Le
Varadero
Le décor
Finies les vacances ! après le départ des
"petits" et des AICARDI, il faut songer à mettre le bateau en
état pour partir au CAP VERT. Il nous a été dit qu'il
fallait le faire aux CANARIES car rien n'est prévu vraiment pour
ça au CAP VERT.
Le lundi 25 Août nous nous retrouvons donc au sec
sur le chantier du " Varadero" terme espagnol intraduisible pour nous.
Mise au sec est le terme qui convient (chaleur sans air, env 30°
à l'ombre ) en y ajoutant poussière et crasse. Ceci durera
trois semaines, mais la poussière ira en croissant, produit du ponçage
de la peinture antifouling rouge ( nocive et brûlante ) appliquée
à PAIMPOL au mois de mai.
Viendront s'ajouter les "cucarachas", joli nom qui
fait penser à une
danse exotique d'il y a 40 ans, mais la réalité est moins
rigolote, il s'agit de cafards...Tous les conseils de voisins y passent
: y compris calfeutrer toutes les issues ... mais j'y renonce vu la température
avec courants d'air. Que serait-ce tout fermé ? On ne peut déjà
pas s'asseoir dehors : le pont est couvert d' 1/2 centimètre
de poussière rouge. Alors on sue sang et eau dedans. " Ah mais !
c'est pas rose tous les jours les tropiques !"
Bon, passons au décor. Vous avez tous vu de plus
ou moins près, un chantier de bateaux en France. Ici c'est pareil...
à première vue. Nous sommes entourés de bateaux de
croisière ou de pêche en train de se refaire une beauté.
Une dizaine de personnes poncent, grattent, " karcherisent" ou peignent
les coques alentour. Rien à redire.
A deuxième vue, contrairement à " par chez
nous" on s'aperçoit que certains bateaux sont habités ... du
linge sèche, de la vaisselle traîne sur les ponts ... mais
on ne voit personne.
On voit ensuite que certains bateaux sont visiblement
" enracinés" là depuis longtemps, entourés de pseudo
cabanes et recouverts de tauds enveloppants, desservis par des échelles
quasiment soudées, tandis que leurs évacuations d'eau aboutissent
par des tuyaux dans de gros bidons.
Nous n'avons pas de confort. Nous avons notre réserve
d'eau bien sûr, mais ne pouvons laisser couler l'eau par les évacuations
ordinaires ... Nous vidons tout dans des seaux que nous descendons par
l'échelle et allons jeter dans des grilles d'égouts à
quelques mètres.
Nous terminerons cette description par l'indicible :
WC, " toilettes", douches ... situées au fond du chantier, mais
quasi publiques, jamais nettoyées ( rien ni personne n'est même
prévu pour ). Conseil : ne pas quitter ses chaussures sous la douche
qui le dispute en crasse aux WC à la turque. Passons à autre
chose.
Les rencontres
Le Varadero s'anime vers 18/19 heures. Les habitants rentrent
du travail ... Qui vend des tickets de bateau... qui travaille dans une
agence de voyage ... qui est skipper de bateau promenade ... qui est ouvrier
sur le Varadero ...
Les personnages de ce lieu sont de plusieurs sortes :
Il y a ceux qui y résident, car la location
n'est pas chère, depuis plusieurs années
Il y a 4 ou 5 bateaux dans ce cas.
Ils sont habités par des Espagnols et des Anglais, vendeurs de tickets,
ou faisant d'autres jobs sur le port. On se croisera en se disant plus
ou moins bonjour...mais c'est tout.
Il y a ceux qui y travaillent, sans forcément
y vivre
Les travailleurs du chantier sont tous des "expatriés" de France, Tunisie, Allemagne, Hollande, Ghana, Suisse ou Angola. Ils
communiquent en espagnol, en anglais ou en français. La rencontre
avec eux est rapide, simple et souvent chaleureuse. Ils sont ici depuis
quelques mois ou plusieurs années, mais sont tous d'accord pour
dire que les Canariens sont fainéants et racistes.
Il me paraît évident que si les dits Canariens
trouvent des étrangers pour faire, au noir, des
travaux pénibles à leur place, pourquoi se gêneraient-ils
? Cela me rappelle bigrement le comportement des français il y a
quelques années, bien contents de trouver des immigrés pour
balayer les rues.
Bref, ceci rapproche les " immigrés" de chez
nous :
Bodo, Allemand qui vit avec Habiba, Tunisienne
un peu perdue car elle n'a pas de papiers, elle ne pourra donc plus se
permettre de retour en arrière. C'est dur de lâcher sa culture
sans espoir, sans droit à l'erreur...
Caren, Allemande alerte (de 30 ans ?) en année
sabbatique après des études de chimie...cherche des bateaux
" sérieux" où dormir, et ponce dans la journée pour
gagner sa " croûte". Courageuse et souriante, elle croit dans son
" pif" pour repérer les gens de confiance. Jusqu'ici, elle ne s'est
pas trompée...Elle trouvera en novembre un catamaran et un Suisse
allemand dessus, pour traverser l'Atlantique vers les Antilles. Bon vent
! ! !
Thierry et Chris, Français qui vivent dans
le port sur leur bateau (un carter 33) depuis 2 ans. Ils travaillent en
alternance, lui sur le chantier, elle dans les boutiques.
Un couple de Hollandais, qui vit aussi dans le
port sur son bateau avec deux adolescents. Ils travaillent sur le chantier,
réparent des voiles. Ils sont ici depuis 4 ans.
Thomas, un Ghanéen jovial et vif au sourire
irrésistible vit aussi sur son bateau...tout seul. Il travaille
également sur le chantier.
José, un Portugais blanc comme neige venu
d'Angola. Il travaille au bar
resto du Varadero. Car il faut vous dire que le Varadero est géré
par une sorte " d'association de pêcheurs", et comporte un bar.
Celui-ci nous verra souvent déjeuner le midi, car la confection
des repas à bord est assez décourageante, tout au moins dans
la chaleur étouffante de midi.
Juanito, le seul Canarien du lot (il est originaire
de La Gomera). Il vit à 100 à l'heure, faisant cuisine, bar
et service à table au restaurant. Gérard dit de lui que c'est
le seul Canarien vivant sous stress de toutes les îles ! ! !
Pascal, lui, est Yougo-Breton. Il fait ici sa deuxième
vie. Il en avait marre de la France, et se dit heureux. Il vit à
terre.
Je terminerai par le patriarche Roberto, seul maître
à bord du Varadero. Son gros bateau est au sec, le long de la clôture
qui délimite, dessous, un " atelier-laboratoire" incroyablement
fourre-tout, mais complet du point de vue machines-outils. Roberto, c'est
4 ans de présence, 100 ans de compétence acquise dans tous
les domaines du bateau, et tout son temps pour répondre à
vos questions et à vos besoins. L'explication ? Il a vécu
au Venezuela, où le rendez-vous, même d'affaires, même
vital, ne revêt aucune importance. Donc tout le monde attend, tout
le temps, Roberto. Car c'est lui le chef du chantier. Il distribue le travail,
le surveille et le paie, selon son bon vouloir. Comme son nom ne l'indique
pas, il est de Mulhouse.
A côté de nous sur un First 38, vit un jeune
couple avec deux charmants bambins : Pascale et Thierry sont partis
de Vannes (56) en Novembre 97. Ils ont longé les côtes d'Espagne
et du Portugal et ont essuyé coup de vent sur tempête. Après
un passage au Maroc, agité aussi, ils ont atterri ici. Ils comptaient
aller travailler en Floride, mais ces derniers mois ont écoeuré
Pascale du bateau.
Ils ont donc mis le bateau au sec pour le vendre. Ils ont trouvé
du travail dans des agences de voyage, et vont s'acheter une maison. Pour
l'anecdote, Gérard s'est découvert être un copain d'enfance
du père de Thierry, à Plédran. Le monde est petit...
Et puis il y a ceux qui repartent, dont on reparlera
dans les prochains numéros...
Les
Canaries, carrefour et lieu d'escales plus ou moins prolongées...
Les Canaries semblent être un carrefour pour tous ceux
qui partent de France avec l'idée de traverser l'Atlantique un jour.
Il y a d'abord ceux qui continuent. Nous allons les retrouver
au Cap Vert, et en reparlerons plus tard.Et puis il y a ceux qui restent
plus de quelques mois. Ils le font pour trois raisons (en tout cas celles
connues de nous ) :
- Ils ont eu peur en descendant. Nous en avons
croisé plusieurs, partis fin 97, qui ont suivi la côte et
sont restés plusieurs mois dans des ports Portugais ou Espagnols. Pensant
mettre 2 mois pour descendre en sauts de puces, ils ont vidé leur
caisse de bord en mettant 6 mois à descendre dans le mauvais temps.
Ces aventures nous confirment qu'il vaut mieux tirer
très à l'ouest (à 260 milles des côtes comme
nous l'avons fait). Quand nous sommes descendus fin mai 98, en 10 jours,
l'écoute de la météo faisait apparaître plus
de mauvais temps près des côtes. (voir le n° 1 de la gazette,
de juin 1998. Ndlr).
Il semblerait que ce soient les femmes du bord qui veuillent
naviguer près des côtes : l'illusion de la sécurité
des ports est forte. Erreur : c'est la côte qui est dangereuse en
cas de coup
de vent. Conclusion : " Messieurs, résistez à vos femmes
et passez au large...descendez vite et évitez de partir en hiver".
Dans ces bateaux qui arrêtent leur voyage aux Canaries,
ils ont été souvent malades, mal préparés psychologiquement,
mal amarinés et en définitive ils ne savaient pas ce qui
les attendait. Sans compter que la caisse de bord étant bien entamée
sur les côtes continentales, ils s'arrêtent travailler ici
car nous sommes encore en Europe, et le travail semble plus "trouvable" qu'en Amérique du Sud. D'autres rentrent en France écoeurés.
- Une autre raison valable
pour rester aux Canaries est que c'est plus accessible par avion,
et pas trop cher. Les enfants ou les autres membres de la famille peuvent
y venir en vacances.
- Il y a la catégorie des blasés,
genre Roberto, qui a fait plusieurs tours, a tout vu et tout subi, et qui
trouve que le climat des Canaries, c'est pas mal (20 à 30 °C
toute l'année). Le pays est calme, et il n'y a pas de moustiques.
(il nous a dit ça pour nous écoeurer du Brésil, car
ça le dérange un peu de nous voir partir alors qu'il reste
scotché là). Mais après tout, ça se défend.
On a le droit de s'arrêter après avoir baroudé 30 ans.
On n'en fera sûrement pas autant, loin de là. Et tout ce petit
monde du Varadero se retrouve à la cafétéria
le midi, pour prendre un café ou un plat. Si vous voulez en croiser
le soir, il faut aller à la Campanina, pizzeria située sur
la place face à la plage du port. Placette aux rues piétonnes,
elle a un petit côté village méditérranéen
avec son grand arbre au milieu qui protège du soleil, les bancs
publics et les jeux pour enfants. Anna (française elle aussi dans
une 2ème vie ?), toujours souriante, même fatiguée
en plein coup de feu. Elle est assistée de son fidèle Martin
(prononcer Martine), Espagnol du continent (traduisez "pas fainéant"), qui sert tel un torero ou un danseur de tango, et qui n'hésite
pas à chanter de temps en temps d'une voix très sûre,
à la Luis Mariano. Là, on est certain de croiser quelques
membres de la colonie française de Los Cristianos.
Voilà, vous savez tout. Si vous voulez vérifier,
vous n'avez plus qu'à y aller : c'est à 20 minutes de l'aéroport
Reine Sophie, vers l'ouest. |