Le difficile arrachement à l'occident….
Un an et demi de Nouvelle Zélande; plus de trois mois de Nouvelle Calédonie; on peu dire que nous aurons mis du temps à nous décider à passer le pont qui mène vers les régions plus exotiques qui nous attendent maintenant devant l'étrave. Régions peu développées et civilisations primitives pour commencer: Vanuatu, îles Salomon, Papouasie… Civilisations asiatiques pour continuer: Indonésie, Malaisie, Thaïlande… Ensuite ce seront l'océan Indien et l'Afrique de l'Est… On va se retrouver pour un bon moment loin de nos habitudes occidentales… Parfois on se dit qu'on sera sûrement contents de retrouver l'Amérique du Sud dans quelques… années… Parce que tout ça c'est pour dans longtemps… Pour l'heure, notre problème c'est de nous arracher aux copains qui abondent à Nouméa: On a bien célébré et arrosé notre départ, copieusement embrassé toutes les joues qui se tendaient vers nous, rempli Getaway des produits qu'on pense ne pas retrouver de si tôt sur notre route; tout est prêt, maintenant il faut y aller!!! Mais voilà que notre copain Patrick, de Maohi, ne veut plus nous quitter… Frustré de traversées et de navigation, il a décidé de jouer les prolongations avec nous jusqu'au Vanuatu. Il embarque donc le dimanche 12 Septembre au matin, après sa semaine de travail, pour quinze jours de congés et retrouver la mer. Ce jour là le temps est plutôt beau et, comme d'habitude avec ces conditions, le vent souffle d'Est assez fort. Cela promet trois jours de navigation confortable, "vent de travers", jusqu'au Vanuatu. Mais ça c'est pour quand nous serons en pleine mer, après avoir passé la passe de la Havanna. Avant d'en arriver là, ça promet surtout 45 milles à affronter contre le vent… Comme cette première étape se situe à l'intérieur du lagon, elle sera parcourue au moteur jusqu'au mouillage où nous passerons la nuit, à l'abri de l'île Ouen, juste avant de sortir en mer. On n'est pas des bêtes quand même!!! Première journée de navigation sans grand intérêt mais plutôt confortable qui nous arrachera à la civilisation calédonienne… Ainsi sera aussi la première nuit d'ailleurs, avec trois quarts consécutifs de sommeil profond pour tout l'équipage. Silence, calme et volupté… Ça ne prépare pas vraiment pour la suite, mais c'est bien agréable… Le lundi matin, le temps se maintient au beau et comme nous ne sommes pas pressés, nous envisageons de rester encore une journée à l'abri du lagon et d'aller passer une nuit calédonienne de plus à Yate. Une navigation de lagon; une quarantaine de milles au portant; un mouillage réputé que nous n'avons pas encore visité:Difficile de résister… La décision se prend vite toute seule…La navigation sera effectivement confortable mais Yate ne nous procurera pas d'émotion esthétique rare. Un estuaire de rivière, une eau boueuse et peu profonde, un village qui s'étire le long d'une route goudronnée… Vivement le Vanuatu… Yate sera tout de même l'occasion d'une nouvelle rencontre: Un copain (et voisin de ponton) de Patrick, qui est médecin et assure en ce moment un remplacement au dispensaire local… (C'est fou comme les métros exerçant des professions médicales sont abondants par ici). Ce sera pour nous l'occasion d'une dernière consultation médicale mais surtout d'un dîner sympa, avant de quitter la francophonie.
Enfin en mer… Ou presque…Si vous comptez bien, vous savez maintenant que c'est le mardi matin que nous avons quitté l'abri de Yate pour commencer vraiment notre traversée. Ce jour là, le temps toujours assez fort (et plutôt d'Est) nous incite à laisser porter et à mettre un peu d'ouest dans notre nord. Ça nous met juste sur la route de Lifou, une des îles Loyauté, et l'idée nous vient soudain d'une "der des der" étapes calédoniennes. L'attrait de mouillages que nous n'avons pas visités et dont on dit le plus grand bien... Comme nous devrions arriver à Lifou vers vingt deux heures, c'est aussi un moyen d'échapper une nuit encore aux quarts de veille. Une fois de plus on se décide très vite pour la solution facile; et puisque nous ne sommes pas pressés…. Nuit noire, mouillage et côte complètement inconnus… L'arrivée à Lifou se fera, comme chaque fois dans ces conditions, avec une dépense d'adrénaline importante pour le skipper. Heureusement que la baie que nous visons est large et sans problème d'accès, que la côte est accore et renvoie d'excellents échos radar, que ces derniers coïncident parfaitement avec le profil attendu sur la carte… Enfin bref, que l'approche ne présente pas de réelle difficulté… Vers minuit nous approchons donc prudemment sous le vent de la côte, vers ce qui doit être une plage devant laquelle nous mouillons par quinze mètres de fond, loin des limites des dangers. Encore une excellente nuit de récupérée sur la navigation… Le matin, dès que nous risquons un œil dehors, nous sommes éblouis par la beauté du lieu. Immense et magnifique plage de sable corallien blanc, encadrée de petites falaises de corail. Cocotiers qui dansent dans le vent, devant un village de construction purement traditionnelle où n'apparaît pas une trace de tôle ondulée. Ce réveil est un moment de vrai bonheur. Nous sommes mouillés devant le village de Doueoulou, sur l'île de Lifou. Trois ou quatre autres voiliers nous y ont précédés et se balancent mollement devant la plage dans une eau limpide comme nous n'en avons pas vue depuis longtemps. Nous y resterons deux jours, histoire de permettre à Patrick de se dépasser à l'occasion de son marathon hebdomadaire: cette fois sa quinzaine de kilomètres habituelle s'est transformée en plus de trente, à l'occasion d'une erreur de parcours… Mais c'est pas le tout, nous sommes en route pour Port Vila et il ne faut pas s'endormir sinon les quinze jours de congé de Patrick n'y suffiront pas! Nous repartons donc le jeudi matin, pour nous arrêter (une dernière fois de plus) et déjeuner sous les falaises impressionnantes de la baie de Docking. Plus de 40 mètres de haut, verticales sur toute leur hauteur, creusées de grottes qui abritent des colonies importantes de chauve souris et qu'il est paraît il possible de visiter. Nous n'en aurons pas le loisir car, forts de nos bonnes résolutions, nous repartirons sitôt le déjeuner expédié, cap sur Port Vila.
Où on finit quand même par partir vraiment…Avec nos choix d'itinéraire un peu paresseux depuis la passe de la Havanna, nous avons perdu dans l'ouest sur notre route vers le Vanuatu et maintenant, ce qui promettait d'être "400 milles de quasi portant" est devenu "300 milles à parcourir au près bon plein"! Notre vie s'installe donc sur un bord et ce n'est pas le meilleur: tribord amure, celui où il est assez sportif de cuisiner et où la pompe d'évier se désamorce sans cesse… En plus, ça bouge pas mal: Le vent souffle à près de vingt nœuds ce qui n'est pas extraordinaire, mais la mer qui nous arrive de l'Est par le travers est beaucoup plus forte que celle du vent et nous secoue durement. Enfin bref, ce n'est plus le lagon et ça nous contrarie fort…Malgré cela, au rythme des sandwiches et des quarts de veille, la vie à bord s'organise et le bateau avance bien. Tellement bien, qu'au lieu d'arriver dans la matinée de dimanche comme l'avait soigneusement calculé le capitaine, il devient vite évident que c'est plutôt Samedi en début de nuit que nous atterrirons.Difficile de se décider à ralentir le bateau dans cette mer qui nous secoue comme des pruniers; alors on se prépare à arriver une nouvelle fois de nuit dans un port inconnu. C'est toujours déconseillé mais ça devient une habitude…
La nuit, tous les amers sont gris…A l'étude de cette perspective, on se rassure en constatant qu'un phare accueillera notre atterrissage. Au sud-est de l'île d'Efate, il est situé sur "Pango point", un cap qu'il nous faudra tourner avant d'entrer dans la baie de Mele pour y trouver un alignement de feux clignotants qui permet d'entrer dans la rade de Port Vila. Bref, la nuit tombe alors que nous sommes encore à une bonne vingtaine de milles des côtes dont on n'aperçoit encore rien, ni à l'œil ni au radar. Deux heures plus tard le GPS nous situe à moins de dix milles d'Efate et on ne voit toujours ni écho radar ni lumière. Rien qu'un grand trou noir… Il se passera encore une heure avant que n'apparaisse sur l'écran du radar un léger écho situé à environ cinq milles devant nous. Pour l'adrénaline du capitaine, je vous ai déjà dit … Du phare qui devait nous signaler le cap de "Pango point", pas la moindre trace. Le vent a dû souffler la bougie… Enfin si la côte, sans grand relief, ne nous renvoie qu'un faible écho radar, celui ci a bien le profil qui correspond à ce qu'on voit sur la carte. Et ça, ça rassure le capitaine! Une fois tourné le cap de "Pango Point", on arrive vite devant l'entrée de la rade de Port Vila où on a alors bien du mal à décider, parmi tous les feux clignotants qui brillent au dessus de la ville, lesquels constituent l'alignement qui doit nous permettre de franchir la passe. Heureusement les limites du chenal sont marquées par deux balises, dont une tourelle métallique qui nous renvoie un bel écho radar. Nous irons prudemment la reconnaître de tout près, à la lampe torche, avant de nous décider à la laisser sur tribord pour pénétrer dans la rade.Vers une heure du matin, après toutes ces émotions, nous mouillerons à la lumière de l'éclairage public du front de mer, près de quelques voiliers qui nous ont précédés là et que nous avons découverts juste avant de les percuter… Nous avons bien mérité une bonne nuit avant d'affronter les formalités d'entrée dans ce nouveau pays. En fait le lendemain matin, c'est dimanche, les administrations sont fermées et il nous faudra attendre lundi pour pouvoir descendre à terre officiellement. Nous pourrons donc nous reposer toute la journée mais ça ne nous empêchera pas de débarquer dès ce dimanche, clandestinement et nuitamment, pour aller fêter notre arrivée dans un resto sur le quai.
Le grand plongeon dans l'exotisme
Premières impressions "capitale"Nous passerons quelques semaines à découvrir Port Vila. Oh ce n'est pas une grande ville, (principalement deux rues parallèles qui s'étirent le long du front de mer sur guère plus d'un kilomètre.) mais c'est la capitale du pays et la seule agglomération d'une région où le tourisme commence à se développer. Il y règne donc pas mal d'animation et l’essentiel de la circulation automobile de l'île se concentre vers ces deux rues où le trafic est incessant. Comme il n'y existe pas un seul feu rouge, il est nécessaire d'être très attentif pour traverser la rue. Le marché est sans doute l’endroit le plus animé de la ville et attire immédiatement le chaland qui débarque. Abrité sous un grand hall (dont une plaque commémorative remercie les crédits français), ouvert au public 24 heures sur 24 et 6 jours sur 7, c’est un marché qui propose la production agricole et artisanale des habitants de l’île (et parfois aussi des îles proches - au moins une demi journée de mer quand même). La raison de cette ouverture nocturne n’est pas seulement due à la volonté de service des vendeurs locaux: ces derniers viennent de loin pour vendre leur récolte de la saison et ils ne rentrent chez eux que quand tout est parti (au plus tard le samedi midi). En attendant ils vivent et dorment sur place, par terre, derrière leurs étals… Tous les vendeurs du marché sont des Ni-Vans; on n’en aperçoit aucun qui soit blanc ou asiatique. On trouve aussi au marché de quoi se nourrir sur place. Certains étals vendent des "hot tuluks" (une sorte de "hot dog" dont on aurait remplacé la saucisse par de la viande hachée et le pain par de la pâte de manioc enveloppée dans une feuille de bananier.) ou des petits poissons grillés; mais il y a surtout une zone de restauration où une trentaine de cuisinières proposent des plat complets. Généralement c'est du ragoût de bœuf, de mouton ou de poulet, cuisiné avec des légumes locaux et accompagné d'une grande assiette de riz. Parfois on trouve aussi du poisson ou du beefsteak. Chaque hôtesse dispose d'une table où elle peut servir sa production pour 200 Vatus la part (1,5 euro) à 6 ou 7 convives simultanés. Ce "restaurant" est très fréquenté par les Ni-Vans qui travaillent en ville et il est conseillé d'arriver tôt pour pouvoir choisir son repas car dès 12h30, beaucoup d'étals ont vendu toute leur production (et ce sont souvent les meilleurs!!!)
Babel, dans le Pacifique…La pratique linguistique du Vanuatu est directement issue des affrontements coloniaux qui y ont eu lieu. - Chaque Ni-Van parle la langue de son village, qui est en quelque sorte sa langue maternelle (il y en aurait plusieurs centaines, totalement incommunicables les unes aux autres) - La majorité de la population parle et lit le Bichlamar qui est la langue pratique de communication officielle - La plupart des Ni-Vans parlent une troisième langue qui est soit le français soit l'anglais. Ce choix dépend de la religion qui a autorité dans leur village d'origine: Au temps des affrontements coloniaux, les missionnaires étaient autant les fantassins de première ligne dans la guerre d'influence livrée par leur patrie (française ou britannique) que les prosélytes de leur religion. Un moyen puissant de ce combat colonial était l'école attachée à la mission que l'on parvenait à installer. Une école installée et c'était un village entier acquis à la vraie foi en même temps qu'à l'influence convenable. Dans ces écoles, l'enseignement est entièrement dispensé dans la langue de la mission et le niveau d'expression qu'y atteignent les bons élèves est excellent. A les entendre, on a parfois l'impression que c'est leur langue maternelle. Ainsi s'est construit cette espèce de bilinguisme qui pose tout de même un problème au Vanuatu: La langue officielle du pays est l'anglais mais une grosse minorité de citoyens Ni-Vans ne le parlent pas. C'est ce qui confère au Bichlamar son rôle de langue pratique de communication officielle, bien qu'il ne puisse pas être utilisé à l'extérieur de cette région du Pacifique. Les avis et affiches administratifs sont écrits en Bichlamar et malgré leur contenu généralement austère la lecture en est souvent amusante pour le passant européen. Cela fait un peu le même effet que le créole écrit que nous avions découvert en Guyane ou à la Réunion. Pour le jeune citoyen moyen; la langue européenne qu'il pratique détermine en partie les conditions de ses études supérieures. A l'âge de l'université, pratiquer le français signifie souvent mal parler anglais. Et vice versa… L'avantage pour les anglophones c'est qu'ils ne sont pas très loin de l'Australie et de la Nouvelle Zélande qui peuvent les accueillir dans leurs universités. Les francophones eux n'ont que la Nouvelle Calédonie… ce qui est un peu pénalisant. D'un autre coté, les francophones finissent tous par parler anglais tandis que les autres ne connaîtront jamais le français…. Cette différentiation linguistique (qui n'est pas du tout culturelle) contribue sûrement aux clivages des élites et instrumente ensuite les rivalités des communautés insulaires sur lesquelles les leaders pourront asseoir leur pouvoir. Encore un cadeau des puissances coloniales…
Vous avez dit "Indépendance"?Hors du marché, on s'aperçoit très vite que toutes les activités commerçantes de la ville sont sous le contrôle des blancs (principalement des anglo-saxons, surtout australiens, mais aussi quelques français.) et des asiatiques. Les seuls Ni-Vans que l'on voit dans les magasins sont occupés à la manutention ou au gardiennage des rayons; on en voit très rarement derrière la caisse. Très vite nous avons eu l'impression de vivre dans une ville coloniale… Ce sentiment ne nous a pas quittés de tout notre séjour à Port Vila. Pourtant ce pays est indépendant depuis 1980… Mais c'est clair que l'indépendance politique ne lui a pas conféré l'avantage économique, ni même ne semble lui avoir assuré la réalité du pouvoir au quotidien… Nous n'avions pas éprouvé cette sensation d'ambiance coloniale à Apia, aux Samoa, où pourtant la situation économique paraissait comparable à celle d'ici. Là bas, il ne nous est jamais venu à l'esprit que les samoans n'étaient pas maîtres chez eux. La seule explication que nous ayons trouvée à cette différence d'appréciation est que les Samoa sont depuis la guerre sous influence Néo Zélandaise alors que le Vanuatu est soumis à l'influence grandissante des Australiens, dont l'attitude est clairement plus impérialiste (ils sont souvent appelés par ici les américains du Pacifique sud). Malgré cela il faut noter que si les Ni-Vans que l'on rencontre en ville paraissent très rarement opulents, ils ne montrent jamais d'attitude agressive, ni même de sentiment de frustration. Il y a peu de mendicité et le racolage touristique est rare. Généralement l'abord est ouvert et cordial; juste curieux et montrant de l'intérêt. Plus loin, dans les îles du nord qui sont bien moins développées, nous retrouverons souvent et de manière encore plus lisible, cette espèce de "sérénité sociale" dans la pauvreté. Nous avions déjà éprouvé cette impression "d'harmonie sociale" aux îles San Blas près de Panama, mais les indiens Kuna nous avaient alors semblé beaucoup moins démunis, économiquement. Jamais nous n'avons ressenti cette sérénité lors de nos séjours dans les îles françaises, ni en Nouvelle Calédonie où les contacts expriment souvent de la frustration, quand ce n'est pas de l’hostilité. C’est à Port Vila que nos amis Daniel et Anne nous rejoignent, après avoir terminé la longue remise en route de Joran à Nouméa (un bon mois). Rapidement notre aspiration commune à une ambiance plus calme et moins stressée nous décidera à mettre en route de concert, vers le nord et les îles moins développées ou fréquentées du Vanuatu. La diversité des îles du VanuatuMalekula et les îles MaskelinePar sa taille, Malekula est la seconde île de l'archipel: quatre vingt quatorze kilomètres sur quarante quatre. Comme beaucoup d'autres dans la région, cette île "pousse" sans arrêt… En 1965 un gros tremblement de terre a rehaussé le nord de l'île de quarante centimètres! Il n'y a pas de réseau de pistes pour desservir l'intérieur assez montagneux de l'île; les tribus qui y vivent sont donc assez isolées et la vie traditionnelle très préservée: trente langages différents sont parlés sur Malekula. Ces tribus se divisent en deux grands groupes: les Big-Membas au Nord ouest et les Small-Membas au centre sud. (Memba = membre = étui pénien) Ne déduisez pas la taille de la chose, de cette appellation, car elle ne s'applique qu'à la dimension de l'étui. Celui ci est décoratif et peut être beaucoup plus grand que l'objet protégé... Les Small-Membas sont monogames et ont abandonné le cannibalisme plus tôt que les Big-Membas; au milieu des années 1950 quand même... Il paraît qu'une spécialité des Big-Membas est l'hypnose des cochons… Ils les capturent ainsi en quelques minutes.Dans beaucoup de villages les hommes et les femmes vivent séparément, avec chacun leurs huttes, leurs sentiers, leurs zones de danses, etc… Alors qu'ils pullulent sur la côte sud ouest, il n'y a ni moustique ni malaria dans les montagnes … Cela explique le tabou traditionnel de regarder la mer dans les tribus qui y vivent, pour éviter d'être malade. Ces populations des montagnes sont réputées avoir la meilleure santé du Vanuatu. Les Maskelines forment un petit archipel d’une dizaine d’îlots, le long de la côte sud de Malekula. Entre ces îlots et la côte toute proche, plusieurs abris permettent de mouiller au calme, bien protégés de la mer. Nous y passerons une bonne semaine, sans voir un autre bateau venir encombrer notre horizon. Un millier d’habitants vivent dans les Maskelines; concentrés sur deux îlots seulement. Nous en voyons régulièrement passer dans leurs pirogues ; sur leur trajet entre le village et les jardins qu’ils cultivent sur les îlots non habités ou sur la côte voisine. En fait, nous assistons là à la principale activité économique des naturels du pays : Loin de la technologie du siècle, la population rurale travaille à une agriculture de subsistance qui alimente la consommation familiale et le marché de Port Vila. Si la vie dans les petites villes s'est beaucoup modernisée, dans les villages que nous avons aperçus elle semble n'évoluer que lentement et rester très enracinée dans la tradition. Les hommes chassent, pêchent, fabriquent leur pirogue et discutent le soir dans le "Nakamal", avec leurs pairs, des problèmes du village, en sirotant leur kava. Entre leur nombreuses grossesses (six au moins), les femmes assurent la plus grande part des travaux agricoles et la maintenance liée à la vie familiale. Leur vie ne paraît pas très facile et les statistiques leur accordent une espérance de vie plus courte qu'à leurs maris.
Notre découverte du troc qui remplace la monnaieLes pirogues qui passent près de nous, transportent généralement un couple de villageois qui vaque à ses occupations agricoles. Souvent ils en profitent pour nous approcher et nous proposer fruits et légumes. C’est le plus souvent l’occasion d’un troc intéressant pour les deux parties: Les Ni-Vans peuvent se procurer ainsi des objets introuvables localement ou inabordables et nous avons accès à des légumes frais dans des coins perdus où il n'y a rien à acheter. Quand on arrive dans un nouveau mouillage: pas d'inquiétude…si le coin est habité, une pirogue viendra sûrement rapidement vous visiter pour vous proposer des vivres frais. Le mélanésien évalue l'étranger à sa capacité à troquer. Pour tout cadeau qu'il fait (noix de coco, légumes ou fruits) il s'attend à recevoir quelque chose en échange, qu’il se refusera toujours à préciser. Boites de conserve… tee-shirt... bâton de tabac… sucre… allumettes… riz… cahiers d'école… crayons. Vous aurez toujours la responsabilité d’évaluer votre dette et il vous sera longtemps difficile de savoir si le troc a paru équitable. On s’en tire généralement en essayant de retenir le prix des choses au marché, pour avoir un ordre de grandeur des valeurs échangées. Il est par ailleurs souvent conseillé d’attendre la visite d’une pirogue pour lui demander la permission de débarquer et s’informer des conditions d’accès à terre. Beaucoup de tabous coutumiers sont attachés à des endroits inattendus, partout dans la nature. Tel sentier est réservé aux femmes, tel endroit est habité par les ancêtres et interdit d’accès. Rien ne l’indique à nos yeux occidentaux et enfreindre le tabou est très mal accepté par la population. Même les jardins ne sont pas toujours reconnaissables à nos yeux occidentaux et il est très facile de se retrouver piétinant des cultures sans s’en apercevoir. C'est pourquoi quand vous visitez un village, il est courant qu'on vous attribue un guide pour vous permettre d'éviter les impairs.
Vao, notre première approche d'un village francophone.Sur notre route vers le Nord, le long de la côte est de Malekula, nous croisons l'île de Vao devant laquelle nous mouillons pour une nuit. C'est une petite île très peuplée, située à un demi mille de la côte et comme nous sommes dimanche, à notre arrivée beaucoup d'enfants jouent dans ou au bord de l'eau. Rapidement, ils sont nombreux à s'organiser pour trouver une pirogue et venir nous saluer. Comme c'est une île francophone, la communication sera plus facile et nous pourrons longtemps discuter le bout de gras avec nos visiteurs. Nous apprendrons ainsi que l'équipe locale a remporté le championnat de football du Vanuatu et que ce soir on fait la fête au village pour célébrer cette victoire.Ils nous parleront aussi des échanges scolaires qui existent entre les écoles francophones du pays et certaines écoles de Nouvelle Calédonie. (Nous en avions déjà entendu parler à l'île des pins). La jeune fille qui nous parle de ça doit en bénéficier d'ici quelques mois. Elle nous parle des rapports magnifiques qu'on faits les groupes précédents de leur séjour à l'île des pins et elle est très impatiente de réaliser ce rêve: Elle n'est encore jamais partie de Malekula et la simple perspective de découvrir Port-Vila la fait rêver; alors la Nouvelle Calédonie… Nous avons été très étonnés de la qualité du français parlé par ces enfants, comme par la plupart des Ni-Vans qui s'adressent à nous dans notre langue. L'abondance du vocabulaire, l'absence d'accent, la correction de la grammaire et de la diction… Parfois ce ne serait guère mieux si c'était vraiment leur langue maternelle.
Santo, la grande ile, tout au nord de notre tour du Vanuatu.Ce n'est pas l'île la plus septentrionale du pays (les îles Banks tiennent ce rôle, deux cent milles plus loin) mais c'est de là que nous retournerons vers le sud et Port Vila pour la deuxième partie de notre découverte. En revanche c'est la plus grande île de l'archipel: cent vingt kilomètres sur soixante. Quatre pics culminent à plus de 1700 mètres au sein de son relief plutôt accidenté.Le nom complet de l'île est bien sûr Espiritu Santo mais ici tout le monde l'appelle Santo. Ce nom lui a été donné par un découvreur espagnol qui a dû la repérer un jour où soufflait l'Esprit Saint..... La première impression, quand on arrive en vue des côtes de Santo, c'est que l'agriculture y est plus développée qu'ailleurs où nous sommes passés jusque là. Les pentes des collines nous montrent de grandes étendues de prairies comme on n'en avait pas encore vu, des cocoteraies immenses, des troupeaux de vaches importants… Les Ni-vans d'ici seraient ils plus industrieux que les autres… Ce n'est peut être pas l'explication exacte: Le souvenir tenace de la présence française:Une fois débarqués et renseignements pris, il semble que l'explication soit plutôt dans le passé colonial de cette île qui aurait été le cœur agricole des Nouvelles Hébrides. Elle hébergeait alors d'immenses plantations qui ont façonné ce paysage agricole. Certaines sont actuellement abandonnées alors que d'autres sont toujours exploitées et possédées par des blancs ou des asiatiques. On dit qu'une seule cocoteraie, appartenant maintenant à un seul japonais, s'étendrait sur près de quatre vingt kilomètres du littoral de la côte Ouest??? Il est vite clair que dans la zone côtière l'agriculture n'est pas sous le contrôle des Ni-Vans. Même si le réseau routier qui l'irrigue est assez sommaire, l'intérieur de Santo est sans doute le plus facile à visiter du pays. Nous en avons profité pour aller jeter un œil à Fanafo, haut lieu de pèlerinage des partisans de Jimmy Stevens et des nostalgiques de la présence française. (Nous en avons rencontré!!!). Une colonie Française importante vivait ici avant l'indépendance. Elle a émigré, ou été plus ou moins chassée, lors de la répression des mouvements sécessionnistes qui ont eu lieu à ce moment là. Frank, un des fils de Jimmy Stevens, nous a fait visiter le sanctuaire où le cercueil de son père est encore exposé, pas encore enterré, plus de dix ans après sa mort. Faute de références préalables, nous n'avons pas tout compris (ou n'en sommes pas certains) ce qu'il nous a raconté sur l'histoire de la rébellion de son père et sur la sorte de culte qui semble lui avoir succédé; mais c'était un moment émouvant que d'écouter parler ces gens qui se sont battus pour continuer à vivre avec nous et continuent à lutter pour parler français… Même si je ne suis pas convaincu de la toute pureté de leurs motivations…
Gastronomie entre trou à cyclone et "blue hole"On trouve au Sud Est de Santo une longue baie protégée du large par un rideau d'îlots, abritant elle même une autre longue baie, plus petite, protégée elle aussi par son propre rideau d'îlots… (Que voilà un joli exemple pédagogique de récursivité… Un peu comme le couvercle de la "Vache qui rit"…) Cette dernière se nomme Peterson Bay, héberge Oyster Island et offre un abri où on peut, paraît il, venir survivre à un cyclone. Entrer dans Peterson Bay n'est pas facile pour les bateaux qui mesurent plus d'un mètre cinquante de tirant d'eau. Même nous qui n'avons besoin que d'un mètre vingt mais sommes assez timides, nous avons dû chercher notre chemin à marée haute… Et nous l'avons trouvé! Pour gagner le droit de venir mouiller avec Joran, à côté de deux prédécesseurs; dans le calme absolu offert par la côte Ouest d'Oyster Island… En plus que d'offrir un excellent abri, cette île qui appartient à un restaurateur français, héberge un petit "resort" de trois ou quatre bungalows et un restaurant dont le cuisinier est très fier. On y mange une nourriture exclusivement confectionnée avec des produits locaux dont beaucoup sont même élevés ou cultivés sur place. Les vins sont honnêtes et français. Tout cela donne un mélange intéressant de tours de main, d'habitudes françaises et de saveurs tropicales où dominent le coco et la papaye. Ce genre d'établissement familier, rencontré comme cela, au milieu de nulle part, nous avait un coté un peu irréel. Au fond de Peterson bay débouchent deux rivières qu'on peut remonter en annexe jusqu'à leurs sources. (Une surtout, car bien avant d'en atteindre la source nous sommes restés coincés dans l'autre par les bancs de nénuphars qui y prolifèrent…) En fait ces deux sources sont ce qu'on appelle ici des "blue holes" (trous bleus). Peut être produits par la résurgence d'une rivière souterraine qui descendrait des hauteurs de l'île? Ces blue holes forment une sorte de cul de sac fluvial. Ce sont des trous d'une vingtaine de mètres de large, profonds d'une quinzaine et remplis d'une eau cristalline et fraîche qui est un régal pour la baignade, le rinçage de la lessive et le remplissage des bidons d'eau potable. Nous y reviendrons plusieurs fois avec Daniel et Anne, pour le plaisir de glisser en annexe sur l'eau calme, à l'ombre fraîche des arbres qui surplombent la rivière, avant de nous glisser nous même dans l'eau transparente.
C'est ici qu'on a pris la décision de passer la saison cyclonique au Vanuatu.Notre projet initial était de quitter maintenant (nous sommes fin octobre) le Vanuatu qui est très exposé aux cyclones, pour continuer vers le nord et aller passer la saison dangereuse aux îles Salomon. Comme nous avons aussi le projet de rentrer un ou deux mois en France voir notre descendance, pendant que passent les cyclones; le skipper se creuse la cervelle depuis que nous sommes partis de Nouméa pour savoir où diable il pourra laisser le bateau pendant ces "vacances" métropolitaines… Renseignements pris auprès de ceux qui y sont déjà allés, les Salomons ne paraissent pas regorger d'endroits où "abandonner" un bateau et il devient de plus en plus évident qu'on n'en trouvera sans doute pas! Un beau matin il s'ouvre au second, de ses soucis et conclusions: "Si nous continuons comme prévu vers les Salomon, les chances sont quasiment nulles pour que je puisse rentrer en France avec toi; il me paraît de plus en plus clair qu'il faudra que je reste garder le bateau…" Bien embêtée le second… Il lui faudrait alors porter ses bagages toute seule!!! Mais quelles sont donc les alternatives? s'exclame le cœur des vierges. Nous pourrions, par exemple, retourner nous abriter à la marina de Nouméa??? Tu n'y penses pas mon pauvre ami; quelle régression! Outre que ce n'est pas vraiment hors cyclone (voir l'aventure d'Altaïr il y a deux ans), tous les copains se moqueraient de nous!!! Non, ce n'est pas possible, il faut trouver autre chose! On pourrait peut être se faire tirer au sec au chantier de Port Vila??? C'est vrai que ça nous laisse très exposés au passage d'un cyclone; mais si nous faisons sortir Getaway de l'eau assez tôt, bien arrimé sur un ber, il ne devrait pas risquer grand chose.
Ah mais c'est bien séduisant cela… Et nous voilà embarqués dans un cycle de cogitations intenses… Qui sommes nous, où allons nous, que voulons nous vraiment, quel prix sommes nous prêts à payer pour ça,… Quel est l'âge du capitaine???
Finalement le skipper surprend grandement nos copains de Joran quand un matin il prend l'annexe pour aller leur annoncer notre décision de rester passer l'été au Vanuatu. Eux qui doivent s'élancer incessamment sous peu vers l'Australie pour se mettre à l'abri pendant qu'ils rentreront travailler six mois en Suisse, en sont tout ébranlés! Que vont ils faire??? Finalement; je vais faire cesser ce suspens haletant et vous révéler tout de suite le dénouement: Joran et Getaway ont été mis au sec début décembre, à deux jours d'intervalle, sur le chantier de Port Vila. Ils seront voisins de ber jusqu'en mai prochain pendant que leurs occupants se rafraîchiront la couenne en Europe. Ah mais c'est qu'avec cette décision, il va maintenant falloir redescendre vers Vila contre le vent!!! Boaf, nous avons tout le temps: les cyclones ne deviennent probables, dans la région, qu'à partir de décembre et ça nous laisse un bon mois pour atteindre les environs de Port Vila. Nous allons donc la jouer "touristes cools" et visiter en descendant les îles de Maewo, Pentecost, Ambrym et quelques autres…
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