Après une séjour d'un mois à St
Brieuc en octobre, nous revenons à La Goméra le dimanche
ler Novembre. Après un gros mois à terre et surtout sans
navigation depuis maintenant quasiment 2 mois et demi, le désir
de mer et de route nous habite très fort.
Nous avons retrouvé notre bateau intact à
San Sebastian de la Goméra, bien que très poussiéreux:
Les effets des vents de sable sahariens qui déposent leurs bagages
en passant sur ces îles. C'est ce qu'en France on appelle le " Foehn
". Un bon rinçage du bateau nous donne l'impression de gaspiller
de l'eau douce, avec ce sentiment que c'est la dernière fois
avant longtemps.
Nous
complétons les provisions qui avaient déjà été
chargées avant notre départ pour la France par des vivres
fraîches pour la traversée, et par un plein d'eau douce dans
tous les réservoirs que nous pouvons trouver, soit environ 600 litres.
Nous embarquons ici toute l'eau douce que nous consommerons pendant la
traversée du Cap Vert jusqu'au Brésil. Enfin presque...En
tous cas, le maximum, car on pense avoir pas mal de difficultés
pour trouver de l'eau douce au Cap Vert,où nous pensons vivre avec
un petit déssalinisateur. Ca apparaît un peu comme la ceinture
et les bretelles, mais comme on dit en mer: " trop fort n'a jamais manqué...".
Le bateau, comme nous, étant prêt dès
le mardi soir, nous quittons La Goméra le mercredi 4 pour Los Christianos
afin de passer une dernière soirée de fiesta avec toute l'équipe
du Varadero. Nous en profitons pour compléter notre équipement
d'un de ces caméscopes qui ici sont si bon marché, et qui
nous permettra de rendre un peu plus vivantes nos relations de voyage.
Jeudi 5 Novembre 1998, 12h30 TU.
Ca
y est, nous partons au son de la corne de brume de Chris qui salue la sortie
de ceux qui partent loin. (Et peut être, qui rendent crédibles
à ceux qui restent leurs propres envies de départ, aussi...).
Nous sommes partis avec l'idée d'une traversée au portant,
donc avec des vents de Nord/Nord-Est de force raisonnable et qui devrait
durer entre 5 et 6 Jours. Soit un peu plus de 800 Miles nautiques à
la moyenne de 140 miles par 24 heures.
Eh bien c'est mal parti!!! Le vent n'est pas au rendez-vous:
quasi inexistant, le peu qu'il y a semble venir du Sud-Ouest... Et donc
moteur pour commencer, avec la grand voile bordée pour appuyer le
bateau et essayer de stabiliser un peu un roulis diabolique sur une mer
d'huile, juste animée d'une petite houle d'Ouest. Vers la fin d'après
midi, le vent " forcit " un peu - au moins force 2!!! - et toujours secteur
Ouest. Comme on n'est pas sur une vedette, on coupe le moteur et on s'installe
à la voile. Bon plein tribord amure, et on file au moins 2 noeuds!
Lecture et farniente sur le pont, tout n'est pas que désagréable.
Aujourd'hui, nous attaquons courageusement une phase
A de régime Montignac. Ce midi, nous avons eu droit à un
repas glucidique: Haricots/tomates/riz complet. Ce soir: rondelles de seiches
(surgelées) poêlées, avec des poireaux, après
un peu de tzatziki maison.
Nous installons cette nuit un régime de quarts
expérimental. Nous n'avons pas l'expérience de longues traversées
à deux, et il nous faut trouver ce qui nous convient. Anyvonne se
couche vers 21 heures et revient veiller de minuit à 2 heures. Gérard
prendra de 2 à 4 et Anyvonne de 4 à 6. Cela fait un régime
de quarts de 2 heures qui nous paraît bien un peu haché.
Ah! Cette nuit, à 23 Heures j'ai trouvé
que nous n'avancions vraiment pas et, un peu impatient, j'ai voulu remettre
un peu de moteur, contact et puis RIEN!!... PANNE DE DÉMARREUR!!... HORREUR!!...
Décision est prise de remettre les investigations au matin. D'autant
que pour accéder au démarreur, il faut déménager
des caisses, les vélos, etc...etc...et que en plus, ça roule
pas mal.
Matin du 6 novembre. Radieux.
Soleil et ciel bleu... Très peu de vent et donc
de vitesse.(pour nos premières 24 heures nous aurons fait quelques
53 miles... Loin donc des 140 escomptées... Il va falloir s'installer
dans la durée... Surtout si le moteur ne redémarre pas!!!)
Mais tout n'est pas négatif: peu de vitesse, donc possibilité
de bains!!! On se baigne donc l'un après l'autre, accrochés
à l'échelle dans le sillage du bateau, et en traînant
une boucle de bout, pour se rattraper au cas où.
Mais il faut bien revenir aux ennuis : déménagement
de la cabine bâbord, lecture de la littérature spécialisée
pour savoir comment est fichu un démarreur,
et plongée dans le moteur avec le contrôleur universel à
la main...Et là, surprise!!! Pour vérifier la tension aux
bornes du démarreur, je demande à Anyvonne de mettre le contact
et Plaf! voilà le démarreur qui tourne et le moteur aussi....
La panne était donc fugitive... Je n'aime pas ça et j'ai
maintenant des doutes sur le solénoïde du démarreur
qui était donc resté bloqué. Toutefois, je crains
de démonter plus avant, et faute de rechange, de mettre en panne
définitive quelque chose qui maintenant fonctionne bien. Enfin,
pour le moment ça marche. Je consigne l'incident sur mon pense-bête
d'entretien et passe à autre chose...
Journée calme, lecture farniente. Le soir, on
entame le curry de mouton avec aubergines et poivrons qu'Anyvonne avait
préparé avant de partir hier matin. Régime, régime
quand tu nous tiens!!!....
Pour les quarts, on a un peu de mal à s'arrêter
sur une règle précise. Anyvonne se couche vers 20h, dors
à 21h et se réveille à 22h. Gérard dort de
22h30 à 1h et prend la veille jusqu'à 6h. Il est temps qu'il
dorme!!... Dans la nuit du 6 au 7, le vent s'est réinstallé
au Nord-Est, mais toujours plutôt faible (5 à 6 noeuds). Le
bateau avance un peu mieux (autour de 3 noeuds).
Matin du 7 novembre.
Petit déj' à 9 heures, tous les deux dans
le cockpit, puis bain comme la veille, farniente, lecture et broderie pour
Anyvonne.
Dans la journée, on croise de loin (5 à
6 miles) deux voiliers qui manifestement cherchent vers le sud des vents
d'Est pour faire route directe vers les Antilles. Au point de 12h30, nous
aurons fait 65 miles les dernières 24 heures. Ca se traîne!
A ce train là, il va nous falloir 10 à 12 jours...
Bien que radieux, les jours sont courts : de 8 à
18 heures. On dîne tôt, pour essayer de dormir tôt. Mais
le rythme de sommeil et de veille alternés n'est pas encore trouvé.
Nos habitudes de veille changent: on utilise un peu plus le radar. On veille
donc à l'intérieur d'un bateau où les lampes à
pétrole restent allumées (ce qui est très agréable
pour celui qui veille...) avec un rythme de consultation du radar toutes
les 15 minutes sur l'échelle des 16 miles. Un minuteur de
cuisine nous aide puissamment à ne pas rester endormis en oubliant
notre veille. Cela fait un peu drôle de se retrouver tout seul au
milieu de la mer. Depuis juillet, nous avons toujours eu une côte
en vue. Et
là rien de rien... Pas un rade, pas une mobylette. Rien...
Paradoxalement, Anyvonne a ressenti un vif sentiment
de " solitude " quand nous avons vu un autre voilier à l'horizon.
Mais cette solitude, elle la ressentait pour cette petite voile, minuscule
là-bas au milieu de rien. Pas pour nous, du tout. Sans doute
parce que nous, nous ne sommes pas perdus. Nous sommes là, confortablement
installés dans notre décor familier de 12 mètres sur
4. Assez grand, finalement... Alors que cette voile minuscule, là-bas,
semble tellement fragile dans cette immensité.
Nous sommes partis, quasiment à la pleine lune.
Alors celle ci se lève tard dans la nuit, mais quand elle est là,
la nuit est claire et semble moins oppressante. (" Cette sombre clarté
qui tombe des étoiles "...)
Dimanche 8.
Le vent est maintenant bien installé force 2/3
au Nord-Est. On s'essaie à une nouvelle allure en se la jouant "
trinquettes jumelles ". Avec le génois tangonné sur bâbord,
on amène la Grand Voile et on envoie une voile d'avant sur l'étai
largable, tangonnée sur la bôme, bien débordée
sur tribord....Ca marche au poil et c'est finalement moins sensible aux
écarts de route que la grand voile en ciseau. En tous cas, ça
fait moins de bruit. (Sans vent suffisant, avec le roulis, les mouvements
de grand voile sont terriblement agressifs et bruyants. On a en permanence
l'impression de tout casser.)
Au point de midi, nous aurons atteint les 80 miles en
24 heures. On progresse.
Lundi 9.
Cette
nuit a enfin justifié notre veille nocturne attentive: à
3h, nous avons croisé un cargo sur une route inverse de nous, à
moins d'un mile sur tribord. Émotion!
On pêche enfin!!! Enfin, on prend du poisson, parce
qu'on n'a pas arrêté de pêcher depuis le début...En
tous cas, on n'a pas cessé d'avoir une ligne à l'eau avec
une margatte au bout!
On prend une Coryphène d'un bon kilo. Gérard lève
les filets et on se les cuit en papillote avec de la crème fraîche
et du chou blanc. On en a réservé un peu pour faire à
la tahitienne (voir recette dans
le n°4. Ndlr). Tout ça est délicieux....
Maintenant, le vent a forci à 20 noeuds et en
conséquence, le bateau file 5 à 6 noeuds. Enfin une vitesse
agréable sur une mer qui est encore assez plate. A midi, c'est enfin
100 miles en 24 Heures. C'est la moyenne qui satisfaisait Moitessier....
Alors nous, on est contents.
Mardi 10.
On commence à trouver un rythme de quart à
notre convenance depuis hier soir: Anyvonne de 20 à 23h et de 4
à 8 heures, Gérard 23 à 4 heures. On s'assoupit 20
minutes entre chaque sonnerie, et la veille au radar n'est pas l'enfer
de la barre dans le froid et sous la pluie. Ici, la nuit, il fait 24/25
degrés...
A midi, journée à 110 Miles. La vitesse
semble se stabiliser à 6 noeuds, mais la météo annonce
du vent plus frais, force 6/7 et plutôt Nord. Avant la nuit on renvoie
la Grand Voile avec 2 ris de précaution, et on se remet sur une
allure de grand largue.
Ce soir: choux aux lardons " Comme chez nous dis!! ...
" Mais sans beurre. On n'en a pas avitaillé en partant, pour ne
pas être tentés.
Mercredi 11.
Pendant la nuit, le vent s'est effectivement installé
comme prévu, et la mer s'est creusée. Les creux sont de 2
à 3 mètres, mais avec les vagues par le travers arrière,
ça reste assez confortable. Avec nos 2 ris, la vitesse reste raisonnablement
entre 6 et 7 noeuds.
On commence à voir pas
mal d'exocets (des poissons volants) et ce matin on en trouve trois, suicidés
sur le pont. Nettoyés, ils finiront poêlés, dans notre
assiette. C'est délicieux...Et puis ce matin, on capture notre 2ème
coryphène. Un peu plus grosse: 2 à 3 Kg. La subsistance est
assurée.
Au point de midi 30, parcours de 140 miles les dernières
24 heures. Enfin l'allure attendue. On finira par arriver... A cette allure,
nous prévoyons même que ce sera dans la journée de
vendredi.
Dans l'après midi, au milieu de notre activité
somnolente, une vision soudaine et surprenante:
un pétrolier, ou quelque chose qui y ressemble, à un demi
mile sur tribord. Celui-là, nous ne l'avions pas vu venir. Réflexion
sur notre activité de veille, tellement scrupuleuse la nuit et laxiste
le jour.
Jeudi 12.
Toujours du vent, et toujours 140 miles de parcours quotidien.
Nos pronostics d'arrivée se confirment. Toujours des poissons volants
(3 ou 4 sur le pont le matin). C'est trop! Anyvonne a rassemblé
les derniers légumes encore sains bien que vieillissants, et ils
ont fini en ratatouille. Très bon avec la fin du ragoût de
coryphène.
Vendredi 13.
On
devrait arriver aujourd'hui. Avons-nous choisi la bonne date? Enfin on
n'est pas superstitieux et on verra....
Pour commencer, le vent nous a lâchés dans
le courant de la nuit. La mer est devenue plus confortable, mais nous n'avançons
plus et on retrouve le roulis des périodes de pétole. Nous
sommes à 60 miles du but. Pour conserver nos chances d'arriver avant
la nuit: MOTEUR. 4 noeuds, pas terrible...
Vers 11 heures, un bateau en pêche est en route
collision! Vive la veille... Nous nous déroutons et nous le croisons
à 50 mètres sur tribord, au milieu d'un concert d'exclamation
que l'on pense être de bienvenue. Le vent se remet en route 3 à
4, et nous on refile 5 à 6 noeuds. ça baigne. Deux oiseaux
nous suivent depuis deux jours. Enfin Anyvonne croit que ce sont les
mêmes. Elle l'a lu dans Moitessier... Et si GPS ne nous l'avait pas
indiqué depuis longtemps, nous aurions l'impression que c'est un
signe de terre proche....
Pardi! à 14h30 nous apercevons le profil de Santo
Antao qui émerge d'une épaisse " brume de sable ", comme
ils disent à la météo. A 16h20, nous mouillons dans
le port de Mindelo qui s'appelle en fait Porto Grande et qui est merveilleusement
abrité au fond d'une assez jolie rade. Nous nous sentons en sécurité
et avec de la découverte à faire devant nous.
Mais ceci est une autre histoire.... |