LA GAZETTE DE L'A.R.B
Anyvonne Restaurant Bar
 
Traversée de l'Atlantique sud - Le journal de bord
N°37 - Avril 2011

Le journal de bord

 

Quelques encarts

 


 

D'abord remonter la côte Ouest du sud de l'Afrique.

 

Petit retour en arrière

Notre dissertation maritime s'est arrêtée à Simons Town, en Afrique du sud, avec le numéro 35 de cette gazette. On y annonçait notre décision de rentrer passer six mois en France, en confiant Getaway à la marina du club Mykonos, dans la baie de Saldanha (60 milles au nord de Capetown). Depuis, le numéro 36 nous a promenés dans la savane africaine mais ça n'a pas fait progresser beaucoup la situation du bateau sur l'eau.

Pour commencer ce numéro 37, revenons donc à Simon's Town en février 2010 .

Nous venons juste de faire le choix de rentrer au logis dès le mois de mars et de repousser à l'an prochain notre traversée de l'Atlantique.
Mais avant de revenir en Bretagne, il faut encore doubler le Cap de Bonne Espérance (appelé aussi cap des tempêtes) pour mener Getaway jusqu'à sa marina. Une sorte de chenil pour bateaux en quelque sorte... C'est comme pour les chiens, on n'abandonne pas son bateau sur le bord de la route des vacances!!!

Quand nous reviendrons en Octobre, les copains que nous laissons derrière nous seront déjà arrivés de l'autre côté de la grande mare et il se passera sûrement du temps avant qu'on en recroise certains. Peut être Ylang en Guyane, où ils se seront arrêtés pour travailler? Peut être Danaé au Brésil? Ou encore Niaoulis, un jour dans les San Blas?...
Alors on fête nos adieux avec ceux qui sont arrivés à Simon's town, en attendant de remettre en route vers Mykonos marina.


Vent ou brouillard, il faut choisir…

Nous venons de récupérer notre grand voile qui était en réparation à Capetown et maintenant le bateau est fin prêt pour un saut en avant jusqu'à Saldanha. Il n'y a plus qu'à trouver une fenêtre météo pour effectuer confortablement les derniers 80 milles sud africains de cette saison.

Le vent souffle fort par ici; certains jours à Simon's town, nous ne pouvons même pas quitter Getaway pour rejoindre le Yacht Club en annexe. Bien que notre mouillage soit super bien protégé, nous y avons quand même mesuré jusqu'à 45 nœuds de vent...
La bonne nouvelle, c'est que pour aller au nord, vers Saldanha, on devrait pouvoir compter sur une brise qui poussera le bateau dans le bon sens; mais ce serait quand même bien qu'elle ne soit pas trop forte et nous laisse une mer à dimension "humaine"…

Le 24 février les conditions météo paraissent convenables et nous mettons en route, tôt le matin, pour un premier bord de 10 milles au sud afin de sortir de False bay où s'abrite Simon's town. Ensuite on doublera le cap de Bonne Espérance (le vrai cette fois, pas celui des Aiguilles situé plus au sud...) pour remonter vers le nord et la baie de Saldanha. Si tout se passe bien, on devrait y arriver en fin de nuit prochaine.

La journée se passe magnifiquement. Soleil, mer calme... On a été tellement prudents avec la météo que cette fois on va passer le "cap des tempêtes" par vent nul. Beau cap ma foi, découpé à souhait. Mieux vaut ne pas s'y frotter par gros temps... Mais pour nous, une vraie croisière de rêve, sauf le bruit du moteur, évidemment…
En fin d'après midi, on est devant Capetown, qu'on aperçoit mal dans la brume naissante. Très peu de vent,Moteur toujours...
Quand il n'y a pas de vent sur cette partie de la côte il y a souvent du brouillard; on le savait, on l'avait lu, mais on ne se rendait pas bien compte. En douze ans de navigation on n'en a quasiment jamais rencontré, alors on y croit moyen... Aujourd'hui quand il nous tombe dessus, alors que le soleil vient à peine de disparaître, on est un peu surpris. Capetown, pourtant proche, a complètement disparu. Aucun halo de lumière, rien... En plus, on est en plein dans le rail des cargos qui va vers le nord. Enfin bon... Ce n'est pas celui d'Ouessant non plus... Et aujourd'hui il n'y a pas grand trafic.
Pour compenser cette cécité subite, on se tourne naturellement vers le radar dont il suffit de regarder l'écran pour être informé sur tout ce qui circule autour de soi. Oui mais voilà, depuis le temps qu'il n'a pas servi, on avait complètement oublié que notre vieux radar était en train de devenir aveugle – et donc nous le sommes, aujourd'hui, avec lui... On a beau scruter l'écran, aucun écho ne s'affiche alors qu'on sait que des pêcheurs patrouillent tout autour. D'ailleurs notre "MerVeille" les détecte très bien et n'arrête pas de couiner... Sauf qu'il ne nous dit pas où ils sont et ne sert donc qu'à nous stresser un peu plus... (rappelons à ceux qui viendraient d'arriver que le "MerVeille" est un détecteur de radars, dont on est équipé depuis deux ans. C'est un appareil qui braille quand on est balayé par un faisceau radar, nous prévenant ainsi de la présence d'un gros bateau dans les environs)
Le capitaine en est réduit à appeler par VHF les bateaux proches pour qu'ils lui communiquent leur position. Certains le font et on constate sur la carte qu'ils ne sont pas bien loin.
Alors on scrute le coton tout autour, à s'en éclater les yeux. Le "MerVeille" n'arrête pas de pigner pour bien nous rappeler qu'il y a plein de vie autour de nous... Mais on ferait aussi bien d'aller dormir... On ne voit strictement rien... Ni lumières, ni bateaux.
Pourtant si! Plus tard dans la nuit, le capitaine voit soudain apparaître un feu rouge. Tout près devant... Mais surtout très haut!!! Sans doute une vingtaine de mètres. En tous cas plus haut que le mât de Getaway. Le bruit d'un moteur aussi... Un gros moteur...
C'est un cargo qui nous croise à très faible distance, dont on ne voit même pas l'ombre de la coque... Juste ce lumignon, à hauteur d'un quatrième étage, qui disparaît rapidement sans qu'on comprenne bien comment se situe sa route par rapport à la notre. On n'est pas bien farauds sur Getaway... On se rassure en se disant que ce gros cargo nous avait "certainement" localisés et qu'il ne nous serait quand même pas rentré dedans; Certainement pas!
On passera la nuit ainsi, les yeux écarquillés sur rien. Juste deux ou trois fois, on distinguera les halos des forts éclairages qu'utilisent les pêcheurs en action. De ceux là, on ne craint pas trop car ils sont à la manœuvre et doivent nous apercevoir sur leur radar; alors on suppose qu'ils agissent en conséquence... Enfin on espère...
Heureusement, il reste le GPS pour savoir où nous sommes… Il nous permettra ainsi d'éviter Dassen Island, toute proche de notre route, mais dont on n'apercevra aucune lueur du puissant phare qui la garde. Vers deux heures du matin le brouillard est toujours aussi épais, mais on sort enfin du rail des cargos et le capitaine commence à se calmer. Il finira même par dormir un peu en fin de nuit.
Au lever du jour, le brouillard se dissipe progressivement en même temps que le soleil monte. On découvre alors, un peu partout autour de nous les chalutiers qui labourent la mer... Heureusement qu'eux nous voyaient sur leur écran... Surement…

Vers 9 heures, on arrive sans plus d'incidents devant la marina du club Mykonos, alors que le vent se lève. Il forcira rapidement pour souffler à plus de 30 nœuds pendant les 3 jours suivants. On pourra ainsi vérifier la qualité de l'abri dont va bénéficier Getaway pour les mois qui viennent.
On fait aussi le serment de ne pas le faire sortir de cette marina sans avoir auparavant remplacé son radar.
Maintenant qu'on est là, on va essayer de profiter un peu des ressources du coin.

La Grèce au cœur de l'Afrique…

C'est peu dire qu'au premier abord, l'endroit est surprenant!

Le "Club Mykonos" est un ensemble immobilier de résidences de vacances. Entièrement clos, avec portail gardé nuit et jour, c'est aussi une sorte de ghetto pour riches sud africains en goguette – un casino est installé dans l'enceinte du club.
Tout autour, on est bien dans le "désert sud africain", sable et végétation pelée... Par contre, dès qu'on pénètre à l'intérieur del'enceinte, c'est comme là bas dis! Grec par tous les détails. Et verdoyant, en plus...
Sur les pentes des collines qui entourent la marina et la plage, s'accroche un gros village de petites maisons d'un étage, arrangées soigneusement en un certain désordre, toutes blanchies à la chaux et agrémentées d'ouvertures à balconnets. Portes, fenêtres et volets soigneusement peints en rouge, jaune, bleu, ou vert…

Le plan du village imite celui des îles grecques, tortueux et comme conçu au hasard...
Ruelles et placettes ont toutes le sol pavé, souligné en blanc. Autour d'une petite place, une chapelle façon orthodoxe fait face à une rangée de boutiques abritées sous des arcades ombragées.
Partout, des arbres qui ressemblent à des oliviers. Même un moulin à vent en haut de la colline!

Tout y est neuf et imité, évidemment. Mais on a quand même trouvé l'ensemble plutôt sympathique et réussi…

Le quai faisant face à la marina est entièrement occupé par les grandes terrasses des bars-restaurants. Très fréquentées le week end et pendant les vacances...
Nous en essaierons les menus mais n'insisterons pas… La cuisine , ne fait pas semblant, elle! Rien de grecque... Typiquement anglo-saxonne! A part les sushis, peut être....
Pour manger, on préfèrera de loin les restaurants de Langebaan, la station balnéaire proche de Mykonos (7kms). Chaque fois qu'on a loué une voiture, on en a profité pour y aller se régaler de fruits de mer de toutes sortes.

Le Biltong, une gourmandise Boer.

Ce dernier est une spécialité sud africaine qui remonte au grand trek (1835). Pour conserver la viande chassée, les boers la découpaient en fines lanières et la faisaient sécher sur les bâches des chariots... bœuf, koudou, autruche,... Nous qu'on n'a pas de chariot, on l'achetait toute séchée, pour l'apéro ou pour quand on n'aura plus rien à manger au milieu de l'Atlantique!

Pour peupler les lieux le reste de la semaine, le site abrite un centre de congrès et de séminaires d'entreprises. Sous le soleil sud africain, cette situation parait très favorable à la relaxation entre deux réunions.
A l'extérieur du "club Mykonos", une longue avenue de 500m mène à un centre commercial – un mall comme on dit ici. On peut donc facilement aller faire ses courses à pied, faire laver son linge, louer une voiture, dénicher la pièce qui manque, chez le shipchandler (un radar par exemple), faire le plein de biltong...


Aller Retour vers les plaisirs métropolitains…

Les jours qui suivent notre arrivée à Mykonos seront surtout consacrés à la préparation du bateau pour son long séjour solitaire: réglage des panneaux solaires pour une charge d'entretien des batteries, démontage des panneaux non nécessaires, rangement des voiles et du gréement courant, confection sur mesure d'aussières doubles pour les points d'amarrage du ponton, mise en place de pièges à humidité pour éviter que ça moisisse dans les placards...
Et puis tout quoi... Y compris nos bagages pour passer six mois en France. C'est à dire pas grand chose puisque tous nos vêtements un peu chauds sont restés en Bretagne...

Le jour du départ on a le cœur un peu serré de laisser Getaway tout seul pour aussi longtemps. C'est la première fois en douze ans! Pour se rassurer, on jette un dernier coup d'œil aux aussières toutes neuves... Mais trêve d'attendrissement, il faut se dépêcher… L'avion nous attend!

En fait, ce "long" séjour métropolitain passera très vite.
Deux chantiers de rénovation nous y occuperont, en plus des visites de nos petits enfants dans une maison qui commence à avoir les qualités nécessaires pour les recevoir.
Si on ajoute à tout ça un tour Franco-Suisse en automobile pour visiter les amis qui y étaient en escale, on comprend que le mois de septembre se soit littéralement précipité sur nous...
Il a fallu alors reprendre l'avion. Après dix huit heures de voyage et deux escales (Le Caire et Johannesbourg) on se sentait un peu comme des martiens quand on a remis le pied sur le sol de Capetown, début octobre 2010

Mais le pied martien est vite redevenu le pied marin...

Getaway nous attendait patiemment à son ponton. Seules deux amarres sur huit étaient rompues. Un pare battage éclaté aussi: preuve qu'une mer forte était parvenue à faire son chemin jusqu'au cœur de la marina. Le bateau lui même n'avait pas subi de dégâts plus importants et il ne restait plus qu'à remettre les choses en place, dans l'ordre inverse du démontage du mois de mars, avant de préparer le départ vers le nord et la Namibie.
Ah c'est vrai, il fallait aussi penser à remplacer le radar... Une occasion de se remettre en jambes, en allant s'agiter le long du mât, pendu à la chaise de calfat.

En plus de ces soucis techniques, il faut aussi penser à l'avitaillement pour une traversée de l'Atlantique qui devrait prendre une trentaine de jours.
Pour cette durée de traversée, le capitaine souhaite un avitaillement permettant de tenir deux à trois mois.
Des kilos de farine, de pâtes, de riz... du biltong... Des dizaines de boites de conserve... C'est hallucinant d'observer tout ce volume de nourriture qu'on accumule – et qu'on finira même par manger... ("Ça prendra sans doute quand même jusque fin 2012": réflexion ironique de la cuisinière).
Comme on ne sait pas bien ce qu'on va trouver en Namibie, on veut acheter le maximum de choses ici.

En route vers Luderitz.

De la difficulté d'observer les règlements de sécurité.

On profitera de nos derniers voyages à Capetown pour faire réviser le radeau de survie et remplacer les fusées de détresse périmées.
Les fusées de détresse sont classées "pyrotechnie" et les règlements "modernes" concernant la sécurité du fret maritime et aérien rendent très difficile leur acheminement et donc leur importation dans les pays de faible consommation. Évidemment les particuliers, ne peuvent pas les prendre dans leurs bagages d'avion, et même les cargos font maintenant la fine bouche pour embarquer des radeaux neufs (à cause des fusées qu'il contiennent).
Nous n'avons pas pu traiter le problème de péremption de nos équipements depuis 2007, quand nous sommes arrivés à Madagascar. Même à Mayotte, il est quasi impossible d'acheter des fusées ou un radeau. Impossible aussi d'y faire procéder à la révision OBLIGATOIRE d'un radeau de la marque du notre. Il faudrait retourner aux Seychelles...
Avec les pirates somaliens?
A la question: "comment procèdent les plaisanciers locaux"? On nous a répondu "Ici les autorités maritimes sont bien conscientes du problème et "acceptent" qu'on se balade dans le lagon avec des engins périmés…"
Oui, mais si on a VRAIMENT besoin de ces engins et pas uniquement pour la réglementation. Par exemple pour sa sécurité en mer, à l'extérieur du lagon?
Ah ben alors là…?

Tout ce travail de préparation s'est passé plutôt bien, même s'il a fallu faire deux ou trois allers et retours à Capetown: Pour trouver du matériel, faire réparer le génois dont on a découvert – un peu tard – que le point d'écoute était en train de rendre l'âme, faire réviser la survie, faire les formalités de départ à l'immigration…
Mais c'était aussi l'occasion de "promenades-découvertes" distrayantes à Cape Town... Et de fruits de mer à Langebaan au retour...
En tous cas, début novembre, tout est prêt pour reprendre la route vers le nord.

Notre premier objectif est Luderitz, à près de 500 milles, le port le plus sud de la Namibie - qui n'en compte que deux...
Cette fois encore, on a fait un choix météo très prudent et les 30 premiers milles seront parcourus au moteur en attendant que le vent se lève et pousse suffisamment.
Ce sera alors 10 à 15 nœuds entre grand largue et vent arrière. Plutôt confortable... Et rapide même, car le courant froid de Benguela nous aide pour au moins un bon nœud. Divertissant aussi, avec les otaries qui pullulent dans cette eau froide et paraissent très contentes de nous voir passer près d'elles.
La traversée a duré 5 jours sans incident ni rencontre notables, enfin presque...
En fin de parcours, on constate que l'arrivée sur Luderitz va se faire en pleine nuit. Vers une heure du matin... Ce n'est pas bien gênant car on n'aura pas à entrer dans le port. On pourra mouiller avant, dans une vaste baie bien protégée du sud par "Diaz point", dont le phare d'atterrissage à longue portée doit permettre une approche "éclairée"... Tout est donc pour le mieux.
Juste un détail: la météo prévoit qu'en fin de journée le vent doit se renforcer à plus de 25 nœuds, de Sud Est. Ce serait donc bien d'être vite arrivés si on ne veut pas être trop secoués... Avec le courant qui nous pousse, ça marche plutôt bien...

Dès la fin d'après midi le vent forcit, comme prévu. On file grand largue, tribord amure à 7-8 nœuds, ce qui est vraiment très honorable pour Getaway.
Et puis la nuit tombe. Très noire. La mer est vide. Pas une lumière, rien... La côte que nous longeons à une dizaine de milles est un désert de sable. Aucun port ni abri. On n'y trouve que des diamants et les décorations de Noël n'y sont pas encore installées...
Alors circulez, y-a rien à voir....

Un cargo qui ne dormait que d'un œil…

Vers 22 heures pourtant, le "MerVeille" se met à couiner et on aperçoit les feux de route d'un navire, quelques milles devant nous.
Il se présente par son travers tribord, c'est à dire qu'il se dirige vers la côte, à l'est. Après quelques minutes à l'observer, on a l'impression qu'il n'avance pas.
Comme il n'y a aucun port à cette latitude, le capitaine "comprend" que c'est un cargo qui a mis en panne. Comme les deux qu'on a déjà rencontrés depuis Mykonos, qui attendaient que le temps passe en se laissant dériver sans erre, travers au vent.
Celui ci est dans une telle position par rapport à nous, qu'en continuant sur notre cap on va passer sur son avant, en le laissant légèrement sur notre bâbord. Et vogue la galère à plus de 7 nœuds.
On se rapproche rapidement du navire qui paraît effectivement immobile, pas bien loin à l'ouest de notre route. Et puis, à mesure qu'on s'approche vraiment, un malaise s'installe. Ça se présente de plus en plus comme si on était en route collision.
Plus la distance diminue, plus on a l'impression que ça ne va pas le faire...

Mais enfin on ne peut pas être en route collision avec un bateau en panne, si on ne se dirige pas vers lui!!!
Et pourtant...
Le capitaine décide alors d'accélérer en s'aidant du moteur. - C'est toujours tentant d'augmenter vitesse et manœuvrabilité en s'appuyant sur cette "voile" d'appoint...
La nuit est très noire et, à part ses feux de route, on ne voit rien de la silhouette de notre cargo. A l'écartement de ses feux avant et arrière, on devine juste qu'il doit être long...
Et puis vient l'instant où son feu avant est si proche, qu'il est masqué par le génois de Getaway.
Moteur à fond la caisse, on lofe tellement pour passer quand même, qu'on finit par virer de bord... En plus, comme le compas de route n'est pas allumé, on ne sait plus du tout quel cap on fait.
Le second prend la barre, pendant que le GG fonce allumer l'éclairage du compas.
Quand on peut enfin lire l'instrument, on s'aperçoit qu'on a fait demi tour vers le sud alors que le cargo nous montre son arrière, assez loin devant nous! Et dans notre est!

Nous ne comprendrons jamais très bien comment ça s'est réellement passé... Ce qui est sur, c'est que ça a du se passer tout près...
Pendant les quelques minutes où la panique a régné sur Getaway, ce navire a pu passer d'ouest en est de notre route et quand même se retrouver devant nous après que nous ayons fait demi tour??
Ça fait un peu comme en voiture quand on a fait un tête à queue sur une plaque de verglas, qu'on est encore sur ses quatre roues mais dans l'autre sens sur la route... On est un peu désorienté. (Si c'est aussi votre cas, on vous fera un dessin la prochaine fois qu'on se voit, promis)

L'incident nous a quand même coûté pas mal d'adrénaline.

Enfin, on a compris quand même quelque chose: en cas de doute, même minime, on ne s'acharne JAMAIS à passer sur l'AVANT d'un navire.
On ne s'entête pas à le croire immobile alors qu'il peut quand même avoir de l'erre. On fait même l'hypothèse inverse en priorité: qu'il a de l'erre, même si c'est en avance lente...
Quel que soit le coût de la manœuvre, si elle est encore possible, on se débrouille pour passer sur son arrière.
Cette nuit là, cette règle a bien progressé dans la tête du capitaine ... Il jure qu'une situation pareille ne se reproduira pas. Il en a encore honte et une vraie trouille rétrospective...

Puis un phare qui ne clignait pas du sien (d'oeil)

Pendant le spectacle, les travaux continuent: Alors qu'on laisse notre rythme cardiaque s'apaiser doucement, Getaway, remis sur son cap, poursuit sa progression à plus de sept nœuds et nous amène à l'heure prévue dans la zône où on devrait commencer à apercevoir les éclats du phare de "Diaz point" (15 milles nautiques)
Depuis notre dernière "rencontre", on ne peut pas dire qu'on somnole sur Getaway. Nos yeux écarquillés scrutent la nuit... Avec les jumelles... A l'œil nu.... On cherche le P... de phare partout! Mais rien du tout, aucune lumière à l'horizon.
La visibilité est pourtant convenable. Le feu de "Diaz point" doit être éteint... Ca ne nous étonne pas outre mesure, mais ça ne nous met pas à l'aise non plus...
Ce phare signale l'extrémité d'une langue de sable assez basse, dont l'approche n'est pas très claire et qu'il faut tourner à plus d'un mille sur tribord pour pénétrer dans la baie de Luderitz.
Comme la langue de sable suscite peu d'écho radar, heureusement que GPS est là! On devra s'approcher à moins de quatre milles de la côte, pour apercevoir quelques lumières domestiques témoignant qu'il y a bien de la terre là où il doit y en avoir!!! Le radar ne le confirmera qu'ensuite.

On finit tout de même par tourner "Diaz point" sans en avoir vu le phare, pour pénétrer prudemment dans la baie qui se cache derrière. Heureusement, on y trouve bien la protection prévue et on peut ralentir pour progresser doucement dans la direction de deux gros bateaux, très illuminés, qui sont mouillés tout au fond (enfin, ce coup ci on espère qu'ils le sont bien!!!). On passe à proximité des deux monstres - genre Beaubourg la nuit, avec tout plein de gros tuyaux éclairés en mauve, vert,rose et bleu du plus bel effet – avant de pouvoir poser l'ancre et enfin se relaxer vraiment.

Relaxer... Vraiment? Le capitaine n'arrête pas de penser à son " cargo en panne". Quelle honte!!!
Il devait être en avance très lente... Trop lente pour faire changer la perception d'un capitaine têtu?
L'erreur a été de ne pas empanner pour passer sur son arrière quand les doutes sont apparus. Mais n'était il pas déjà un peu tard??? La leçon n'a pas fini d'être méditée…

Enfin pour ce soir c'est bon. On n'entrera dans le port de Luderitz que demain matin, et de jour!
Assez d'émotions pour cette nuit!!!

Luderitz enfin…

Au matin du 10 novembre, nous découvrons les bateaux voisins qui ont éclairé cette nuit notre approche du mouillage:
Equipés d'une immense plateforme surplombant leur proue, ce sont deux énormes usines à pomper le fond de la mer pour y trouver des diamants....
L'industrie diamantifère est très active sur ces côtes. Et ce n'est pas exactement de l'artisanat africain…

Après un petit déjeuner copieux qui signe dignement la fin de cette première étape, on remet en route vers le port, à moins d'un mille, pour aller s'amarrer à une bouée devant le Yacht Club local.

On y trouve peu de voiliers . Les trois seuls qui sont là ne servent probablement qu'à offrir des promenades dans la baie aux quelques touristes qui s'aventurent jusqu'ici.

D'emblée on se lance dans le classique tour des autorités susceptibles d'être intéressées par notre arrivée dans le pays: immigration, douane puis capitainerie. Ici, tous sont rassemblés dans l'enceinte du port et le circuit est vite bouclé.
On en profitera pour apprendre aux fonctionnaires de la capitainerie que leur phare sur "Diaz point" est en panne. Ça a paru les étonner un peu mais pas les émouvoir vraiment…

Luderitz a l'air d'une cité de bout du monde. Le désert l'enserre de très près, dont le vent souffle en permanence le sable et la poussière sur les bâtiments et dans les rues.
C'est à la fois propre.... et ensablé... Une ville surannée et assoupie,dont on a assez rapidement fait le tour, mais qui est tout de même très intéressante dans son rôle de témoin historique, même si nostalgique.
La plupart des immeubles datent du début du siècle passé et n'ont pas été remplacés par des constructions "plus modernes". Leurs façades représentent l'architecture allemande de la fin du 19ème siècle. Des allemands nous ont confié qu'ils venaient observer en Namibie une architecture urbaine plus typiquement germanique que chez eux…

Pendant notre séjour on fréquentera régulièrement le Yacht Club, qui lui, est moderne et tout neuf – comme une grande partie du port.
Surtout pour y prendre nos douches (payantes) car pour le reste l'endroit ne présente que peu d'intérêt et nous même n'y intéressons personne. Les gens qu'on y croise ne paraissent pas se passionner beaucoup pour les bateaux. Ça semble être surtout un lieu de rencontres sociales où les gens viennent le dimanche déjeuner en famille.
Le reste de la semaine, en fin d'après midi, une dizaine d'habitués, plutôt taciturnes, sirotent au comptoir leur bière épicée d'une sorte de liqueur noire et forte qui rappelle un peu "l'amer" des alsaciens.

Quand le sable se fait diamant…

A proximité de Luderitz, nous irons visiter les restes de "Kolmanskop". C'était une cité "minière" installée par les allemands en 1908, à une dizaine de kilomètres dans le désert, pour récolter les diamants qu'on commençait à trouver sur le sol de cette région.
Pour cette découverte, les autres visiteurs étant germanophones - comme la majorité des touristes en Namibie - nous avons profité d'un guide (anglophone) pour nous tous seuls.
Même s'il s'agit d'une ville fantôme - beaucoup de ruines... constructions encore debout envahies par le sable - cette visite est intéressante par sa puissance d'évocation d'une réalité "coloniale" dont certains aspects restent un peu surprenants :

- Huit cent personnes vivaient dans ce village. Le gros de la troupe était constitué de travailleurs africains sous contrat qui restaient enfermés dans les limites de l'établissement pendant les trois ans que durait leur engagement. Il leur était interdit de sortir et ils ne touchaient pas d'argent avant la fin de leur contrat.
Comme nous a dit notre guide: "ils n'étaient pas trop payés" mais, comme ils ne pouvaient rien dépenser, au bout de leur contrat ils repartaient avec un "bon" pactole...
- Ceusse qui n'étaient pas africains devaient avoir plus de liberté, mais on paraît quand même avoir soigné leur isolement et l'avoir minutieusement (et luxueusement) aménagé.
Bien que Luderitz ne soit pas très éloigné, le village s'était organisé une autonomie totale pour la vie quotidienne. Boulangerie, Boucherie, Épicerie, Ameublement..., tout était disponible ici, à partir du fret débarqué à Luderitz.
La boucherie profitait même pour la conservation, d'un très ingénieux système de réfrigération. Pour le faire fonctionner, on pompait l'eau de la mer à travers plus de quinze kilomètres de désert.
Il y avait aussi un bel hôpital – c'est le premier établissement du sud de l'Afrique à avoir disposé d'un service de radiologie.
Et un bureau de poste évidemment... Même pour les loisirs: La salle des fêtes, immense pour la taille du village, accueillait régulièrement des tournées européennes d'opéra, de danse, de théâtre, de music-hall...
Ça rappelle ce qu'on a lu à propos de certaines cités du centre de l'Amérique du Sud (genre Potosi ou Manaus) à l'époque du ratissage des matières précieuses par les européens....
- L'habitat du personnel européen était construit en rapport exact avec la situation hiérarchique de ses occupants:
Le directeur du centre habitait une très grande maison située sur une éminence, de telle sorte qu'elle est ainsi la première visible en venant de Luderitz.
Ensuite venait le médecin, dans une maison un peu plus basse. Puis le directeur financier.
Le directeur des loisirs suivait, qui disposait d'une maison suffisamment grande pour abriter une bibliothèque de prêt...
Le personnel enseignant était logé près de l'école.
- Plus loin et plus bas venaient les pavillons du personnel d'encadrement, avant les dortoirs des ouvriers africains.

- Une petite voie ferrée desservait toutes ces habitations, sur laquelle circulait un wagon tiré par des chevaux.
Cette navette témoigne de ce que les belles allemandes ne souhaitaient pas marcher sous le soleil et obscurcir leur peau.

Je pense que l'isolationnisme dont témoigne l'organisation de ce village, venait de l'obsession permanente des diamantaires d'éviter les fuites de leur produit vers l'extérieur.
Une quantité énorme de richesses était extraite ici, pour accumuler des fortunes colossales en Europe. La prévention des vols de récolte était - et reste toujours - le souci prioritaire des directions minières. Aujourd'hui encore, il est interdit de s'aventurer seul dans les zones diamantifères.
Sauf raison d'urgence pour la sécurité, l'approche et surtout le mouillage des navires sont toujours interdits tout au long de la côte namibienne au sud de Luderitz.

C'est reparti

Deux semaines dans ce port sur lequel le vent souffle fort et sans arrêt... C'est assez fatigant à la longue.
Le sable recouvre doucement le pont de Getaway... Si on reste là trop longtemps il va finir par ressembler à KolmansKop.

Alors le 20 novembre on reprend la mer vers Walvis bay.
Situé 200 milles plus au nord, c'est LE grand port de Namibie. Bien abrité du sud, il est par contre tout à fait ouvert au nord. Heureusement en cette saison le vent ne souffle pas de cette direction. Il est assez fort mais toujours de secteur sud...
On a donc consulté assidument la météo et, une fois encore, ce sera une traversée peinarde. 15 nœuds de l'arrière: le rêve... Je crois que bientôt nous n'accepterons plus de naviguer à une autre allure…

Bref, encore une navigation sans aucune aventure... 48 heures, avec seulement des otaries pour témoins. Attentives, somnolentes ou joueuses... Partout...
Elles remplacent les dauphins qui ne sont pas très nombreux par ici.

Walvis bay, le vent de la plaine…

Une baie immense, protégée à l'ouest par une très longue langue de sable (près de 10 milles), dont l'extrémité - "Pelican Point" – est marquée par un grand phare ...
Cette fois le phare marchait mais on n'en a pas eu besoin, vu qu'on est arrivé là vers 10 heures du matin.

Au fond de la baie, le port. Assez actif ma foi! Les porte conteneurs s'y succèdent sans arrêt et il y en a toujours au moins un à quai. Il faut dire qu'il dessert toute la Namibie, mais aussi le Botswana, le Zimbabwe et la Zambie qui sont enclavés au milieu de l'Afrique. Ça en fait des bouches à nourrir…

Juste à la limite de la zone portuaire, quelques bateaux de plaisance se balancent au mouillage devant un Yacht Club.
Une dizaine de catamarans à voile ou à moteur qui servent à emmener les touristes en promenade dans la baie - et ici ils sont bien plus nombreux qu'à Luderitz; quelques vedettes genre pêche-promenade; et puis quand même 3 ou 4 monocoques, qui sont là pour le plaisir de leur propriétaire.
Du point de vue nautique, ce Yacht Club n'est pas super actif... Plutôt un pub-restaurant pour la bonne société locale .
Il organise quand même quelques régates, pour dériveurs et catamarans de sport, pendant les vacances d'été – c'est à dire juste maintenant. Une course "hauturière"aussi, jusqu'à Swakopmund , à 17 milles au nord. Mais là, ça doit surtout être une excuse pour boire des coups...

Ici plus encore qu'à Luderitz, le vent souffle fort. Généralement modéré à faible le matin, il forcit à partir de midi et souvent en fin d'après midi ça devient sportif de rallier le Yacht Club en annexe. 35 nœuds sont monnaie courante, parfois plus. Et cela tous les jours.
Heureusement, pour cette direction de vent, la baie forme un espèce de lagon dont la surface reste plate avec peu de clapot.
Du coup, tous les ans en octobre, il s'y organise un championnat de planche à voile et de kite surf. On y accourt du monde entier et c'est là que se battent les records de vitesse en planche. Ces records sont homologués pour des vitesses moyennes supérieures à 80 Kmh, mesurées sur un mille nautique.

Mais s'il y a du vent et du désert, il y a donc du sable et de la poussière... Quand nous partirons, la poussière sera partout sur Getaway et le gréement courant sera devenu tout gris...

On parlait de mouillages devant le Yacht Club, mais il n'y en a pas vraiment de libres pour les bateaux de passage. C'est en cherchant une bouée pour Getaway que nous avons rencontré Arie Tuyt, l'homme qui s'occupe de leur "gestion" .
En fait il n'a pas grand chose à gérer puisqu'il n'y a rien de libre.
Alors il se rattrape par la grande gentillesse dont il fait preuve à votre égard, dès la première rencontre.
C'est un pêcheur retraité qui connaît donc bien la mer... Sa volonté de rendre service, en refusant toute contre partie, est émouvante... C'est à bord de sa voiture que nous irons remplir notre bouteille de gaz, amener notre moteur hors bord chez le réparateur, bidonner le gasoil...
C'est à lui et à son accueil chaleureux que nous pensons maintenant quand nous évoquons Walvis bay.

Autour de nous, on observe tous les matins une activité "routinière".
Vers huit heures, les équipages des bateaux de promenades arrivent pour préparer leur monture. A neuf heures, chaque bateau embarque une bonne vingtaine de touristes pour aller voir les otaries et quelques dauphins du côté de "Pelican point" . Les oiseaux aussi, dont une colonie de pélicans évidemment - ce sont les premiers que nous voyons depuis le Vénézuela. Beaucoup de flamands roses aussi.
Comme les promène-touristes attirent les pélicans en leur proposant de la nourriture dès le départ du mouillage, nous pouvons nous aussi les observer de près.
Ils nous attendrissent toujours autant par leurs évolutions en escadrille, un peu lourdauds mais très organisés.
Les promenades durent la matinée et les bateaux reviennent tous vers midi, avant que le vent monte, pour débarquer leurs passagers devant les restaurants installés près de l'embarcadère.

Comme nous l'avons évoqué dans le numéro précédent, c'est d'ici que nous sommes partis faire une rapide découverte de la Namibie de l'intérieur en voiture.

En tout, nous resterons à Walvis bay près d'un mois avant d'entamer, le jour de Noël, notre traversée de l'Atlantique.
Nous avons alors très envie de retrouver des eaux plus chaudes pour reprendre nos bains de mer... Depuis le cap des aiguilles, les eaux de l'Atlantique sont tellement froides qu'on n'a jamais pu se baigner, ou alors tout habillés de néoprène. La faute au courant du Benguela qui ravit les otaries.
Comme disait ma mère: le malheur des uns...

Et maintenant, l'atlantique sud dans sa plus grande largeur...


D'abord, traverser jusqu'à Sainte Hélène

Nous souhaitons nous arrêter sur cette ile mythique où notre empereur à nous finit sa vie.
Non... Je parle de Napoléon 1er, pas de l'actuel. C'est vrai que l'un comme l'autre ont du se trouver trop petits et que c'est peut être pour compenser ça qu'ils ont montré si grande envie de dominer leur entourage? Serait ce une condition nécessaire pour faire les "grands hommes"?
L'histoire récente prouve que ce n'est pas une condition suffisante...

Lutter contre la nausée.

Notre hôtelier de Swakopmund nous a appris qu'absorber du gingembre pouvait éviter le mal de mer. La cuisinière en a donc fait le plein, sous toutes les formes qu'elle a pu trouver, de la racine brute aux fines tranches confites pour accompagner les sushis: arrivé de l'autre côté de l'Atlantique, le capitaine a l'air de s'en être plutôt bien porté...
Peut être que c'est efficace après tout?


Mais, revenons à nos moutons...
Eh bien justement, il n'y en a pas tellement de moutons sur la mer, ce matin de Noël quand nous sortons de Walvis bay. Un petit vent léger, plutôt sur l'arrière, va nous permettre de nous amariner sans grande difficulté.
Bien sûr, le courant de Benguela vient perturber un peu cette douceur de vivre, mais ça ne fait pas une mer déchainée. Juste assez croisée pour permettre au capitaine de se plaindre et de souhaiter que ça ne dure pas trop longtemps… (vite du gingembre..)

On s'éloigne donc gentiment de la côte africaine, en saluant Arie au passage. Il a réussi à convaincre son épouse de venir en bateau pique niquer près du phare. Une croisière de quelques milles ... Il fait beau et c'est la pleine période des grandes vacances ici.
Jusqu'à Sainte Hélène nous ne croiserons que des pêcheurs, surtout les premiers jours. La deuxième nuit ils étaient encore nombreux à labourer l'océan autour de nous. De gros chalutiers très éclairés, qui ne risquaient pas de passer inaperçus dans la nuit. Les cargos qui font une route nord /sud passent beaucoup plus à l'ouest. La veille était donc facile.
Et pourtant...

Un remake maritime et nocturne du film "Duel" ?

Au milieu de la nuit, alertés par "MerVeille", nous observons une de ces usines à poissons qui tire son chalut dans notre direction. Sa route , nord sud, semble perpendiculaire à la notre et le capitaine surveille de près son évolution car on ne doit pas être loin de la route collision.
A mesure que le chalutier se rapproche, on distingue clairement, aux jumelles, les câbles qui tirent le filet dans son sillage. Il ne va pas bien vite mais l'expérience cuisante du cargo de Luderitz est encore très présente dans l'esprit du capitaine. Encore indécis, il essaie d'en savoir plus en appelant le pêcheur à la VHF. Pas de réponse...
Pourtant ce dernier se rapproche et sa vague d'étrave est maintenant nettement visible à l'œil nu. Comme on n'est pas sûrs de pouvoir lui passer devant, on ne va pas insister; par contre il faudra le passer loin derrière, à cause du chalut.
Nous sommes vent arrière sous génois tangonné. C'est donc une manœuvre d'empannage un peu laborieuse qui nous permet de le croiser sur une route parallèle, le laissant à une centaine de mètres sur bâbord. On donne au chalut le temps de passer et quelques minutes après le croisement, on remet Getaway sur la route initiale, en abattant de 90°, et on réinstalle le tangon du génois.
La manœuvre terminée, on peut souffler un peu et regarder à nouveau autour de nous...
Et là, stupeur... Pendant le temps de la manœuvre, le P... de pêcheur a déjà fait demi tour et nous revient dessus, à toute pompe. Du sud cette fois. Et de telle manière qu'on ne pourra encore pas le croiser sur son avant.
Il faut donc répéter – dans l'autre sens, mais c'est pareil – la manœuvre de détangonnage qui nous permettra de le laisser passer à tribord, attendre le passage du chalut puis remettre Getaway sur sa route.
Cette fois, on garde un œil attentif et méfiant sur le chalutier qui s'éloigne. Est ce bien terminé?

Le capitaine, un peu parano, se demande " Pourquoi tant de haine"?
Il lui paraît évident que ce pêcheur a manœuvré ainsi pour se distraire de sa nuit ennuyeuse et qu'il a fait exprès de nous emm... deux fois de suite.
On espère juste que deux fois lui suffiront et qu'il n'a pas l'intention de faire une version maritime de "Duel", le film de Spielberg.
Mais non, le marin taquin semble s'être lassé du jeu et continue à tirer son filet vers le nord, jusqu'à ce qu'on le perde de vue.
Fin de l'épisode…

On parle d'une tradition qui veut que ça porte chance à un pêcheur de croiser le sillage d'un autre bateau... Comme celui ci s'est acharné à nous passer devant, on espère bien qu'il est rentré bredouille?

A part ces quelques incidents, les jours se suivent et se ressemblent, sur la route Atlantique. Rien ne vient vraiment déranger le cours des choses.
Même le poisson refuse de venir rompre notre routine en s'accrochant à l'hameçon que nous trainons sans relâche depuis le départ. (La tradition évoquée ci dessus ne nous a pas porté chance! Elle a l'air moins fiable que le gingembre...) Pourtant ça mettrait un peu de variété, dans notre emploi du temps comme dans notre régime alimentaire... Mais non.
Et ce sera ainsi jusqu'au Brésil.

Il faut croire que les poissons se gaussent de nos leurres, pourtant magnifiquement colorés.
On les a achetés à Langueux, en Bretagne, sur les conseils éclairés d'un pêcheur passionné. Mais ce dernier avait l'habitude de pêcher au large de Madagascar... Alors peut être que les poissons d'ici ne parlent pas la même langue?

Pour cette longue traversée on a installé le carré de Getaway en configuration tatami, alors on peut y séjourner, lire,déjeuner, mot-croiser, sudoker, broder, veiller ou dormir. Avec des coussins partout et au portant, c'est vraiment confortable…

A Sainte Hélène, ça roule pour nous...

Transborder les choses et les gens... Ici c'est vraiment un métier.

Nous aurons l'occasion de le constater lors de l'escale du Santa Helena, l'unique cargo mixte qui fait la ligne Capetown - Sainte Hélène - Ascension et retour.
Outre les visiteurs, toutes les marchandises dont on a besoin sur l'ile arrivent nécessairement par là, qu'il faut charger ou décharger.
Pour ce faire tout est transbordé sur des barges plates, à l'aide des grues du navire qui reste mouillé à quelques centaines de mètres au large. Des conteneurs, mais aussi du matériel en palettes ou en paquets: bois de construction, sacs de ciment, rouleaux de grillage...
Ensuite, remorquées par des barcasses ou propulsées par un énorme moteur hors bord, les barges lourdement chargées approchent à une cinquantaine de mètres du quai.
A partir de là, un réseau d'aussières flottantes énormes, amarré au fond et à terre, quadrille toute la zone.

Les hommes embarqués sur chaque barge crochent alors deux ou trois de ces bouts avec une gaffe pour se déhâler dessus, s'y amarrer et maintenir l'embarcation près du quai pendant son déchargement.
Cet équipage est aussi chargé d'accrocher aux conteneurs, les élingues qui permettront à la grue de les enlever sur le quai. Dans l'autre sens, ils doivent en plus aider au positionnement du conteneur sur la barge...
Tout le temps de l'opération, la lourde barge continue à faire le yoyo avec une amplitude impressionnante pendant que le conteneur volant - ou le crochet de la grue - tente de choper une tête ou un corps insuffisamment attentif.
C'est manifestement un métier et un long entrainement qui permettent à ces hommes de contrôler les opérations sans déplorer énormément d'accidents.

Cette fois encore nous aurons la chance de faire notre atterrissage de jour, vers 18 heures.
Tant mieux d'ailleurs, car ni les bouées pour les visiteurs, ni les bateaux locaux au mouillage devant Jamestown ne sont éclairés…
Avant la nuit, on distingue aisément les corps morts pour les visiteurs, au nord ouest de la baie. Une bonne vingtaine sur trois rangs. C'est bien pratique parce qu'autrement ce serait un peu profond pour mouiller sur ancre... A l'écart, plus à l'Est, les bateaux locaux, sont serrés sur leur zone, généralement amarrés tête et cul entre deux bouées.
Ce soir, un seul bateau visiteur roule sur sa bouée. C'est un voilier sud africain non occupé. Drôle d'endroit pour laisser son bateau seul... Ça paraît quand même un peu exposé si le temps se met à venir du nord... Enfin pour l'instant, il fait beau et la houle n'est pas bien forte.

A peine avons nous choisi et croché notre bouée, qu'un petit bateau à moteur s'approche. C'est le "Dinghy service", une navette qui transporte toute la journée, les boaties de passage et les pêcheurs locaux, entre l'ile et leur bateau. Le pilote se présente et nous informe que demain matin il passera nous prendre à neuf heures, pour que nous puissions faire sans retard nos formalités d'entrée. Voilà qui paraît bien organisé!
Après cette visite, nous pouvons nous consacrer enfin à fêter dignement la fin du premier tiers de notre traversée. Neuf jours pour arriver ici et nous en prévoyons une petite vingtaine encore pour rallier Rio de Janeiro.
Et puis dodo...
Cette première nuit préfigurera la plupart des suivantes: plutôt plus éprouvante que les nuits de navigation quand la mer est convenable.
Ici, ça roule... C'est bien connu, mais ça paraît utile de le répéter encore... Ça roule même beaucoup et amplement...
La houle n'est pourtant pas bien creuse en ce moment, mais le peu qu'il y a suffit à rendre le bateau très inconfortable. Ça rappelle le mouillage de Funchal, sur l'ile de Madère. Ça finirait par provoquer des envies de catamaran!

Embarquer ou débarquer, à Jamestown c'est déjà l'aventure!

Avec le roulis au mouillage, ce qui fait la réputation du port de Sainte Hélène, ce sont les conditions de débarquement sur le quai. Pour la même raison d'ailleurs: toujours la houle.

Pour légère qu'elle soit en ce moment, de loin on voit les lames se briser sur la falaise et sur les quais, et l'approche du dinghy est très impressionnante...
Sur le bord du quai, des portiques laissent pendouiller des cordes à nœuds au dessus de l'eau. Quand le dinghy est suffisamment près, les candidats au débarquement peuvent s'y accrocher pour sauter le pas qui les sépare de la terre ferme, façon Tarzan.
En cette période de temps calme l'embarcation monte et descend d'un bon mètre le long du quai; il suffit donc de choisir correctement son moment pour faire le passage en toute tranquillité! Bon, les premières fois, c'est quand même pas mal impressionnant... Après, on s'habitue...
Heureusement le pilote du dinghy paraît avoir fait ça toute sa vie et il aide beaucoup par la précision de sa manœuvre.

Sainte Hélène aujourd'hui

La population de l'ile tourne autour de 4000 habitants.
Plutôt métissée... Pas mal de noirs ont échappé ici à l'esclavage, des boers déportés ont fini par y prendre racine, des indiens sont venus voir si le commerce était profitable et beaucoup de marins européens y ont mis sac à terre... Quelques purs anglo-saxons aussi sont venus tâter de l'exotisme…
Malgré sa situation tropicale, l'ile profite d'un climat doux et pas trop chaud. Elle est dominée à 800 mètres d'altitude par une arête centrale longue de 3 kilomètres, couverte d'une forêt humide avec fougères et arbres endémiques. Plus bas on trouve des pâturages, puis un terrain plus sec en descendant vers la mer, sauf dans quelques vallées verdoyantes.
Tout autour de l'ile, la côte est extrêmement abrupte. Quasiment partout ce sont de hautes falaises verticales, à peine interrompues par quelques rares vallées très encaissées, genre canyon, dans lesquelles il est généralement difficile de descendre depuis les hauteurs du plateau central.
La ville de Jamestown est enserrée au débouché d'une de ces vallées.


Une petite ville britannique, très colorée...

Faire ses courses à Jamestown

Lors de notre passage à Jamestown, le sport le plus populaire était la course au pain: "Christmas holliday" chez le baker avait entrainé un shortage de miches fraiches et dès qu'il en apparaissait quelque part, toute la ville en émoi se précipitait pour faire la queue.
Tout à fait étonnant: comme le sucre et l'huile en Europe à la veille d'une déclaration de guerre, ou en mai 68...
Cela ne nous a pas trop émus. Vu la tronche "blanc brioché" du pain en question, on ne s'est pas battus et on a continué à faire le notre à bord.

Pour compléter notre avitaillement en produits frais avant de repartir, on a du découvrir les principes du shopping à Jamestown:
Chaque magasin, n'étale pas tout son stock à la fois. Ce qui n'est pas là aujourd'hui, le sera peut être demain... Du coup, les étals n'offrent pas tous les même produits au même moment...
Pour un avitaillement un peu important, il faut donc étaler ses achats et faire tous les jours le tour de tous les magasins. Si on peut le faire les jours qui suivent le déchargement mensuel du Santa Helena, c'est encore mieux - Nous même aurons cette chance - En fait, un jour donné, il est difficile de procéder avec une liste de commissions; il est plus réaliste d'improviser suivant ce qu'on trouve en rayons, en gardant en mémoire, tout ce qu'il serait encore utile d'acheter.
Le tour des magasins peut commencer par un coup d'œil au marché: un seul petit étal de fruits et légumes locaux, une poissonnerie (fermée la plupart du temps) et puis voilà...
Les principaux supermarkets sont très visibles dans la rue principale mais il faut aussi découvrir les 3 ou 4 épiceries plus petites qui se cachent dans les rues adjacentes. En effet, il y en a beaucoup plus que ne le disait notre vieux guide; au moins six ou sept.
On a fort apprécié une épicerie chinoise située à gauche en remontant la rue Napoléon et qui propose fruits et légumes variés en quantité. Si on pousse un peu plus loin dans la même rue - ça grimpe!! - on trouve une laundry.
Une autre échoppe proposant beaucoup de produits surgelés, se cache à gauche en montant, dans une ruelle entre market steet et Ladder hill.

Nous pouvons témoigner (après coup) que tout les produits frais, récoltés sur l'île, se sont avérés très sains. Comme ils n'avaient sans doute jamais été réfrigérés ils se sont conservés super bien pendant un bon mois... Et même plus pour certains.
Maintenant que nous sommes au Brésil, c'est moins régulier. Les fruits et légumes que nous achetons pourrissent souvent en quelques jours... même les patates!

Depuis le point de débarquement de la navette du "dinghy service" - 1,5 livre par personne le trajet aller retour, payable au retour - on longe le quai jusqu'à "l'Archway", une porte qui s'ouvre dans le mur fortifié de la ville.
On découvre alors une grande place avec église,"immigration office" et prison sur la droite; "police station" et "castle" du gouvernement sur la gauche.
A partir de là, la ville est organisée tout en long, autour de "main street" et de quelques placettes.
Les maisons d'un ou deux étages, avec balcons, coquettes et colorées, sont pour la plupart occupées dans le centre par des locaux commerciaux, au moins au rez de chaussée. Les maisons d'habitations doivent se situer à l'extérieur de la ville, dans la montagne.
La prison est une adorable maison toute peinte en bleu et blanc, juste assez grande pour abriter trois ou quatre prisonniers à la fois. L'ambiance y paraît débonnaire, comme partout dans cette ville. Tout le monde se connait, vous dit bonjour... c'est sympa, plutôt accueillant…

Quand on arrive la première fois, le mieux est peut être d'aller tout de suite au "Tourist Office" installé dans un immeuble à rotondes vitrées de Main street, très agréable, à 300m de l'archway... Là, on se remplit le sac d'informations et surtout de plans de l'île et de la ville.
Pendant que vous y serez, n'oubliez pas de demander le "code" qui ouvre la porte des douches situées sur le quai du port... Là où, sur les plans, un yacht club est censé vous accueillir. Il n'y était pas lors de notre passage mais comme on est en train de réaménager le quai du port ainsi qu'un terminal de passagers "moderne", la situation sera peut être bientôt différente .

Après la visite au "Tourist Office" vous aurez un plan en main pour trouver facilement la seule banque, d'ailleurs toute proche.
Allez y faire la queue pour retirer de la monnaie locale - la "Livre Sainte Hélène", valable uniquement ici...
Vous en aurez besoin pour payer la capitainerie et l'immigration. En 2011 ça coutait 27 £ pour le bateau et 14 £ par personne pour 10 jours.
En fait, le circuit des formalités commence au débouché de l'Archway par les services de l'immigration. Ensuite ce sont les douanes et la capitainerie. Ce circuit très classique se parcourt rapidement... A condition que les fonctionnaires soient à leur poste et quand on ait de la monnaie locale pour payer les droits - si vous venez de lire ces lignes, vous ne serez pas, comme nous, pris au dépourvu.


Les pauses et les rencontres

Sur le circuit des formalités, si le cœur vous en dit et que l'heure s'y prête, vous pourrez vous arrêter pour une petite "pause café" de 10 heures à l'hôtel "Consulate".
L'endroit est remarquable par sa statue (réduite) de Napoléon qui surveille Main street depuis le balcon du premier étage!
Très chic aussi: son jardin intérieur sous verrière, sa boutique "mode et souvenirs", son salon "Concorde" avec plein de témoignages , tableaux et reliques de la France de l'Empereur...
On commence à se demander si l'île n'est pas touristique juste à cause de notre Napoléon...
Surtout, on trouve dans cet hôtel le seul bon café de la ville, servi dans des petites cafetières individuelles, genre "Melior". Même des muffins, pour assurer l'apport en sucre, nécessaire pour terminer le parcours… HUMMM...

Les accros à la WIFI iront au café restaurant "Anne's place": En bas de Main street, après la place de l'église, à gauche en montant. C'est au fond du parc public du château; de la rue on distingue la terrasse colorée et fleurie de l'établissement. On peut y acheter des cartes WIFI prépayées (3 £ la demi-heure) et s'y installer à proximité d'une antenne – La WIFI marchait convenablement jusque sur Getaway au mouillage.

En plus de la WIFI on mange très bien chez Anne. C'est là qu'on a rencontré une équipe française de travaux publics et acrobatiques (compagnie CAN) qui en a fait sa cantine. Elle travaille ici depuis plusieurs mois pour
- Poser des filets et diverses protections contre les chutes de rochers, sur les falaises entourant la ville (comme à l'île de la réunion).
- Élargir et renforcer les quais du port.
Ils font du bon boulot mais ils sont jeunes et on a compris que le temps leur paraissait un peu long dans cette bourgade sans distraction, hormis la bière du WE...

Après quelques essais ailleurs, nous ferons comme eux et reviendrons manger chez Anne tous les midis; c'est nettement la meilleure Place...

Un endroit dont on ne s'échappe pas à sa guise...

Si t'as été à Sainte Hélène

T'as pas pu y aller en vélo.
T'as pu y aller qu'avec le santa Helena... Mais il y a tout de même deux, voire trois options:
A- 31 jours de croisière sur le Santa Helena au départ de Portland (UK), via Ténérife, Ascension et Sainte Hélène (8 jours d'arrêt), jusqu'à Capetown.
B - En avion jusque Ascension, où on embarque sur le Santa Helena : cinq jours de traversée jusque Sainte Hélène... le bateau continue vers Capetown et repasse vous prendre le mois suivant, lors de son prochain voyage vers Ascension.
C – En avion toujours, mais jusqu'à Capetown. Là, encore le Santa Helena vous laisse à Sainte Hélène avant de continuer jusque Ascension. Au retour il vous reprend à Jamestown après une semaine de séjour, pour retourner en Afrique du sud.

Les touristes ne sont ni extrêmement nombreux ni très encombrants sur cette ile.
A part quelques voileux de passage, ils sont tous descendus du Santa Helena et il faudra qu'ils attendent son retour pour pouvoir repartir.
Dans le cas où ils ont embarqué à Capetown, dans le sens "montant", leur attente durera le temps de l'aller retour du navire jusqu'à Ascension, soit 5 à 6 jours .
Si par contre c'était à Ascension, dans le sens "descendant", ils devront attendre le prochain voyage, c'est à dire un bon mois. Au moins…
Car de temps en temps le Santa Helena visite aussi Tristan da Cunha. D'autres fois il pousse même jusqu'à Portland, en Angleterre. Alors ça dérange le rythme standard. Forcément...
Ce navire est le seul moyen de rejoindre l'ile ou de la quitter, quand on ne dispose pas de son propre bateau.
Il n'y a pas d'aéroport ici; c'est même le seul endroit que nous connaissions où c'est le cas. A part quelques atolls du Pacifique, tous les lieux que nous avons visités jusqu'alors disposaient d'une piste pour les avions. Même petite…
L'inéluctabilité de cette attente et l'isolement que cela suggère doivent procurer une sensation assez curieuse aux visiteurs qui n'ont pas leur propre bateau! C'est peut être un bon moyen de se mettre dans la peau de ceux qui n'y sont pas venus de leur plein gré et dont beaucoup ne sont jamais repartis debout…
Quelques personnages célèbres: Napoléon bien sur en 1815, mais aussi le roi Dinizulu, souverain du Kwazulu natal, en 1900.
Beaucoup d'autres, moins connus: quelques 6000 prisonniers politiques Boers ont été amenés ici entre 1900 et 1903.
Lord Kitchener, commandant en chef des forces britanniques en Afrique du sud pendant la guerre des Boers, avait inventé ici les camps de déportation pour se débarrasser des opposants à la colonisation anglaise.
D'autres, ailleurs, s'en inspireront plus tard... Mais c'est une autre histoire!

Un tourisme de pèlerinage…

Le Tourist Office de Jamestown propose quelques idées pour meubler le séjour des visiteurs.
Tout autour de l'ile, on pratique toutes les activités marines classiques. Sur et sous l'eau.
Pour l'intérieur, des dépliants décrivent quelques promenades à thème, dont le mieux représenté est celui des "traces du passage sur l'ile du gars Napoléon".
Nous avons donc loué un véhicule et sacrifié à l'usage qui veut qu'on pèlerine sur ces traces...
On a commencé par retenir une voiture de location ainsi qu'une date de visite des sites au "Tourist Office". La disponibilité des quelques voitures à louer dépend des touristes qui débarquent du Santa Helena .
Le jour dit, avant de prendre le volant, on nous demandera de passer au bureau de police, munis des références du loueur et de nos propres papiers (permis de conduire et identité), pour y être enregistrés et gagner ainsi le droit d'aller gambader sur le réseau routier local...
On embarque enfin dans notre carrosse devant le "Tourist Office" et nous voilà partis…

Peu de trafic sur un réseau routier très étroit et accidenté qui rappelle un peu celui de Jersey, en beaucoup plus "montagnard". Notre voiture est une VW qui a déjà quelques années au compteur... Durs les côtes et les virages... Mais il n'y avait pas le choix! Et comme le klaxon fonctionne, l'essentiel est assuré: c'est vital avant chaque virage..

Le plan de l'île paraît très simple de prime abord... Pourtant on a réussi à s'égarer deux fois: il faut deviner que les charmantes petites pancartes en bois, peintes et accrochées aux carrefours, sont les panneaux de signalisation officiels. Il ne faut donc pas les regarder négligemment d'un oeil amusé comme nous l'avons d'abord fait.
Résultat: ajoutés aux tournicotons de route elle même, ceux dus à nos errances et retours en arrière nous ont mis en retard pour notre premier rendez vous de 10 heures.

Trois stations jalonnent notre "chemin de croix": le pavillon de Briars, la demeure de Longwood et la tombe de l'illustre - cette dernière ne servit d'ailleurs que de tampon entre son lit de mort et son tombeau des Invalides.
Tout cela est entretenu en assez bon état par l'administration française... sous le contrôle d'un consul honoraire. Les visites se font à heure fixe mais sur rendez vous, car ce n'est pas ouvert en permanence.
Malgré notre retard, le gardien nous a quand même reçus gentiment.

Le pavillon de Briars.

Vous avez dit Sainte Hélène?

Si vous suivez convenablement, vous savez maintenant - sans avoir eu à vous creuser la cervelle ni user vos doigts fatigués à feuilleter un vieil atlas - que Sainte Hélène est située dans l'Atlantique Sud!
En plein milieu…

Vous ne la confondez plus avec l'île d'Elbe, qui a aussi accueilli Napoléon, mais en Méditerranée, au large de la Toscane, et dont il s'est échappé pour revenir en France entre mars et mai 1815.
La défaite de Waterloo (morne plaine bien connue) le 18 juin de la même année mettra un terme à ces 100 jours de cavale en même temps qu'au règne de notre empereur.
Celui ci, non seulement abdique alors, mais en plus il se livre - à la surprise générale - aux ennemis héréditaires de notre beau pays: les anglais!
Illico presto, ceux ci l'expédient le plus loin qu'ils peuvent: à Sainte Hélène - 1950 kms de la côte africaine et 2900 kms de celle du Brésil.
L'évasion va être difficile!

C'est ainsi que Napoléon arriva à Ste Hélène pour en inaugurer la fonction "lieu de réclusion", jusqu'à y mourir en 1821.

C'est le logement qu'a occupé l'empereur, avant qu'on accepte de remettre en état la ferme "délabrée" où le gouverneur anglais prétendait l'héberger.
Le soir de son arrivée à Jamestown, le 17 octobre 1815, Napoléon est provisoirement logé avec sa suite dans une maison du bourg.
Dès le lendemain, il part visiter la résidence qu'on lui assigne à Longwood.
C'est une ancienne ferme qui ne paye pas de mine quand il en fait la découverte - humide, remplie de rats. L'empereur refuse tout net d'y habiter, exigeant d'être hébergé à "Plantation House", la belle demeure du gouverneur. Cela lui est évidemment refusé.
En revenant de cette visite il tombe en arrêt devant "The Briars", la propriété d'un riche représentant de l'East India Company, Sir William Balcombe, dont il fait la connaissance à cette occasion.
Informé de la situation, celui ci l'invite à loger chez lui. Napoléon refuse cette offre mais accepte de séjourner dans le pavillon d'été de la propriété.
C'est une maison d'une pièce avec grenier, proche de la riche demeure où logeait la famille Balcombe, comme on peut le voir sur les gravures d'époque. Aujourd'hui il n'y a plus trace de la grande maison. Seul, le pavillon qu'occupa Napoléon existe encore, après avoir été donné à la France par une descendante de la Sir William.

Pendant le séjour de Napoléon à Sainte Hélène, Betsy, la fille cadette de la famille, entretint avec lui une amitié très impertinente, semblant le rafraichir des rapports plus contraints qu'il entretenait avec sa suite.
Antoine De Caulne a tourné un film de fiction autour de la détention de l'empereur sur l'ile: "Mr N". Il y évoque précisément cette amitié et donne une idée de l'ambiance de l'île à cette période. (Même s'il a été tourné en grande partie en Afrique du sud)

Étant donnée la taille du pavillon, la visite en sera assez rapide et nous pourrons rattraper notre retard avant d'arriver à la station suivante

 

Longwood, la résidence officielle de l'empereur.

Il semble que les relations entre le gouverneur Sir Hudson Lowe et Bonaparte n'aient pas été exactement cordiales. Le premier tenait absolument à faire sentir au second qu'il avait perdu la guerre et était prisonnier - Il avait d'ailleurs des instructions dans ce sens de son supérieur londonien Lord Bathurst. De son côté l'empereur, se prévalant de son titre, réclamait instamment les égards et un logement dus à son rang.
Au terme de négociations serrées, Sir Lowe accepta de faire quelques travaux d'amélioration à Longwood, pour que Napoléon accepte de quitter Briars et vienne habiter là. Plus tard, on entreprendra même la construction d'une demeure vaste et confortable, plus conforme aux souhaits de l'empereur. Il en avait dressé lui même les plans mais il mourut avant son achèvement et ne l'occupa jamais.

Situé sur les hauteurs de l'ile, au centre d'une grande prairie entourée de collines escarpées, Longwood est un grand bâtiment de plein pied.
Napoléon y écrira ses mémoires.
La dernière année il se consacrera au jardinage en plantant tout autour de la résidence des arbustes qui l'isoleront un peu de la surveillance des gardiens. Il entrainera dans cette nouvelle activité les comtes maréchaux Bertrand et Montholon... malgré la réticence qu'on leur prête à manier pelle et rateau.

Les pièces de la maison contiennent beaucoup d'objets intéressants (originaux ou copies) voire émouvants: lit, meubles, table de billard, portraits, bustes en marbre, médaillons, tableaux…

A la fin de la visite, GG a demandé à la gardienne (anglaise) ce qu'elle pensait de notre empereur: "Ah, quand même, il a fait beaucoup de guerres et de morts" répondit elle…
Ah mais c'est bien vrai ça!!! Comme tous les impérialistes ambitieux d'ailleurs...
Victoria 1er - l'Impératrice des Indes - par exemple. Elle paraît avoir eu, quelques décennies après lui, une fringale impérialiste qui n'avait rien à envier à celle de notre Napo. Il est vrai qu'elle a eu la bonne idée de l'exercer dans des pays lointains plutôt qu'en Europe .
Toujours cette vieille histoire de paille et de poutre...

Nous avons zappé la troisième station du circuit et ne sommes pas allés visiter la tombe. D'abord, ce n'était pas la Toussaint...
Et puis en plus elle est vide! Depuis le 15 décembre 1840, quand le corps qu'elle abritait a été exhumé pour rentrer en France à bord de la Belle Poule (commandée par le prince de Joinville, digne descendant d'un roi de France. Il aurait aimé ça le Napoléon...) et être installé aux Invalides.

 

Sainte Hélène, une ile à tout faire.

Comme beaucoup de terres lointaines, celle ci a été découverte au 16ème siècle par un Portugais. Plus tard elle sera réclamée par les Hollandais et enfin occupée par les anglais de la Compagnie des Indes.
On la trouvait alors pratique pour servir de "pied à terre" où se refaire une santé et sa provision de vivres, sur la longue route des épices.
Quand l'Afrique du Sud deviendra anglaise, Sainte Hélène perdra son charme d'escale mais pas son intérêt stratégique. Elle deviendra propriété du gouvernement anglais en 1834.

Beaucoup de gens célèbres sont passés ici.
Certains de leur plein gré:
Charles Darwin, Edmund Halley (celui de la comète) pour cartographier le ciel austral, William Dampier (boucanier, naturaliste, explorateur), Sir Francis Drake, le capitaine Cook, le capitaine Bligh (celui du Bounty, de la révolte et de l'arbre à pain).

Certains autres un peu plus contraints...

A la place, nous avons préféré profiter de la voiture pour découvrir les hauteurs de l'ile.
Je ne dirai pas le plateau central, parce qu'on n'y trouve pas beaucoup de surfaces plates. Plutôt des vallées encaissées qui séparent des collines abruptes, l'ensemble se terminant par des falaises à pic sur la mer.
Il y a là plein de promenades à faire à pied, des parcs et réserves protégeant flore et faune, des points de vue imprenables, des collines verdoyantes, des vallées de terre rouge...
On a vu tout ça de loin, en voiture, mais ça nous a paru très beau quand même...
On a été étonnés par le relief et la variété des paysages de cette île, pour une si petite surface (122 km²) .
Dans les jardins de Plantation House - résidence du gouverneur de l'ile depuis 1792 – on peut observer une famille de tortues – certaines plus que centenaires – très peu farouches.

Conclusion

Cette visite nous a laissé l'impression que notre grand homme avait quand même dû s'emm... ferme sur cette ile aux ressources limitées.
Le paysage est plutôt séduisant et profite d'un climat tropical, mais quand on y est ainsi isolé pour longtemps on doit y être vite à court de distractions... Il faut se souvenir qu'alors il n'y avait même pas encore internet...
Pour nous, ça aura été une escale très agréable. Dix jours nous ont suffi mais on ne s'est pas ennuyé.

Et puis on est quand même vachement contents de pouvoir dire maintenant: "Sainte Hélène? Ah oui, très bien. Nous y sommes allés en 2011..."
Sur le circuit des sites d'exil des célèbrités, c'est quand même plus chic que le fort de l'ile de Ré… Et aussi bien que les iles du salut.

 

Dis Papa, c'est encore loin l'Amérique?


C'est pas le tout, mais on n'est pas rendus à Loches…
Il va falloir penser à repartir!

La prochaine étape, longue de plus de 2000 milles, devrait durer une vingtaine de jours.

Avant de mettre en route, il faut donc compter soigneusement les pots de yaourts qu'on a à bord... Et le reste aussi d'ailleurs... En fait de yaourts, on n'en a justement pas besoin puisqu'on les produit nous même et qu'on a une autonomie en matière première de plusieurs mois...

Les produits de base ayant été avitaillés en Afrique, maintenant il nous faut surtout des produits frais: viandes, légumes et fruits. Et ici, ce n'est pas l'abondance… (voir encart, page 12)
Bon, on pigne comme ça pour se faire plaindre mais, dans les faits, on a trouvé facilement et en moins de quatre jours, le nécessaire pour ne pas craindre de mourir du scorbut au beau milieu de l'océan...
Même si le moteur venait à tomber en panne en même temps que le vent…
Les formalités de sortie accomplies, nous étions prêts à reprendre la route le jeudi 13 janvier.

Une traversée plutôt pépère et sans histoire...

La météo et la planification des longues traversées.

Quand on part comme ça pour plusieurs semaines de mer, les prévisions météo peuvent aider pour décider de la date du départ, mais ne permettent pas de prévoir une traversée sans coup de vent. Aucune prévision n'est fiable à plus de 3 à 4 jours.
Dans cette situation, on planifie plutôt le passage à l'aide des "pilot charts". Ces documents britanniques sont une compilation statistique des observations faites par les navigateurs et cumulées sur de nombreuses décennies.

Pour chaque carré d'océan d'un degré de côté, on y lit les probabilités d'origine du vent pour les huit directions de la rose ainsi que celle des calmes. Pour chaque direction on lit aussi la force moyenne du vent. Et tout cela pour chaque mois de l'année.

Ainsi, pour un trajet comme le notre, on prend la feuille janvier de l'océan Atlantique Sud. On y lit que sur notre trajet le vent est généralement assez fort et de secteur Sud Est(force 4 à 5) dans la première partie, s'affaiblit jusque pas grand chose à partir de Sainte Hélène et se renforce considérablement de secteur Nord à l'approche des côtes du Brésil vers le cabo Frio.
On a ainsi une petite idée de ce qu'on risque de rencontrer en chemin.
Après coup, on peut maintenant dire que notre réalité a été assez conforme à ces statistiques.


Départ de Jamestown en début d'après midi, poussés par un petit vent portant. Pas bien rapide mais assez confortable!
Globalement le vent sera assez faible et de l'arrière pendant toute la traversée, sauf vers la fin (ce qui ne nous a pas surpris. Voir l'encart ci dessus).
Ces conditions de navigation inciteront le capitaine à utiliser le pilote électronique plutôt que le régulateur d'allure: Si on veut naviguer près du lit du vent (autour de 170°) sans trop risquer d'empannage intempestif, le pilote réagit mieux, plus vite ( guidé par la girouette électronique, en fonction "suivi du vent") et le bateau suit une route bien plus rectiligne.
Le capitaine n'est pas ravi de ce constat mais, comme avec les panneaux solaires on n'a pas à pleurer l'électricité, il s'y est facilement plié.

Il y a peu à dire sur cette traversée qui s'est passée sans incident.
Ce récit va donc vous faire ressentir très naturellement la longueur d'une telle navigation…

La stratégie de l'autruche…

Maintenant qu'on fait "confiance" à notre "MerVeille", nos nuits, et donc nos jours, de traversée sont beaucoup plus agréables. Si la mer est relax, alors nous le sommes aussi!!! Peut être qu'il se passe quelque chose dehors, mais on n'en saura jamais rien et donc on n'a rien à raconter…
Pourtant si. Quand même...
Un beau jour, alors que le capitaine met le nez dehors justement, histoire de prendre l'air du temps – même si on ne barre pas ni ne veille assidûment, on tente quand même de conserver le contact avec l'extérieur – il aperçoit stupéfait, sur tribord, un cargo que "MerVeille" n'a pas signalé! Pas du tout en route collision, non. Mais pas signalé quand même...
Damned... Y aurait il une faille dans notre système de protection?
Le GG saute sur sa VHF et appelle l'intrus pour lui demander si son radar est en panne.
L'intrus répond rapidement: "no, it's just standby" et il en profite pour remettre son machin en route, ce qui met illico notre "MerVeille" dans tous ses états…
Moralité: ce système est efficace avec les gros bateaux parce qu'ils ont tous un radar. Mais encore faut il qu'ils le fassent fonctionner...
Peut être qu'on va devoir veiller un peu plus les nuits qui viennent.
A son retour en Europe, le GG va se renseigner sur les systèmes d'AIS (Automatic Identification System) qui font paraît il des merveilles (sans jeu de mots cette fois) pour éviter les collisions... Comme ces systèmes sont obligatoires sur les gros bateaux et qu'ils ne consomment beaucoup ni ne s'usent (au contraire du radar) on peut espérer qu'ils sont tout le temps en fonction.
Alors l'autruche toujours, mais mieux équipée...

Un peu de fantaisie dans notre routine quotidienne.

Notre route passe à proximité de l'ilha da Trinidade, une petite ile brésilienne gardée par un détachement militaire et promue réserve naturelle intégrale. Ça voudrait dire qu'à part les gardiens, seuls les chercheurs scientifiques en mission y auraient accès.

Quand même… Pour mettre un peu de variété sur la scène de notre quotidien, le capitaine a choisi de l'approcher tout près, en ajoutant quelques degrés au cap suivi par Getaway.

Dès le matin, l'ilot de "Martim Vaz" - une sentinelle rocheuse qui monte la garde à une trentaine de milles dans l'est de Trinidad – ouvre la séance en vedette américaine. On le voit ainsi défiler seul toute la matinée, avant que Trinidade - la tête d'affiche - le rejoigne en début d'après midi et assure le spectacle jusqu'à la tombée de la nuit. Nous la laissons alors par le travers, à moins de 3 milles dans notre sud.
La nuit est devenue très noire et le rideau est tombé…

Pendant tout ce show nous avons envisagé de nous arrêter à Trinidade pour la nuit, histoire de marquer le coup...
Mais l'unique baie abritée de la houle d'Est est située sur la côte sud, à l'opposé de la base brésilienne. Il fallait donc demander aux militaires, en portugais, l'autorisation de mouiller hors de leur vue et leur expliquer pourquoi.
Cette perspective a tué le projet dans l'œuf, avec la complicité de la mer qui était particulièrement séduisante ce soir là et nous chantait de continuer.
Nous entendrons les militaires s'entretenir à la VHF avec des pêcheurs travaillant sur la zone (ils vont pêcher drôlement loin les brésiliens), mais nous passerons silencieusement.

Quand même, l'accent brésilien des militaires nous a fait chaud au cœur. Vivement qu'on arrive... Mais il y a encore des milles jusqu'à Rio de Janeiro: au moins 800...
Alors, encore un effort camarade...

Allo Papa Tango Charlie…

Ah, en parlant de sécurité… En plus du "MerVeille", on a aussi laissé la VHF en veille permanente pendant cette traversée .
Sans que ce soit une obsession sécuritaire, on s'est dit que s'il y avait un problème du genre route collision, l'autre protagoniste de la situation pourrait peut être nous alerter.
Avec les panneaux solaires, il n'y a pas de raison de s'en priver...
Eh bien, ça a servi au moins une fois. Et comment!

Un beau soir, une centaine de milles à l'est du Cabo Frio, alors que le soleil se laisse choir vers l'horizon, nous entendons le machin crachouiller quelque chose qui pourrait être de l'anglais. Comme nous paraissons bien seuls sur la mer, sous le soleil couchant, ce crachouilli s'adresse peut être à nous?
Un rapide tour d'horizon - très éblouissant vers l'ouest - ne laisse apercevoir personne. Pourtant…
Le capitaine prend son courage à deux mains et décroche son micro pour vérifier si vraiment quelqu'un s'émeut de notre présence dans la région... Et effectivement quelqu'un, quelque part, lui répond qu'il s'intéresse à notre route...
Il se présente comme un gros navire qui tire, dans son sillage, des câbles qui flottent sur plus de 5 milles derrière lui (près de 10 kilomètres) .
Au bout de ces câbles il y aurait une seconde embarcation, avec une lumière dessus, pour en signaler l'extrémité.
Il prétend nous voir à l'œil nu et nous prévient que nous nous préparons à croiser son sillage à un mille derrière lui, juste sur les câbles...
Il nous donne aussi sa position et le capitaine peut le situer sur la carte: pas bien loin mais en plein dans le soleil couchant... Dans cette direction là, avec la réflexion du soleil sur la mer, on ne peut rien voir, tout juste s'éblouir sérieusement.
Le radar lui, qui ne se laisse pas éblouir si facilement, nous confirme la position de notre interlocuteur: un peu plus de 4 milles dans notre Ouest. On ne voit évidemment pas les câbles mais on aperçoit bien le gros écho qui les tire…

Deux solutions s'offrent à nous, qu'on discute à la radio: abattre et passer derrière les câbles – mais ça va durer un moment – ou bien lofer et passer devant le remorqueur – mais pour ça, il faut rentrer d'au moins 30° dans le vent pendant une petite heure.
Si ça peut le faire, tout le monde préfèrerait la seconde option, alors on borde les écoutes et on essaie. Au près bon plein, on gagne 40° dans le vent et ça paraît le faire largement.
Notre interlocuteur nous confirme que si on garde cette nouvelle route à cette vitesse, on va passer à un mille devant lui.
Il nous promet aussi qu'il va surveiller l'évolution de la situation et régler sa vitesse en conséquence. (Ah, si tous les cargos faisaient ainsi…)
Effectivement une bonne heure plus tard, nous croisons sa route sur son avant... C'est vrai qu'il est très gros et très éclairé (le soleil est alors complètement couché et il n'éblouit plus). Même si on sait qu'il veille, le voir de face sur notre bâbord, à moins d'un mille, reste très impressionnant…
L'épisode se terminera ainsi, par un échange cordial de politesses avec l'homme du remorqueur. Il nous confie qu'il tire ses câbles à moins de 3 nœuds vers le port pétrolier de Vitoria, à plus de 300 milles au Nord ouest.
Ce sera notre première rencontre avec les gens du pétrole qui pullulent dans la région. A partir de cette nuit et jusqu'au cabo Frio, nous en verrons plein d'autres.
Pour vos futures traversées, retenez bien la leçon: "C'est toujours plutôt malin de laisser sa VHF en veille quand on navigue..."

Le Brésil d'aujourd'hui: Sans doute des idées, mais aussi du pétrole et du commerce. Beaucoup…

A une soixantaine de milles dans l'est du cabo Frio, qui sera notre premier contact visuel avec l'Amérique du Sud, se situe le plus gros champ pétrolier "off shore" brésilien. Des dizaines de plateformes y sont éparpillées et desservies par une armada de navires spécialisés. Notre guide nautique déconseille d'aller se promener là, au milieu.
Nous avons donc décidé de contourner cette zone par le sud, avant de mettre un peu de nord dans notre route vers la côte brésilienne et Rio de Janeiro.
Quand nous arrivons dans la région, la météo annonce un renforcement du vent de Nord Est qui présage une approche rapide sinon très confortable de la côte brésilienne.
Effectivement nous arriverons en vue du cabo Frio en fin d'après midi, après avoir couvert plus de 150 milles en 24 heures, passées à "slalomer" entre les plateformes et à veiller les nombreux navires qui s'activent dans leur voisinage. Heureusement que ça ne dure pas des semaines comme ça…

A l'ouest du cabo Frio, le paysage maritime change totalement: Le vent se calme jusqu'à disparaitre et c'est alors croisière au moteur...
Dès la tombée de la nuit le brouillard se lève aussi. A couper au couteau... Rapidement, il se met en plus à bruiner sérieux... Quel pays!
En plus, cette côte - de Rio de Janeiro à Santos (près de Sao Paulo) - abrite les plus gros ports de commerce du Brésil et voit passer un trafic important. Dans les deux sens... Sans compter les diagonales...
Cette nuit, en approche de Rio, nous a vus en route collision au moins 3 fois. Et quasiment sans qu'on aperçoive un seul bateau à l'œil nu...
On croyait ce genre de navigation réservé à la Manche (à Cape Town aussi!). Et encore…
Dans ces conditions, la veille visuelle n'apporte pas grand chose et on navigue en permanence au radar. Qu'est ce qu'on est contents d'en avoir un tout neuf...
Les échos sont nombreux et heureusement, pour la plupart, sur des routes parallèles à la notre.
Pourtant... Même quand le radar prévient...
Il y a eu ce gros machin, cargo? remorqueur? dont nous n'avons vraiment réalisé la proximité qu'au bruit de son moteur... Surgissant de la brume, il nous est arrivé dessus par l'arrière tribord - à une distance telle qu'on aurait presque pu le toucher du bout des doigts - et nous a passé sur l'avant - qu'on a cru qu'il allait arracher notre balcon...
Une ombre est passée... L'écho du vaisseau fantôme de Wagner hante nos oreilles... ou sont-ce des acouphènes?
Plusieurs fois cette nuit là, des monstres pressés nous ont passés ainsi, à raser les moustaches de notre sillage, machines à fond la caisse, tendus vers leur destination. Là encore, seulement des ombres et du bruit... Et un p... de roulis dans leur sillage aussi...
Ils étaient sans doute tous très au fait de notre présence... Si si… Surement... Heureusement!!!

Rio, comme un fantôme.

Au petit matin nous passions devant l'entrée de la baie de Guanabara où se niche Rio de Janeiro. A moins de 10 milles. En tous cas c'est ce que disaient la carte et le GPS, mais nous n'en voyions rien...
Plus tard dans la matinée, le brouillard s'étant tout de même levé, nous apercevrons loin derrière nous, le profil des collines qui forment le décor de la ville. Juste de quoi exciter notre envie d'y revenir.

Devant nous, maintenant ensoleillée bien qu'encore brumeuse, notre route mène vers la baie d'Ilha Grande et Angra dos Reis où nous avons décidé d'aller accomplir nos formalités d'entrée au Brésil - A près de 80 milles à l'ouest de Rio.
Pour ce soir, nous aimerions nous arrêter dans l'enseada das palmas (la baie des palmes) que nous avons repérée sur la carte, au sud -est d'Ilha Grande et dont l'approche parait assez claire. Aucun danger n'est signalé le long du trajet qui y mène mais il nous reste encore près de 50 milles à parcourir. Il faut se presser si on veut arriver de jour…
Et nous y arriverons. Vers 18 heures, juste avant la nuit.
Une journée sereine donc; sans aventure ni question… En fait si; une question quand même. Et qui nous a occupé la tête pendant plus de deux heures en fin d'après midi:
"Mais qu'est ce qu'il y a donc là bas devant nous?"

Gorilles dans la brume? Ou les portes du paradis?

La visibilité ne dépassant pas les trois ou quatre milles, on ne comprend pas du tout ce qui peut bien produire cet essaim d'échos sur l'écran du radar, pile sur notre route, à une quinzaine de milles... Et des gros en plus, au moins une vingtaine…
Aucune ile sur la carte pourtant... Rien, en fait… Pourtant il doit bien y avoir quelque chose!!!
Ilha Grande n'est plus qu'à trois ou quatre milles quand nous découvrons la réponse: Toute une théorie de gros navires mouillés devant l'entrée de la baie. Des pétroliers, des vraquiers, des porte conteneurs... Ils attendent la permission d'entrer à Sepetiba où se trouve un gros port du Brésil.

On était intrigués plus qu'inquiets, mais on est quand même soulagés de savoir... Comme vous voyez, on n'a plus vraiment l'habitude de la brume…

Passé l'attroupement des gros navires, c'est tout de suite l'approche de l'enseada das palmas.
Cette baie va nous procurer la dernière grande émotion de cette traversée. Pas de danger cette fois, ni de difficulté... Juste une bouffée de sérénité tropicale…

Il fait encore jour quand nous y pénétrons et découvrons son rivage: Abrupt, couvert d'une végétation dense, très verte... Des cascades végétales qui tombent directement des sommets dans la mer. Partout autour de la baie... Sauf tout au fond où s'interpose une plage de sable blanc bordée de palmiers royaux. Ça nous rappelle les photos qu'on a pu voir des Marquises – que nous n'avons pas visitées.

Une merveille continentale qui fait suite au désert marin que nous venons de traverser.
C'est magique. Même la musique qui anime ce décor est somptueuse: des perroquets, des singes sans doute, plein d'autres oiseaux... Les fines silhouettes des frégates animent le ciel. L'eau est claire et juste fraiche comme il faut.

Nous avons ce soir l'impression d'une récompense superbe ... L'avons nous méritée?
On ne sait pas, mais ce qui est sûr c'est qu'on va en profiter…