misère! Bon ben les mecs, vous aurez dorénavant INTERDICTION de toucher aux installations électriques défectueuses des villages autour des mouillages… D'accord?
- Ouais ouais...

Le village dans la brousse.

Le lendemain, le bruit ne nous gênera plus car nos copains nous emmènent en ballade, pour remonter la rivière en annexe et accéder à un village perdu dans la brousse, qu'ils ont découvert à leur dernier passage par ici.

Il faut savoir que Alain et Zakia sont curieux, marcheurs, découvreurs, aventureux… Bref: tout ce que nous ne sommes pas trop. Ils débarquent, partent au hasard, cherchent des chemins, découvrent des villages paumés... Aujourd'hui, nous allons profiter de leur expérience.

Nous embarquons avec le flot tous les quatre dans une annexe, pour découvrir pendant une heure la rivière tropicale: verdure, mangrove… Crocodiles??? Bien cachés alors…

Enfin, les fonds remontent et il faut débarquer dans la vase molle pour continuer à pied. Nous pataugeons un bon moment pour remonter l'annexe sur la rive (grâce à ses roues, indispensables ici) et la mettre à l'abri de la marée qui va continuer à monter.
L'opération terminée, nous sommes chaussés de bottes de boue qui nous remontent jusqu'aux genoux.
" On va pouvoir se laver un peu plus loin... On va traverser un ruisseau dans dix minutes." nous rassure Alain devant nos airs de touristes, ahuris à l'idée de marcher avec ces chaussettes de vase chuintant dans nos "crocs".

Nous sortons rapidement du couvert des arbres qui longe la rivière pour marcher sous le soleil, dans la savane qui recouvre des collines ravinées… Une végétation un peu plus dense se développe dans les creux de terrain, mais ailleurs tout est très sec, aride, latérite rouge sang...
Le soleil tape, haut et fort… Pas d'ombre, pas de vent.
" Mais qu'est ce que je suis venue f… dans cette galère?" pense Anyvonne, mauvaise marcheuse sous le soleil…
Ca monte, ça descend… Encore et encore…
- Dis maman, c'est encore loin la prochaine ville?
- Non non, juste derrière la colline, là bas… (ils disent tous la même chose les parents)
Et plusieurs fois comme ça, avant qu'on finisse tout de même par arriver!

Le village surgit au détour d'un talus: quelques cases "pur végétal", parmi lesquelles notre arrivée provoque une certaine surprise.
Terre, poussière, cases de bois surélevées, toits en ravenala, poules qui courent partout.

Les "anciens" sont regroupés à l'ombre. On les salue avant de s'approcher doucement d'un groupe de femmes et d'enfants qui sont les seules
personnes visiblement actives.
Elles pilent quelque chose dans de grands mortiers... Café? Poivre? Difficile de dialoguer, elles ne parlent pas français.

Nous nous asseyons sur nos talons, à l'ombre, attendons et regardons… Enfin non, "nous nous laissons regarder" serait plus juste.
Au fil des milles et des ans, on a compris doucement qu'on n'est pas là que pour voir (et témoigner éventuellement) mais aussi et surtout pour être vus.
Combien d'étrangers passent ici chaque année? On ne sait pas. Sans route d'accès, il faut trouver et vouloir. La piste la plus proche est à plus d'une journée de marche.
On pose quelques question ici et là… Pas toujours comprises… La quantité de paroles a peu d'importance et le silence n'est pas absence de communication.
Le tout est de se sentir assez bien pour ne rien dire et accepter d'être observés. On avait déjà ressenti ça dans les îles perdues à l'extrême Est de l'Indonésie, quand les enfants venaient en pirogue s'accrocher au Getaway et restaient là une heure à nous regarder sans rien dire. C'est un peu dur au début.
On vient chez eux, qui n'ont rien. Ni électricité, ni images, ni livres… Si peu d'informations.
On est donc forcément des attractions… Des animaux étranges aux yeux clairs… Et à la peau blanche en plus!
On émoustille les enfants et on fait même parfois peur aux bébés qui n'ont encore jamais vu ces trucs incolores bizarres.
En fait il n'y a que des anciens, des femmes et des fillettes présents dans le village. Plus tard seulement, sur le chemin du retour, nous verrons des garçons occupés à pêcher le long de la rivière.

Trois mamans et leurs filles nous prennent en main, lorsque l'une d'elles
Comprend qu'on voudrait voir l'école.


Hélas, le maître est absent. Alain nous explique que lorsqu'ils sont venus ici la première fois, le maître d'école n'avait pas été payé depuis plus de six mois... Heureusement, il était nourri par le village… Serait il parti définitivement?
Non non, ce sont seulement des vacances et il revient dans cinq jours, pour la rentrée… Nous sommes juste un peu trop tôt.

On nous ouvre quand même l'école: Une grande case, toujours pur végétal, dans laquelle une cloison délimite deux pièces meublées de quelques tables et ornées d'affiches pédagogiques fatiguées sur les cycles de la nature, la vie, l'hygiène…
Un tableau noir où sont tracés, d'une belle écriture d'instituteur, quelques mots français…
Tout le monde s'assoit, les fillettes nous regardent intensément. Seule une maman parle un peu français. On fait une distribution de bonbons. Ça déride tout le monde.
On offre ensuite quelques petits cahiers d'écolier et des crayons noirs. On en a juste assez pour les enfants présents. Le plaisir est évident… Différent de celui des bonbons!

Il faudrait venir avec 20kg de matériel scolaire de base… Ardoises, craies, stylos, peinture à tableau? Que sais je?
On se dit qu'on reviendra, apportera, aidera…
Est ce vrai? Pas sûr… Dans huit jours tout cela sera un souvenir… Attendrissant certes, mais un souvenir quand même. Mais comment témoigner efficacement, aider vraiment...?

La seule chose évidente c'est que notre visite leur fait plaisir, et qu'ils vont la commenter longtemps.

Alain fait des photos portraits… Il apportera les tirages la prochaine fois…


Analalava.

" Patience et longueur de temps…"

80 milles plus loin, juste écourtés par une escale d'une journée dans la baie de Bérangomaina, le temps d'acheter crabes et oignons verts aux piroguiers et de faire un tour dans la savane, nous mouillons en fin d'après midi devant la petite ville d'Analalava, à l'embouchure de la rivière Loza.

Analalava a été une station coloniale française "importante". Nos cartes marines qui datent du 19ème siècle citent la maison du gouverneur, le camp des tirailleurs, les entrepôts du port…
Comme nous souhaitons débarquer demain pour visiter la "ville", nous passerons la nuit à ce mouillage, malgré la houle qui entre et nous fait rouler désagréablement.

Le lendemain, deux objectifs orientent accessoirement notre visite matinale: aller au marché pour quelques provisions et trouver un endroit où boire un café.

Le long de l'unique rue du bourg qui court loin, tout droit dans le sable, parallèle à la côte, on se renseigne, on demande… Pour un saut en avant… Puis re-demande pour un nouveau saut de puce...
- Non, pas là, plus loin oui…
- Loin? Non… Juste par là…
Qui peut dire vraiment à quoi correspond "loin" dans la tête de nos interlocuteurs, qui ont toute la journée pour parcourir l'unique rue?
Tu marches… C'est pas loin… Tu vas trouver… Pourquoi les vahaza sont ils toujours si affairés, si pressés?

Petites réflexions de touristes ethnologues amateurs


Quand on y réfléchit un peu, c'est assez curieux cette nostalgie morose de "temps plus prospères", qui nous hante régulièrement à Madagascar… Ce regret permanent d'un niveau de vie qui aurait été meilleur…
Mais plus prospères et meilleur pour qui? A quel prix?

C'est vrai que l'eau et l'électricité régulièrement distribuées, les maisons convenablement entretenues, ont été présentes dans le passé local… Au moins dans certains endroits.
Tout ça nous paraît aujourd'hui un niveau de vie "normal", auquel les habitants actuels n'ont plus accès.
Mais le regrettent ils vraiment? Ont-ils envie de consentir les efforts collectifs nécessaires pour y accéder et d'accepter leur influence inévitable sur leur style de vie? Jusqu'à nous ressembler?

Cette "normalité" qui sous-tend nos impressions est quand même très "ethnocentrique". Quand l'orientation de la société n'est pas celle que nous connaissons dans l'occident consommateur, nous avons du mal à faire la part des choses entre la misère réelle, le sous développement subi et le type de vie et de société voulus…
Nous avions déjà perçu ce problème au Laos et au Vanuatu.
S'agit-il du syndrome du membre amputé chez le citoyen de l'ancienne puissance coloniale???

La perception de la misère peut être influencée par une vision "ethnocentrique" mais aussi par les choix politiques des visiteurs.
Ce qui apparaît à certains comme de la pauvreté extrême peut être perçu par d'autres comme un retard de développement; sinon voulu du moins organisé.

Pour nous, sur Getaway, la misère c'est quand aucun acte positif de gouvernement n'est visible dans le paysage social et que s'exposent partout les misères et les infirmités sans grand espoir d'amélioration (Ce que nous avons ressenti au Cambodge.)…
C'est quand, dans un pays plus développé, une masse de citoyens sont exilés définitivement de la "vie du pays" (je pense aux favelas du Brésil, aux îles perdues loin de Java, à l'Est de l'indonésie). Aucun espoir et la prospérité si proche!

Nous ressentons moins la pauvreté et la misère quand, comme au Laos, la frugalité évidente du niveau de vie paraît quand même aménagée, accompagnée, organisée... Quand la lenteur du développement peut paraître s'accorder à une nonchalance économique culturelle, mais pas à un oubli, ni à un abandon...

Et oui, pour le marché c'est assez simple et on trouve rapidement l'endroit où se cachent une dizaine d'étals qui exposent quelques petits tas bien rangés de tomates, oignons, carottes et pommes de terre… Même quelques mangues… De papaye, point…

Ce n'est pas l'abondance… Tant pis, on tiendra bien trois jours jusqu'au marché d'Antsohihy…
" Vous verrez, c'est beaucoup plus grand et on y trouve de tout" nous rassure Zakia.

Pour le café, l'enquête est plus difficile. Et pas seulement parce que c'est plus loin…
Arrêt dans une case qui pourrait être un bistro-épicerie… "Non, ici pas de café: mais à l'hôtel là bas, plus loin (nouvelle explication)"…
Plusieurs fois comme ça…
Enfin, le miracle s'accomplit: Un vrai petit hôtel en bois avec terrasse surélevée, parquetée, cirée, ombragée… Meublée de plantes vertes et de tables avec nappes… L'hôtesse nous accueille en souriant.
- Du café? Oui, je peux vous en faire… Mais il faut un peu de temps.
- Du temps? Combien de temps?
- Oh ben… Faut allumer du feu, tout ça… Chauffer l'eau, moudre le café…
- Une demi heure ça ira?
- Oui, une demi heure ça suffira.
- Bon, alors en attendant on va faire un petit tour et on revient. On peut laisser les paniers là? Ça ne vous dérange pas?
- Bien sûr que vous pouvez. A tout à l'heure.

Pour occuper l' attente on continue à remonter la rue de sable jusqu'à la limite du bourg.
Tout du long s'alignent des maisons coloniales qui rêvent d'un passé meilleur et abritent partout les même commerces nonchalants. Ici, plutôt des pièces de vélos; là, c'est plus des bassines en plastique… Mais dans tous les cas, il y a une foule d'autres choses aussi...
Au milieu, une grande place arbore un kiosque à musique : se souvient il de ce pour quoi il a été construit?

De ci de là, au centre de cuvettes de maçonnerie crevassées, des tuyaux sortent du sol, rappelant qu'un jour, ici, il y a eu de l'eau courante et des robinets pour l'obtenir.
C'est un peu comme à Helville, mais sans qu'un quelconque projet de réhabilitation ait encore vu le jour. Sans l'animation aussi. Ici tout est torpeur et progression lente. La rue s'animera juste un peu vers 11 heures, quand les écoliers l'envahiront à la sortie des classes.

Le retour au café est bienvenu. Le soleil tape dur, il n'y a pas de vent et on est presque fatigués…
Et puis on est un peu moroses aussi, comme toujours quand on sent autour de nous les choses se déliter, stagner…


La rivière Loza

Ce café, si tant attendu et finalement fort bon, sonne l'heure de la fin de notre visite d'Analalava.
Sitôt revenus au bateau, nous quittons le mouillage rouleur pour nous enfoncer un peu dans la rivière et nous mettre à l'abri du vent qui s'est réveillé et souffle en rafale.
Nous allons remonter la Loza sur quelques 35 milles, jusqu'à la ville d'Antsohihy. Nous prévoyons deux étapes parce qu'on ne peut vraiment naviguer qu'avec le courant de marée et seulement le jour. On doit aussi traverser deux zones peu profondes qu'il faut passer à marée haute. Il faut donc calculer ses horaires…

Avec l'eau qui coule à 3 ou 4 nœuds, quand c'est dans le bon sens, ça va vite…
Devant nous la berge défile, rouge, ourlée de mangrove verte. Les paysages qui nous accompagnent le long des premiers milles de la Loza nous ramènent des années en arrière, en Turquie, au Venezuela…
Les même collines jaunes et rouges parsemées de taches vertes, se succèdent, formant le premier plan d'un décor dont le fond est assuré par les hauts plateaux qui se distinguent au loin, dans la brume de chaleur.
Et la qualité du silence!
Hors de Nosy Be, il y a peu de bruits de moteurs le long de la côte malgache où seules les voiles, les rames et le courant font avancer les pirogues et les boutres. Pas d'excès, pas de fureur, pas de vitesse: tout le monde prend son temps.
De toutes façons, on ne peut pas lutter contre les courants de marée… Alors il faut aller avec.

Un peu avant Antsohihy, trois jeunes gens nous hèlent depuis la rive. Ils font du bateau stop et on les embarque, avec leurs sacs de provisions et leur poule vivante aux pattes entravées.
Ils sont gentils et polis, mais en français ils ne semblent connaître que les mots "merchi, gauche et droite". Le dialogue se traîne… Utile quand même, car nous n'avons plus de carte pour naviguer ici et ils nous indiquent les bras de rivières à prendre quand se présente une bifurcation…

Le skipper est tendu; on évite les bancs de vase un peu au pif… La dérive a touché deux fois le fond... Elle nous sert de fusible!

Au détour d'un méandre, on finit tout de même par atteindre le but: Un peu à l'écart de la ville, une cale de débarquement et un quai de déchargement pour barges et boutres, près desquels on mouille avant de s'envaser complètement..


Antsohihy

Le jour suivant est jour de courses et de découverte du centre ville, à 500 mètres du mouillage. Des rues bourdonnantes, bordées d'échoppes colorées proposent mille choses variées, exposées pêle-mêle dans un volume ridicule: vêtements, plastiques, coutellerie, tongs, tissus, produits de nettoyage ou de beauté.

Le marché couvert est moins bien achalandé que celui d'Hellville mais nous y trouverons quand même notre bonheur en produits frais. On s'aventurera même à acheter du chevreau, sans avoir trop à se battre contre les mouches…

A ce propos précisons prosaïquement que, bien qu'ayant acheté systématiquement sa viande dans des supermarchés équipés en réfrigération, tout l'équipage de Getaway a souffert récemment d'une turista carabinée.
Nous avions sous estimé les effets des coupures répétitives d'électricité et de la faiblesse des groupes électrogènes, sur la chaîne du froid et la conservation de la viande.
Des habitués du coin nous ont fait intelligemment remarquer que la viande du marché, même exposée à 27° et aux mouches, n'a jamais vu de frigo. Elle est donc fraîche et vérifiée tous les matins par les services vétérinaires.
Dorénavant, nous achetons donc au marché et si possible tôt le matin!

Mais il est maintenant 10 heures, le moment de notre café du matin!
Et pas de bistrots à l'horizon… On cherche, on se renseigne… Les hôtels-restau ne servent pas de café: juste Cocas et Fantas.
Tout de même, on nous indique un spécialiste de la question, juste dans le coin là bas en face, à la limite du marché.
Dans une stalle carrée en pur ciment brut de 2,50 mètres de côté, deux tables et quatre bancs se serrent contre un petit feu de charbon de bois établi sur un gril traditionnel en tôle. Le café y est maintenu au chaud dans sa bouilloire et on peut l'accompagner de beignets de riz.
Trrrrrèès bon! Nous y reviendrons…

Au mouillage, Henriette, une voisine malgache, nous hèle hardiment en passant près des bateaux, depuis sa pirogue.
- J'habite tout près, là où vous voyez des cocotiers. Venez me voir, j'aime bien parler…
Tout cela énoncé dans un français très correct incite Alain et Zakia à la visite qu'ils nous racontent:

Malgache bon teint, la cinquantaine prononcée, la dame vit seule, avec sa petite fille qui va à l'école à Antsohihy sur l'autre rive. Elle venait d'ailleurs juste de la débarquer quand elle nous a interpellés. Autour de sa case, des fleurs et une végétation maîtrisée, propre.
Près de la rivière, elle montre fièrement les bassins de pisciculture qu'elle a creusés et maçonnés elle même, toute seule… Elle y élève des tilapias. (C'est une sorte de carpe qui est le poisson de consommation le plus répandu en Afrique.)
Ses enfants? Bien sûr qu'elle en a. Un est établi à Londres, un autres aux Comores, un autre encore fait ses études à l'université au Caire… D'autres encore… Pas de mention du ou des papas…
Sacrée bonne femme!

Mais nous même ne souhaitons pas nous installer et après quatre jours passés ici, nous remettons en route pour rentrer à Nosy Be. Ce retour prendra une petite semaine ressemblant fort à celle dépensée pour venir; on vous en fera grâce car il ne s'est rien passé de remarquable.

Mais c'est pas tout ça, on n'arrête pas de vous parler d'îles minuscules et de bords de mer, alors que nous sommes à proximité d'un quasi continent dont on ne dit mot de l'intérieur.
En fait, on n'en connaît rien et on aimerait bien, nous aussi aller y jeter un œil.

Eh bien voilà, c'est décidé: Nous allons nous organiser une petite visite de la grande terre et nous vous raconterons ça dans le prochain numéro.

 

La page d’Histoire-Géo de Madagascar

 

Toujours représentée à côté et à l'échelle du continent africain, elle est souvent perçue comme une "petite" île. Pourtant, longue de 1600km et large de 500km, elle est plus vaste que la France…

Si on la parcourt d'est en ouest, on rencontre d'abord une étroite bande de plaine côtière avant d'escalader le versant abrupt de hauts plateaux qui s'abaissent ensuite doucement vers l'Ouest, pour finir au bord du canal de Mozambique en une vaste plaine marécageuse où aboutissent les principaux fleuves. Exposée aux alizés de l'océan Indien, la côte orientale est beaucoup plus arrosée que son homologue occidentale.

Le peuplement de Madagascar s'est constitué par vagues successives: négro-africaine, polynésienne, arabe, chinoise.
Aujourd'hui, la croissance de cette population est communément tenue pour responsable des problèmes économiques de l'île. En 40 ans, elle a plus que doublé, pour atteindre officiellement 17 millions d'individus (réellement sans doute plus de 20 millions). Trop et trop vite pour l'état des capacités nourricières de l'île. Pourtant, la tendance ne paraît pas devoir s'infléchir et peut être doublera-t-elle encore avant vingt ans.
On compte 18 groupes ethniques malgaches traditionnels, qui coexistent avec une minorité indo-pakistanaise (Karana), quelques chinois, européens et comoriens.
Les karanas (0,5 % de la population) s'enrichissent dans le commerce et y génèrent près de 15% du PIB. Ils possèdent l'essentiel du patrimoine foncier de Nosy Be, depuis les immeubles de Hellville jusqu'aux plantations d'Ylang ylang qui occupent une grande partie de l'île. Cela ne leur attire pas que de la sympathie de la part de la population malgache.


Un antagonisme traditionnel oppose les habitants des hautes terres du centre (les Mérinas) à ceux qui occupent les régions côtières (majoritairement des Sakalavas au Nord).
Les premiers seraient issus d'une immigration indonésienne alors que les seconds sont venus d'Afrique.
Traditionnellement plus aisés et instruits, car plus proches de la capitale, les éleveurs des haut plateaux "dominent" ceux des régions côtières, agricoles et plus pauvres.
La rivalité trouve ses origines dans l'effort d'unification de l'île, au 19ème siècle, quand le roi Radame 1er, intégra par la force les petits royaumes côtiers à son royaume merina installé à Tananarive.
Plus tard, la colonisation française n'arrangera pas les choses (1896- 1960). Après avoir d'abord signé un traité de protectorat avec une reine Sakalava contre les Merina en 1846, les français s'appuieront ensuite, pour consolider leurs positions, sur le pouvoir central merina; favorisant ainsi la concentration d'écoles, hôpitaux et autres infrastructures autour de la capitale, aux dépens des régions littorales.
En 1960 encore, au moment de l'indépendance malgache, le royaume Sakalava de Nosy Be a souhaité faire sécession pour rester sous la tutelle française.
Aujourd’hui, l'unité nous a semblé réalisée, et cette "opposition" plateaux contre région côtières ne nous a pas paru dépasser celle qui existe en France entre marseillais, parisiens et bretons.

Y a pas de sot métier qu’ils disaient...

Tout le long des côtes malgaches, on peut voir régulièrement des petits boutres ou des pirogues venir s’échouer à marée descendante pour ramasser et charger tous les cailloux qui découvrent pendant le jusant.
Mais que font ils donc avec tous ces cailloux???
Réponse: ils luttent contre le chomage…
En effet, dans les villages côtiers on peut observer de gros tas de ces mêmes cailloux en train de se faire réduire en sacs de gravillons.
Assis ou accroupis à côté, des villageois (surtout des villageoises, il faut bien dire…) cassent caillou après caillou pour les transformer en gravier de taille variable.
Et même pas de marteau pour cette opération: Deux gros cailloux bien durs font office de massette et d’enclume…
Ensuite, on procède à l’emballage du gravier, en sacs de 20 kilos qui leur seront payés environ un demi euro chacun.
On sait bien que les américains arrivent au même résultat en employant, le long des routes, les pensionnaires de leurs pénitenciers; mais on a un peu de mal à imaginer ce spectacle dans les paysages européens où la mécanisation a profondément détruit ces possibilités d’emplois rémunérateurs.

Si le pays retrouve son indépendance en 1960, la gestion coloniale se poursuivra jusqu'en 1972, quand l'orientation social-révolutionnaire du président Didier Ratsiraka provoquera le départ général des français qui emportèrent alors avec eux beaucoup de savoir faire technique.
C'est le début d'une période de confusion. La production des principales exportations stagne, le système éducatif et les infrastructures se dégradent jusqu'à presque disparaître.

En 1989, le président Ratsiraka se convertit au libéralisme économique. Le FMI, la Banque mondiale interviennent et les anciennes entreprises

publiques sont privatisées. Ces signes "encourageants pour les observateurs internationaux" n'apportent aucune réponse aux problèmes les plus criants du pays: pauvreté, corruption, défaillance chronique de l'Etat, mainmise d'une grande bourgeoisie sur les richesses nationales,…
Inflation, misère, scandales, gâchis amènent la crise de 2002 et la chute de Ratsiraka qui s'exile en France.
Le nouveau président élu Marc Ravalomana accède au pouvoir.
Depuis, il tente de restructurer et faire fonctionner l'état, entreprend la réhabilitation du réseau routier, détaxe certains produits de grande nécessité, etc… Mais tout ça prend beaucoup de temps et les mentalités ne se concentrent que lentement sur la productivité.
L'affairisme reste très actif.

Un scandale local a éclaté récemment autour d'un séminaire organisé par le président au "profit" des chefs traditionnels du Sud. Dès l'intitulé du séminaire: "Leadership et gouvernement", on voit bien la patte des consultants anglo saxons et, dans le contexte, on s'interroge sur le bien fondé de l'opération; surtout quand pour participer à ce séminaire (et c'est le sujet du scandale) on a réquisitionné sans beaucoup de concertation les chefs dans leur lointaines tribus, les a longuement transportés sur les pistes dans des camions bâchés, puis abandonnés à eux même pour leur hébergement dans la capitale.

Pendant ce temps la dévaluation de la monnaie, l'inflation, la hausse du prix du carburant, provoquent une augmentation généralisée du coût de la vie et rendent celle ci de plus en plus difficile…